Annette Messager

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 27 mai 2005 - 1380 mots

Maître d’œuvre du pavillon français à la Biennale de Venise, l’artiste Annette Messager s’est taillé un chemin lent, mais régulier, sur la scène internationale.

Ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. Tel est le sentiment qu’inspire le parcours d’Annette Messager. Depuis trente ans, l’artiste française tricote une mythologie personnelle dont les concepts et les formes se sont renouvelés de façon à la fois imprévisible et logique. « Ni ignorée ni portée », selon la formule d’un proche, elle s’est hissée dans le palmarès des artistes internationaux. Sans coup de force ni précipitation. Presque sans que la France n’y prenne garde ! À la fois grave et légère, obscure et sombre, son œuvre rallie un large public. Sans doute parce qu’elle intègre le registre des émotions, même lorsque les grands sentiments peuvent frôler le grand-guignol ou le ridicule.

Descendue de sa ville natale de Berck-sur-Mer à Paris, Annette Messager s’inscrit à l’École nationale des arts décoratifs avec la résolution d’être artiste. Elle multiplie les emplois alimentaires, dessine sur des miroirs et devient même représentante de commerce. Timide et secrète, elle répugne alors à montrer son travail personnel. Car, dans les années 1970, Annette Messager cumulait trois « handicaps » : être artiste femme, parler des femmes et vivre avec un artiste homme plus célèbre, Christian Boltanski. Des « entraves » qui n’en font pas pour autant une militante. « J’étais militante dans mon travail, mais c’était plus souterrain, en négatif. Je rentrais dans la soumission pour mieux l’infiltrer », explique-t-elle. Loin des débats théoriques des gender studies (« études de genre »), elle refuse de participer aux expositions d’artistes femmes. « Elle n’a pas fait de chantage à la féminité pour accéder à la reconnaissance, genre “il vous en faut une pour le quota”, remarque l’historien d’art Didier Semin. Elle n’a jamais joué ni de son charme ni de la culpabilité des mâles dominants. » Elle tire plutôt sa force de la puissance des minorités, s’attache aux arts populaires, renvoie à la part commune de chacun et fait du doute le pivot de son travail. Comme Lola Montes, elle se crée un personnage à multiples identités, devient « Annette Messager collectionneuse », « femme pratique », « truqueuse », « colporteuse ». Elle s’approprie les attributs de la féminité, voire de la midinette, pour les détourner. Avec les « Chimères », elle braconne du côté du romantisme noir, s’inspire de Mary Shelley et de William Blake. « Elle travaille sur le refoulé, ce qui peut irriter ou inquiéter certains », souligne le critique d’art Bernard Marcadé.

Des Pensionnaires de 1972 aux Articulés-désarticulés de 2000, en passant par les Vœux des
années 1990, Messager tire sa force de sa capacité de renouvellement. Son univers, d’abord clos, s’ouvre à un monde fragmenté de corps hybrides. « Elle avait déjà un vrai projet esthétique, qu’elle n’a cessé de creuser. Les concepts ont été positionnés très précisément et très vite », constate Jean-Louis Froment, ancien directeur du capcMusée d’art contemporain de Bordeaux. « La complexité formelle est allée croissante jusqu’à l’œuvre de la Documenta de Cassel en 2002, où l’on est revenu à une genèse, à des formes simples, primordiales d’une pensée qui n’est plus celle de la diversité, mais du dénominateur commun de l’humain », poursuit Catherine Grenier, conservatrice au Centre Pompidou.

En perpétuelle réflexion, Annette Messager craint de voir son image figée, notamment dans les rétrospectives. Lors de celle au Musée de Grenoble en 1989, elle fut prise de rhumatismes et de brûlures d’estomac. « Chaque exposition me donne envie de fuir, confie-t-elle. Il n’y a pas d’endroit neutre. Je commence toujours par être terrorisée, et après j’apprivoise. Après l’exposition au CAPC en 1996, je me suis dit que n’importe quel espace serait facile. » Elle appréhende d’ailleurs des espaces de plus en plus grands, avec le Musée de l’Hospice Comtesse pour Lille 2004 ou le Couvent des Cordeliers à Paris la même année. Ses installations passent du minuscule au monumental, sans céder pour autant au gigantisme. Depuis quatre ans, elle y injecte le mouvement, en latence avec la Promenade des pensionnaires, puis dans les objets suspendus.

