Artisanat d'art

Tours met en scène les visions avisées d’Avisseau

Le Musée des beaux-arts de la ville explore le monde étrange du céramiste romantique

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 8 novembre 2002 - 678 mots

TOURS

Présenté comme le « Bernard Palissy moderne », Charles Jean Avisseau (1795-1861) a expérimenté nombre de techniques pour obtenir ses faïences émaillées, véritable microcosme où s’affrontent, sur fond marécageux, quantité de serpents, poissons, grenouilles, escargots, tortues, insectes ou salamandres. Le céramiste est à l’honneur au Musée des beaux-arts de Tours qui a réuni quelque 150 pièces d’Avisseau et de ses enfants, Caroline et Édouard, ainsi que d’autres artistes tourangeaux.

TOURS - Installé sur un parterre de plantes marécageuses, un lézard vert dévore une larve, tandis qu’une vipère s’apprête à croquer une grenouille tétanisée. Indifférente, une écrevisse traverse tranquillement une allée de fougères, feuilles de chêne, coquillages et escargots que ponctuent des filets d’eau. Saturé d’éléments, cet hymne à la nature, sorte de jungle fantastique, compose le Grand Bassin rustique en faïence émaillée réalisé par Charles Jean Avisseau en 1854. À l’honneur au Musée des beaux-arts de Tours, les porcelaines du céramiste sont envahies par la végétation glauque et la faune des bords d’étangs. Certains détails invraisemblables – salamandres et grenouilles orange, lézard marchant sur l’eau, espèces non identifiables ou approximatives, associations improbables de certains types de plantes – interdisent de considérer Avisseau comme un artiste naturaliste. Ses créations sont avant tout celles d’un romantique. Au regard du thème choisi (la nature) et des techniques utilisées, les œuvres font explicitement référence à celles de Bernard Palissy. “D’emblée, Avisseau s’est senti défié par Palissy ; il a cherché à percer ses secrets, à égaler l’éclat de ses émaux”, explique Philippe Le Leyzour, conservateur du musée. Mais, à bien y regarder, la nature d’Avisseau est très différente de celle du maître de la Renaissance. Au monde géométrique et assagi de Palissy semble répondre l’univers étrange, foisonnant et violent du “romantique”. Le choix du poisson, du serpent, la présence d’une Vanité, le thème de la lutte pour la vie, font également référence à la symbolique chrétienne. Installé au début du parcours, un film passe en détail les céramiques par le biais de gros plans prononcés, initiant le regard, incitant à l’observation des plats, coupes et bassins présentés. Le chant des oiseaux diffusé simultanément accompagne le visiteur pendant sa visite. Mais les efforts scénographiques s’arrêtent ici. La suite de la présentation se révèle austère, et la fantaisie se limite à quelques fonds de vitrines de couleurs vives, ne faisant pas honneur à la folie créatrice d’Avisseau.

Des talents de sculpteur
Son art exulte avec le Grand Groupe rustique de 1855, au sommet duquel une chevêche et une couleuvre à collier se disputent le cadavre d’un lézard éventré. Reprenant le thème de la grotte de la Renaissance, cette pièce témoigne des talents de sculpteur du céramiste, mais aussi de ses prouesses techniques. Ouvert à toutes les expérimentations, Avisseau accorde une attention particulière à la couleur : les rouges et les bruns lui permettent d’évoquer l’automne et la mort de la végétation, le noir souligne les yeux des animaux, les zébrures des salamandres ou les coquilles des escargots. À la manière d’un peintre, il superpose des glaçures transparentes qu’il cuit à des températures décroissantes pour obtenir différentes nuances à partir d’un même ton. Ses enfants, Édouard et Caroline, perpétuent la tradition avec la série des Grands Plats de poissons (1861), traitée en trompe l’œil. L’exposition donne aussi à voir les pièces d’autres céramistes tourangeaux, tels Léon Brard, Auguste François Chauvigné ou Joseph Landais (1800-1883). Ce dernier réalise en 1855 le Grand Bassin rustique sur piédouche (1855), dont le schéma palisséen est brisé par trois scènes de prédation dignes d’Avisseau : une couleuvre dévorant une grenouille par la patte, une vipère guettant une autre grenouille et un papillon prêt à se faire gober par un lézard. Un monde où se rencontrent la nature et l’art, la vie et la mort, comme un défi à la réalité.

UN BESTIAIRE FANTASTIQUE – AVISSEAU ET LA FAïENCE DE TOURS 1840-1910

Jusqu’au 13 janvier, Musée des beaux-arts de Tours, 18 place François-Sicard, 37000 Tours, tél. 02 47 05 68 73, tlj sauf mardi, 9h-12h45 et 14h-18h (et Musée national Adrien-Dubouché à Limoges, en février 2003). Catalogue RMN, 270 p., 38 euros.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°158 du 8 novembre 2002, avec le titre suivant : Tours met en scène les visions avisées d’Avisseau

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