Russie

Moscou lance sa première Biennale d’art contemporain

Le Journal des Arts

Le 21 janvier 2005 - 975 mots

Une quarantaine d’artistes sélectionnés par un prestigieux commissariat comprenant notamment Nicolas Bourriaud, Hans Ulrich Obrist ou Rosa MartÁ­nez s’apprêtent à affronter l’hiver moscovite.

MOSCOU - « À la poubelle ! », s’est écrié Joseph Backstein, commissaire coordonnateur de la première Biennale d’art contemporain de Moscou (28 janvier-28 février 2005), en découvrant le projet du dossier de presse pour la biennale, débordant de noms de célébrités mondiales de l’art comme Maurizio Cattelan ou Damien Hirst. Il s’emploie depuis à souligner le parti pris de son équipe de commissaires : contribuer de façon inédite à introduire la Russie dans le contexte post-soviétique de la mondialisation de l’art. Le principal événement de la biennale aura lieu au Musée Lénine, à côté de la place Rouge, sous le titre « Dialectique de l’espoir », clin d’œil à l’utopie communisme désormais abandonnée aux pressions capitalistes, comme allusion aux espoirs de progrès liés au retour de la Russie dans l’orbite occidentale. Joseph Backstein s’attend d’ailleurs à des manifestations de vétérans communistes en colère pour qui le musée reste un sanctuaire.

Les échanges d’abord
« La biennale sera consacrée aux nouveaux artistes, ceux qui dessineront l’art international des dix prochaines années », a assuré Joseph Backstein. Parmi la quarantaine d’artistes internationaux sélectionnés, citons les trois Français Boris Achour, Saâdane Afif, Melik Ohanian, et aussi Pawel Althamer, De Rijke/De Rooij, Trisha Donnelly, Gelatin, Koo Jeong-A, Tino Sehgal, Santiago Serra, Yang Fudong. Les participants russes représentent 15 % du total. Parmi eux : David Ter-Oganyan, lauréat en novembre 2004 du nouveau prix Carré Noir, réservé aux jeunes artistes russes, ce pour un ensemble de tableaux schématiques décrivant les plans d’une attaque terroriste. Joseph Backstein a aussi confirmé la participation de Jeremy Deller, lauréat 2004 du Turner Prize. À côté du Musée Lénine, les deux autres principaux sites de la biennale seront l’ancienne station de métro Mont-Lénine, près de l’université d’État de Moscou, et le Musée d’architecture Schusev. Les projets spécifiques et les programmes parallèles sont disséminés dans toute la ville.
« Comme c’est la première Biennale de Moscou, c’est un système à créer et à installer pour la première fois », a déclaré Rosa Martínez, co-commissaire de la prochaine Biennale de Venise, et l’un des grands commissaires internationaux de la manifestation moscovite. « Pour nous commissaires, il y a aussi un intérêt à relever ce défi et à reprendre l’esprit d’Aperto 93 », a-t-elle ajouté en se référant à la section de la Biennale de Venise consacrée aux nouvelles tendances artistiques, section abandonnée il y a dix ans.
Selon Joseph Backstein, « le public veut voir des artistes russes ; l’avant-garde russe et le réalisme socialiste ont constamment fait partie de l’art occidental ». Christian Boltanski, qui présentera pour l’occasion une nouvelle installation au Musée d’architecture, estime qu’« aujourd’hui, nous savons tout sur l’art polonais, hongrois et tchèque. Lors des biennales d’Istanbul ou de Corée du Sud, l’intérêt est plus lointain. Il est plus vif en Russie, parce que la Russie c’est pratiquement l’Europe ».
Le gouvernement russe semble lui aussi éprouver un véritable intérêt pour la biennale, soulignant sa portée politique pour la promotion de l’image de la Russie. « C’est la première fois que la Russie recrute de grands spécialistes », relève Joseph Backstein en commentant l’impressionnante liste des commissaires où figurent Daniel Birnbaum, Iara Boubnova, Nicolas Bourriaud et Hans Ulrich Obrist. Joseph Backstein a lui-même assuré le commissariat des participations russes à Venise et à São Paulo.
Selon Rosa Martínez, la même équipe devrait superviser la prochaine biennale, annoncée comme plus « transgénérationnelle ».
Joseph Backstein a confié qu’il avait réussi à convaincre la directrice du Musée Lénine, Irina Antonova, de la nécessité de la biennale en l’assurant que le soutien apporté à ce type d’art s’accordait pleinement avec la notion russe d’intelligentnost (éducation culturelle). Jusqu’alors, la manifestation la plus conceptuelle qu’ait proposée Irina Antonova (à son propre insu) aura été une grande exposition de sculptures de Gina Lollobrigida, en 2003 (!).
Oleg Kulik, Vinogradov et Dubosarski, artistes vivant en Russie, et le groupe AES F, qui a exposé à la dernière Biennale de Sydney, présenteront leur travail collectivement sous le nom de groupe « Starz ». Le marchand, agent et stratège politique Marat Gelman, proposera « Rossiya 2 », pour servir de contrepoint à l’autoritarisme envahissant du président Poutine.
La biennale est subventionnée et organisée par le ministère de la Culture et l’agence fédérale pour la culture et le cinéma, qui lui est rattachée et que dirige Mikhail Chvydkoi, ministre de la Culture jusqu’au remaniement ministériel de mars 2003. Le budget est faible – 43 millions de roubles (1,16 million d’euros) – mais, comme le rappelle Rosa Martínez, « toutes les biennales auxquelles [elle a] travaillé ont toujours manqué d’argent ».
Fondateur de la première école russe d’art contemporain, Joseph Backstein s’enorgueillit d’être un franc-tireur, mais il murmure que le changement doit venir d’en haut et reproche aux milliardaires russes de n’avoir pas l’audace de s’intéresser de près à la biennale.
Joseph Backstein et Rosa Martínez ont tous deux balayé les principales questions suscitées par la biennale : aura-t-elle lieu, et de quelle qualité sera-t-elle ? « En Russie, un tel projet est toujours une aventure », note Joseph Backstein. « Vous devez être certains qu’elle aura lieu ou que rien n’aura lieu. Voilà la Russie, tout s’y fait toujours à la dernière minute ! » Et Rosa Martínez d’ajouter : « Nous avons disposé de davantage de temps pour préparer la Biennale de Moscou que celle de Venise, et les deux auront lieu ! Il y a toujours des gens pour y croire et d’autres pour ne pas y croire. Nous travaillons très dur, le projet est là, il pourrait manquer de perfection, là n’est pas ce que nous recherchons, mais l’énergie et les échanges. Elle aura lieu à Moscou aussi bien qu’à Venise et Istanbul. »

Rens. : www.moscowbiennale.ru 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°207 du 21 janvier 2005, avec le titre suivant : Moscou lance sa première Biennale d’art contemporain

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