Collection

Le rapport qui accable

Le Sénat dénonce l’état des réserves des musées

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 29 août 2003 - 840 mots

Dans le prolongement des travaux conduits à l’occasion de la loi du 4 janvier 2002 sur les musées de France, la commission des Affaires culturelles du Sénat a souhaité dresser le bilan des conditions de conservation des œuvres d’art dans les musées français. Le constat du rapporteur Philippe Richert se révèle accablant au regard de l’état des réserves et des lacunes méthodologiques dans les procédures de récolement. Plus qu’une éventuelle impéritie des musées, cet état des lieux pointe l’indigence chronique de leurs moyens et les lacunes dans la professionnalisation des conservateurs.

PARIS - Contre la “détestable habitude de faire primer le contenant sur le contenu”, le dernier rapport de la commission des Affaires culturelles du Sénat (1) souhaite remettre les collections au centre de la politique des musées. Lors des travaux d’études de la loi musée, la commission avait défendu l’idée même de collection en refusant le label “Musée de France” à toute institution qui en serait dépourvue. Elle s’est attachée cette fois à l’état des réserves et à son corollaire, celui du récolement. L’extension des espaces d’exposition conduit souvent à reconsidérer ceux dévolus à la conservation des œuvres.

Pourtant, ce besoin n’est pas vraiment pris en compte par les autorités de tutelle, puisque le ministère de la Culture n’a formalisé aucun document concernant l’organisation des réserves. Depuis 1992, l’inspection générale des musées a procédé à 85 missions d’inspection, alors que 1 100 institutions pourraient faire l’objet d’un tel contrôle. Au vu des études ainsi menées, l’inspection a noté que l’état des réserves était “globalement peu satisfaisant”. Comprendre : inadaptation et exiguïté des locaux, climat inadéquat, fort empoussièrement et caractère inondable, notamment dans le cas du Louvre dont les réserves comptent pourtant parmi les plus modernes. Le conservateur du Musée de Dijon souligne pour sa part que la plupart des pièces en réserves dans son musée sont au minimum encrassées, souvent détériorées. D’autres enfin ont disparu. Ce qui soulève la question du récolement.

Là encore, la commission observe une absence de directives, le récolement n’étant souvent perçu que comme une opération exceptionnelle, notamment lors d’un chantier de rénovation. L’obligation d’inventaire est aujourd’hui inscrite dans la loi de janvier 2002. Toutefois, en l’absence de règles communes, le récolement s’opère de manière disparate, sans formalisme ni exhaustivité. Ainsi est-il impossible de dénombrer avec exactitude le nombre d’œuvres conservées par le Louvre. Parfois, l’inventaire ne s’accompagne même pas de vérification permettant de s’assurer de l’existence physique des œuvres. Instaurée en 1996, la commission chargée du récolement tire en 2002 un bilan préoccupant, après l’investigation d’un tiers des dépôts, soit 47 787 pièces : près de 20 % des d’œuvres d’art mises en dépôt ne peuvent être localisées. Sur les 9 200 œuvres manquantes, une sur dix a été détruite ou volée. 191 de ces pièces ont fait l’objet d’un dépôt de plainte.

Dans un communiqué de presse daté du 23 juin, le ministre de la Culture promet d’encourager l’action de cette commission en la dotant de moyens supplémentaires en vacations ( 100 000 euros) et en frais de missions ( 45 000 euros) sur le budget 2003. Cette aide reste modeste au regard des dépenses induites par ce travail titanesque. On pourrait d’ailleurs s’interroger sur la pertinence des résultats obtenus par la commission au terme de son mandat en 2007. En dix ans, de nouveaux mouvements d’œuvres n’auront-ils pas bouleversé les informations collectées ? Le rapport sénatorial encourage de fait l’informatisation des collections, initiée çà et là, tout en signalant le manque de crédits affectés à cette démarche. Le ministère de la Culture a de son côté engagé un programme de tests et de système de marquage des œuvres d’art qui devrait annoncer ses premiers résultats fin 2004.

Une meilleure connaissance des collections permettrait aussi de vérifier la pertinence des dépôts, souligne le sénateur Philippe Richert. Le rapport s’inscrit ainsi dans la droite ligne du vœu ministériel d’irriguer les musées de province d’œuvres issues des établissements parisiens. Il ne semble guère probable que les œuvres insignes fassent aujourd’hui l’objet de tels dépôts. De leur côté, les musées de province risquent de ne pas apprécier qu’on puise dans les réserves où se trouvent souvent amoncelés les objets sériels, les faux ou les œuvres endommagées. Tout en saluant l’initiative du Centre Pompidou en Lorraine, réponse intelligente à la question des réserves, le rapport n’en souligne pas moins que “le coût des institutions nationales doit être assumé par l’État, même si elle sont implantées en régions”. Histoire d’apporter une pierre supplémentaire aux débats sur la décentralisation.

Le rapport a surtout le mérite d’élargir la question initiale à celle d’une redéfinition du rôle du conservateur. Dénonçant le malthusianisme de la politique de recrutement, il prône une augmentation du volume des appelés et une diversification pour répondre à des disciplines telles que l’ethnologie. Il propose aussi un renforcement de la qualification des personnels, notamment la création de postes de régisseur d’œuvres.

(1) Rapport d’information de la commission d’Affaires culturelles du Sénat n° 379 (2 juillet 2003) : Collections des musées : là ou le pire côtoie le meilleur.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°175 du 29 août 2003, avec le titre suivant : Le rapport qui accable

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