François Barré, conseiller

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 9 janvier 2004 - 1269 mots

Du parc de La Villette à la direction de l’Architecture, François Barré a butiné avec un bonheur versatile dans les arcanes décisionnaires de la culture.

Sympathique, séducteur, François Barré se veut électron libre. Cultivant un personnage d’éternel distrait, c’est tout juste s’il rappelle ses amarres bourgeoises et son diplôme de l’ÉNA. Formaté pour une carrière rectiligne, il optera souvent pour des chemins de traverse. Indépendamment de ses trois champs de prédilection – les arts plastiques, l’architecture et le design –, tous les débats le passionnent. Amateur de cinéma, il rêvait de travailler aux côtés de Georges Franju ou d’Agnès Varda. Malgré ses velléités d’artiste, l’institution le rattrape. Elle en fait un acteur des grands chantiers culturels de ces dernières décennies.

Énarque frais émoulu en 1967, François Barré se retrouve à la section « Asie » du Quai d’Orsay, où il s’ennuie ferme. Il s’en échappe au bout de six mois pour le cabinet de Jacques Chaban-Delmas à Bordeaux. Insatisfait malgré son respect pour l’homme politique, il ronge son frein en collaborant au festival transdisciplinaire Sigma. Optant définitivement pour la culture, il rejoint François Mathey, directeur du Musée des arts décoratifs – un homme des confins, des lisières. Avec cette personnalité détonante, il conçoit le Centre de création industrielle (CCI), inauguré en 1969 avec l’exposition « Qu’est-ce que le design ? ». François Barré ne conçoit pas le design comme une fin en soi mais intégré à une réflexion socio-philosophique, alors inédite en France. Il participe au groupe de préfiguration du Centre Pompidou, qui allait héberger le CCI. À la suite de frictions avec son président, Robert Bordaz, il est renvoyé en bonne et due forme en 1976. Il quitte la fonction publique, mais n’a pas pour autant dit son dernier mot à l’administration. Après un passage éclair à la revue L’Architecture aujourd’hui, puis quatre années de conseil pour la politique architecturale de Renault, il se trouve propulsé en 1981 à la direction du parc de La Villette. « On a voulu inventer un parc qui soit un morceau de ville et non un conservatoire de la nature dans le tissu urbain. On voulait un parc pour la population active », rappelle-t-il. Son goût de l’événementiel trouve en 1987 sa pleine expression dans la manifestation à succès Cités-Ciné.

Boîte à idées
François Barré a la bougeotte. Il agace rapidement aussi, ce qui lui vaudra des démissions pas nécessairement volontaires. « J’ai toujours connu François Barré en partance. À chacune de nos rencontres, il était plus ou moins en train de faire ses valises… Je comprends François, toujours sur le départ et dont la passion est de créer à sa façon personnelle de très ambitieux projets. Il s’ennuie dès qu’il faut ronronner placidement », déclare son complice, le scénographe François Confino, maître d’œuvre de Cités-Ciné. Barré retourne dans l’administration centrale comme délégué aux Arts plastiques en 1990, avant de siéger trois ans plus tard à la présidence de Beaubourg. Un pied de nez incroyable à l’institution qui l’avait renvoyé ! Mais un retour moins triomphant qu’il n’y paraît. Des dissensions avec les conservateurs, la désapprobation officieuse de Claude Pompidou, écourtent son mandat. « Il a été victime du système. Ses choix artistiques ne coïncidaient pas avec la droite conquérante. Barré était parfaitement adapté au changement en cours qui voulait que le président soit un animateur culturel et non un gestionnaire. Les conservateurs acceptaient mal cette situation », observe un proche. François Barré reste elliptique sur ce chapitre. « La mobilité et la pluralité étaient les mots d’ordre de Beaubourg à sa création. Quand j’y suis revenu, j’ai retrouvé les mêmes personnes qu’à l’origine. Je n’aime pas l’ensommeillement. Les gens qui s’occupent de culture doivent être astreints à la mobilité. Sinon on s’abîme les papilles, on a moins d’acuité », déclare-t-il.