Œuvre métaphorique
Bien qu’exposée par des galeries américaines puissantes comme Larry Gagosian et aujourd’hui Marian Goodman, elle ne s’est que peu souciée de sa cote. « Je n’ai pas été préoccupée par le marché, sans doute pas assez, remarque-t-elle. J’ai eu la chance d’être toujours libre. Si j’avais été obsédée par le marché, j’aurais fait une usine entière avec la série des Vœux. » De son propre aveu parfois agressive dans les vernissages, elle n’a pas l’entregent des artistes stratèges. « Elle n’aime pas les voyages. Elle refuse parfois des dîners, et rentre seule dans sa chambre d’hôtel en se demandant ce qu’elle fait là. Elle n’est pas tentée par les grands raouts, presque par inaptitude physique », observe Didier Semin. Disponible, sympathique, Annette Messager vit plus de plain-pied dans la réalité d’une résidente de Malakoff que dans celle d’une star internationale. « Le fait d’être devenue plus célèbre et riche n’a rien changé à son mode de vie. Elle est respectueuse des autres, très sérieuse, engagée dans ses accrochages, sans caprices », insiste Catherine Grenier.

Le regard de la critique a sensiblement évolué, sans qu’elle l’ait forcé pour autant. Par un travail « sous vent », pour reprendre le titre d’une œuvre, elle a installé le paysage dans lequel elle est reconnue aujourd’hui. « Elle a manifestement beaucoup d’influence sur les adolescents qui présentent des dossiers à l’École des beaux-arts. Il y a beaucoup d’Annettes », s’amuse Didier Semin. Si son empreinte sur l’artiste californien Mike Kelley est évidente, d’autres l’ont aussi rapprochée de Louise Bourgeois. « Il n’y a pas d’influences directes, mais des coïncidences. Louise Bourgeois n’avait pas vu l’œuvre d’Annette. Annette a découvert l’œuvre de Louise tard », observe Marie-Laure Bernadac, chargée de mission pour l’art contemporain au Musée du Louvre. Contrairement à celle de son aînée, l’œuvre d’Annette Messager est aussi plus métaphorique qu’autobiographique. Avec le tanin de l’expérience, on tend aussi à moduler l’influence de Boltanski, plus proche aujourd’hui d’un prince consort que d’un mentor ! « C’était dans les années 1970 un couple d’artistes en vases communicants, rappelle pourtant Marie-Laure Bernadac. Au départ, ils ont une démarche jumelle, c’était l’effet génération 1970, une génération qui part du dérisoire, du sensible. » Mais comme le souligne Bernard Marcadé, « Annette est une énorme travailleuse et ça s’est vu. Il a fallu convenir que c’était une œuvre, et non un compagnonnage ».

La reconnaissance est d’abord venue de l’étranger, notamment d’Allemagne et des États-Unis où son travail très visuel fait mouche. Comme souvent, les institutions françaises ont traîné la patte. « On disait qu’il y avait assez d’œuvres dans les Fonds régionaux d’art contemporain et qu’il n’était pas nécessaire pour Beaubourg d’en acquérir », fulmine encore Marie-Laure Bernadac. Alors qu’elle a bénéficié dès 1995 d’une rétrospective au Museum of Modern Art (MoMA) de New York, le Centre Pompidou ne lui en accordera une qu’en 2007 ! De même, son nom avait circulé en vain dans les commissions des deux dernières Biennales de Venise avant de s’imposer pour le cru 2005. « Certains disaient que c’était trop tard, que ce n’était plus la peine », rappelle Guy Tosatto, directeur du Musée de Grenoble.

Bien que les prétendants au rôle de commissaire pour la Biennale fussent légion, Annette Messager a choisi Suzanne Pagé, directrice du Musée d’art moderne de la Ville de Paris [avec Béatrice Parent]. « Ça allait de soi, indique l’artiste. Au début des années 1970, elle m’avait dit : “Si tu continues comme ça, je te ferai une exposition tous les dix ans”. Ce qu’elle a fait. Les expo-sitions de l’ARC font partie de ce que je suis. » Pour son projet baptisé « Casino », basé sur la transformation d’un pantin en homme – Pinocchio ? –, elle s’appropriera entièrement l’espace très logique du pavillon français. Une nouvelle étape dans sa maîtrise des volumes.

Annette Messager en dates

1943 Naissance à Berck-sur-Mer
1973 Première exposition personnelle à l’ARC-Musée d’art moderne de la Ville de Paris
1989 Rétrospective au Musée de Grenoble
1995 Rétrospective au MoMA (New York)
2002 Documenta 11 à Cassel
2005 Pavillon français à la Biennale de Venise (12 juin au 6 novembre)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°216 du 27 mai 2005, avec le titre suivant : Annette Messager

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