Carnavalet romain

Le palais Braschi s’ouvre à l’histoire de la ville

Le Journal des Arts

Le 8 février 2002 - 930 mots

Après des décennies d’abandon, le Musée
de Rome devrait ouvrir ses portes dans le Palazzo Braschi restauré. Épilogue d’une histoire tourmentée, cet événement permettra enfin de présenter au public des collections riches de cent mille œuvres, évoquant la grandeur de Rome depuis l’Antiquité.

Rome (de notre correspondante) - Le Palazzo Braschi, dernière grande résidence construite à Rome au XVIIIe siècle, se dresse, magnifique et baroque, à l’angle de la Piazza Navona et de la Piazza San Pantaleo, au cœur de Rome. Mais, malgré tant de splendeur, l’histoire du palais apparaît moins glorieuse. Pie VI Braschi (1717–1799), l’un des pontifes les plus prodigues dans son mécénat, a fait construire cette résidence pour sa famille et en particulier son neveu préféré, le duc Luigi Braschi Onesti. Trésorier d’État de Clément XIII Rezzonico, le pape Braschi était un homme d’action et ne s’embarrassait pas de scrupules. Il achète les terrains du quartier ainsi que les maisons, les fait démolir et commande le palais à Cosimo Morelli, architecte originaire d’Imola. Même pour un pontife, le coût se révèle prohibitif. En fait, le palais constitue le dernier témoignage du népotisme pontifical avant les transformations politiques et culturelles provoquées par la Révolution française.
La construction fut rapidement engagée, mais le pape fut contraint de s’exiler en 1798. Les travaux furent interrompus et, lorsqu’ils reprirent en 1802, les finances du duc Luigi n’étaient plus aussi opulentes. Les Braschi n’habitèrent pas longtemps cette splendide demeure, et face à des difficultés financières de plus en plus grandes, ils l’a vendirent à l’État en 1871. Dans un premier temps, le palais fut le siège du ministère de l’Intérieur, puis de diverses institutions fascistes et enfin, après la guerre, il dut abriter trois cents familles de réfugiés. À partir de 1952, il fut, ou plutôt il aurait dû être, le siège du Musée de Rome. Puis, en 1990, la propriété passa de l’État à la commune.

Le palais a presque toujours été fermé, étant en copropriété avec d’autres institutions. Mais il va connaître une vie nouvelle et recouvrer sa dignité. Les travaux de restructuration et de consolidation, qui étaient devenus urgents, ont été entrepris sous la main de fer d’Elisa Tittoni, sa directrice. Il est prévu de tout mettre aux normes, avec de nouveaux ascenseurs, des sorties de secours et des accès pour les handicapés. Des fresques ont été redécouvertes dans les trois appartements des premiers et seconds étages. Il s’agit de détrempes réalisées par le plus grand décorateur de Rome à l’époque de la Restauration, Liborio Coccetti. Le salon monumental est en cours de restauration, afin de mettre en valeur les dix-huit colonnes de granit rouge provenant d’un cloître du XVe siècle, celui de l’hôpital du Saint-Esprit, et qui étaient à l’origine celles d’un portique que Caligula avait fait construire sur les rives du Tibre. Dans les peintures à la détrempe qui ornent les voûtes et les murs du second étage, le choix des sujets mythologiques et historiques reprend les motifs et la sensibilité néoclassique, ou plutôt d’un Néoclassicisme élaboré sur les motifs et les thèmes de la culture de l’Empire. Luigi Braschi avait été nommé “maire” de Rome par le gouvernement français et affichait ainsi son adhésion au régime.

Accueillir la mémoire de Rome
Aujourd’hui, la moitié du palais a été restaurée. Le toit a été complètement refait, le grand escalier restauré avec tous ses stucs, ainsi qu’une partie des deux premiers étages, les entresols et la moitié du rez-de-chaussée. Le coût global de ces opérations s’élève à environ 8,8 millions d’euros : il en manque entre 13 et 15,5 pour finir d’installer le musée. La bibliothèque est en cours d’aménagement. Elle possède les archives de Carlo Pietrangeli, les dessins de Gino Severini pour les mosaïques du Forum romain, et les archives, retrouvées par hasard en France, de Pietro Tenerani, le plus grand sculpteur après Canova. Par ailleurs, le musée est riche de plus de cent mille œuvres peu connues, dont une collection exceptionnelle de dessins, de manuscrits et de photographies. Le palais Braschi “abrite” aussi tout ce qui reste des diverses démolitions – qu’elles soient dues au roi Umberto ou aux fascistes – de la Rome de l’Antiquité, du Moyen Âge et de la Renaissance, pièces très importantes pour la reconstruction, même purement virtuelle, de la ville antique. Les collections du musée se sont accrues grâce à une série de legs et de donations, grâce aussi à l’engagement de l’Association des amis des Musées de Rome, fondée en 1948.

L’objectif de Gianni Borgna, l’adjoint à la culture, est de rouvrir en partie le palais en mars ; et, le 12 avril, à l’occasion de l’anniversaire de la fondation de Rome, il a prévu d’inaugurer l’auditorium. Pour compléter la restauration, 10,2 millions d’euros supplémentaires sont prévus sur le budget 2002. Le palais pourra alors rivaliser avec le Musée Carnavalet, à Paris, considéré comme le plus important musée municipal en Europe.

Pour la prochaine réouverture partielle, Elisa Tittoni a l’intention d’organiser une exposition présentant l’histoire du palais et de ses protagonistes : Pie VI (dont un buste par Ceracchi a récemment été acquis auprès des descendants de la famille), les cardinaux, les événements de la cour, et l’image de la ville telle qu’elle a été perçue par les étrangers, tout cela à travers des œuvres choisies parmi les collections parvenues au musée grâce aux familles Barberini, Rospigliosi, Colonna, Odescalschi et Pecci. On installera pour l’occasion l’Alcôve Torlonia restaurée, acquise sur le marché dans les années 1930. C’est l’ultime vestige du plus grand palais du XIXe que Stendhal appelait “le magnifique Torlonia”. Il avait été démoli pour construire l’Autel de la Patrie.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°142 du 8 février 2002, avec le titre suivant : Carnavalet romain

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