Rompu à l’art du rebond, François Barré se retrouve en 1996 à la direction de l’Architecture du ministère de la Culture, qui devient bientôt direction de l’Architecture et du Patrimoine. Sur fond d’hostilité estudiantine, il doit en découdre avec une profession en crise et des écoles aux équipements obsolètes. Cueilli à froid par des grognes tous azimuts, il démissionne en 2000. Les spécialistes de l’architecture lui reprochent de ne pas avoir engagé de véritable réforme de l’enseignement. « C’est précisément parce qu’il a des capacités intellectuelles énormes qu’on avait tous beaucoup cru en lui et qu’il a beaucoup déçu. Il ne tient pas ses promesses », juge un observateur. À sa décharge, François Barré invoque les pressions corporatistes, un syndicalisme sclérosant, la schizophrénie du monde de l’architecture : « Pour faire une réforme de l’enseignement, il faut plus que des bonnes résolutions. Il faut un ministre. »

Boîte à idées, François Barré excelle dans le conseil. « C’est un visionnaire brillant, mais qu’il faut encadrer », déclare un ancien familier. Attaché au concept, il néglige la gestion. « Il est très ouvert. Mais il est difficile d’avoir une discussion suivie avec lui. Sa carrière reflète un peu ce travers : il ne finit pas toujours ce qu’il a commencé », confie une ancienne collaboratrice. De son propre aveu, il serait plus « sprinter que marathonien » : « J’adore déléguer. J’ensemence, mais, après, il y a de meilleurs réalisateurs ». Bien qu’officiellement retraité dans le courant du mois de janvier, le caméléon arbore toujours plusieurs casquettes : président des Rencontres internationales de la photographie d’Arles, conseiller de Léon Bressler (président d’Unibail), de François Pinault pour sa fondation, de la Ville de Mulhouse, de la Ville de Saint-Étienne pour laquelle il concocte un projet de fête de la Ville ou encore d’EMGP (Entrepôts et magasins généraux de Paris) pour la création d’un nouveau quartier à Aubervilliers.

Malgré sa verve de tribun, François Barré est un homme de l’entre-deux. Certains estiment qu’à trop naviguer dans plusieurs eaux, il en devient insaisissable. Ses anciens amis gauchistes voient en lui un « social traître » s’acoquinant avec le Grand Capital, les autres trouvent qu’il donne trop de gages au Parti communiste. « Il a une notion de service public et non de parti », défend son épouse Arlette Despond-Barré, chargée de mission pour l’enseignement artistique à la délégation aux Arts plastiques. S’auto-qualifiant de « gaucho agité du bocal », François Barré ne s’accroche pas aux vieilles lunes. « Il s’engage, il a des convictions sur le fait que l’art doit être social. Il a le sens de la culture tout en maîtrisant tous les rouages de l’État. Il sait être diplomate », estime son ami l’architecte Bernard Tschumi, lauréat pour l’aménagement du parc de La Villette. « C’est un technocrate habile. Comme tout directeur dans l’administration, il ne dirige pas, il applique des directives », tranche un de ses anciens collaborateurs. Bien qu’il s’en défende, le lignage de l’ÉNA lui a ouvert bien des portes. La rhétorique séduisante dont il gaine ses propos en fait d’ailleurs un animal politique. « Jamais personne n’a ignoré mes convictions. Je n’aime pas la “cléricature”, comme disait Léo Ferré, les donneurs de leçon qui pensent être plus vertueux parce qu’il travaillent dans le service public. Je suis tout terrain. Même si les cabinets ministériels changent, la logique du service public doit être continue », insiste-t-il. Ou l’art d’être à la fois hors et dans la norme.

François Barré en 8 dates

1939 : Naissance à Paris.
1969 : Fondateur puis directeur adjoint du Centre de création industrielle.
1977 : Conseiller du président de Renault.
1981 : Directeur délégué du parc de la Villette.
1990 : Délégué aux Arts plastiques.
1993 : Président du Centre Pompidou.
1996 : Direction de l’Architecture.
2000 : Conseiller de François Pinault pour sa fondation.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°184 du 9 janvier 2004, avec le titre suivant : François Barré

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