Sculpture

Religion et sentiments

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 12 novembre 2007 - 828 mots

Le sculpteur Henry de Triqueti, tombé dans l’oubli, est à l’honneur dans deux expositions, l’une au Musée des beaux-arts d’Orléans, l’autre au Musée Girodet de Montargis.

ORLÉANS ET MONTARGIS - Il y a deux ans, Anne-Louis Girodet-Trioson (1767-1824) avait les honneurs d’une rétrospective au Musée du Louvre. Parmi les rares artistes que le peintre d’Atala initia aux beaux-arts, Henry de Triqueti (1803-1874), fils d’une amie et voisine de l’artiste à Montargis, eut une carrière exemplaire. Sculpteur attitré de la famille d’Orléans, et fidèle de la reine Victoria, Henry de Triqueti a notamment conçu les imposantes portes en bronze de l’église de la Madeleine à Paris. Rares sont les indices donnés par l’exposition rétrospective que lui offrent le Musée des beaux-arts d’Orléans et le Musée Girodet de Montargis, pour expliquer comment cet immense sculpteur est tombé dans l’oubli le plus complet. L’initiative d’Isabelle Leroy-Jay Lemaistre, conservateur en chef au département des sculptures du Musée du Louvre, d’organiser cette toute première exposition monographique, vient heureusement rattraper toutes ces années d’injuste invisibilité.

Rétrospective de fonds
Hormis les héritiers de l’artiste encore en possession de très belles pièces, trois collections françaises détiennent aujourd’hui l’essentiel de l’œuvre de Triqueti : le Musée Montargis auquel la fille de l’artiste, Blanche Lee Childe, a offert un fonds de plâtres et de dessins préparatoires à la fin des années 1870 ; le Musée des beaux-arts d’Orléans auquel Edward Lee Childe, gendre de Triqueti, a confié soixante-neuf objets (bronze, terre cuite, marbre…) en 1886 ; et enfin l’École nationale supérieure des beaux-arts qui a hérité de 3 000 dessins et carnets de l’artiste. Isabelle Leroy-Jay Lemaistre s’est donc naturellement tournée vers le musée orléanais pour organiser cette rétrospective. Informé du projet, Richard Dagorne, directeur du Musée Girodet à Montargis, s’est greffé à l’opération, proposant une exposition en guise d’addendum. Tandis qu’Orléans retrace la carrière de Triqueti, le Montargis s’arrête sur son chef-d’œuvre, la décoration de la chapelle du Prince Albert au château de Windsor.
Vases décoratifs, statuettes et médaillons en terre cuite, œuvres de commande aux thèmes tant bibliques, mythologiques que littéraires, le parcours chronologique de l’exposition orléanaise dresse un inventaire brillant du talent de Triqueti. L’enchevêtrement complexe des personnages d’une simple étude en plâtre, pour le Vase des songes, démontre une maîtrise absolue de la composition et du drapé. Le style Triqueti, savant mélange de la plastique à l’antique, de l’amour courtois du Moyen Âge, de la mode de la renaissance italienne, et du romantisme, est unique en son genre. Les femmes peuplant son imaginaire sont des créatures chargées d’émotion, sensuelles et élégantes.
Animé d’une grande foi – il s’est converti au protestantisme –, Triqueti a mis toutes ses dernières forces dans la création de la chapelle mortuaire du Prince Albert au château de Windsor, en Angleterre. Son nom y est à peine cité, ainsi l’exposition de Montargis vient-elle rendre hommage à ce travail titanesque. Destinataire d’un fonds d’atelier de l’artiste, le Musée Girodet a eu l’idée très à propos d’imaginer une exposition évoquant un atelier. Une maquette au 1/25e de la chapelle ouvre la présentation, tandis que dessins préparatoires et modèles en plâtre s’amoncellent sur des tables de travail. La technique du tarsia – marqueterie de marbre polychrome – avait été perfectionnée par Triqueti pour le projet de tombeau de Napoléon aux Invalides. Elle recouvre les murs de la chapelle princière et la complexité de cette technique est ici parfaitement représentée.

Un artiste déconsidéré
L’intimité d’Henry de Triqueti avec le pouvoir l’a-t-il enterré dans le tiroir des artistes officiels et donc rendu indigne de considération ? Ce serait alors faire totalement abstraction de son style chargé d’émotion. En revanche, deux faits viennent amorcer un début d’explication : l’artiste interdisait la réplique de ses petits objets décoratifs en bronze, et il refusait de voir publier toute information biographique à son propos. Les commissaires espèrent d’ailleurs que cette rétrospective entraînera la réapparition d’œuvres inédites sur le marché.
Si elle n’est pas indispensable à l’appréciation de l’œuvre du sculpteur, l’exposition de Montargis vient idéalement compléter la rétrospective d’Orléans. De leur côté, les Parisiens pourront s’ouvrir l’appétit en visitant la chapelle Saint-Ferdinand aux abords de Neuilly-sur-Seine où se trouve une magnifique Pietà, mais surtout l’émouvant gisant de Ferdinand-Philippe Bourbon d’Orléans. Lorsque Jean Auguste Dominique Ingres exécute son portrait, rentré dans les collections du Louvre en 2006, le duc toise fièrement son auditoire, figure détachée et parée de ses attributs officiels. Lorsque Henry de Triqueti réalise son gisant, il redonne vie et sensualité à un homme dépoitraillé qui vient de rendre son dernier souffle. La reine en personne, quand elle découvrit le gisant représentant son fils, confia que Ferdinand reposait là « comme s’il était vivant encore, comme s’il allait se réveiller ».

HENRY DE TRIQUETI à Orléans - Commissaires : Isabelle Leroy-Jay Lemaistre, conservateur en chef au département des sculptures du Musée du Louvre ; à Orléans, Véronique Galliot-Rateau, conservateur du patrimoine - Scénographie : Christophe Moreau HENRY DE TRIQUETI à Montargis - Commissaires : Richard Dagorne, attaché de conservation du patrimoine, chargé du Musée Girodet - Scénographie : Yves Kneuze

HENRY DE TRIQUETI (1803-1874) LE SCULPTEUR DES PRINCES

Jusqu’au 6 janvier 2008, Musée des beaux-arts, place Sainte-Croix, 45000 Orléans, tél. 02 38 79 21 55, www.villeor leans.fr, tlj sauf lundi et jours fériés, 9h30-12h15 et 13h30-17h45, dimanche 14h-18h30. Musée Girodet, 2, rue de la Chaussée, 45200, Montargis, tél. 02 38 98 07 81, www.montargis.fr/musee.htm, tlj sauf lundi, mardi 9h-12h et 13h30-17h30, vendredi 9h-12h et 13h30-17h. Catalogue, coédité par Hazan et les deux musées, 192 p., 215 ill. couleur, ISBN 978-2-7541-0242-1, 37 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°268 du 2 novembre 2007, avec le titre suivant : Religion et sentiments

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