Trois questions à

Bernard Darties, chef adjoint de l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC)

« Les marchands français ne sont pas des receleurs »

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 16 décembre 2005 - 797 mots

Comment voyez-vous le marché de l’art ?
L’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) évoque un certain nombre de problèmes lors des réunions mensuelles de l’Observatoire du marché de l’art, en présence de l’ensemble des intervenants du marché et des institutions. Il est étonnant que les adhérents du SNA (Syndicat national des antiquaires) et des différents syndicats professionnels ne demandent pas à ce que tous les pays de l’Union européenne soient soumis à la réglementation qui leur est imposée. Pour sa part, l’OCBC prend position pour une traçabilité des objets (à travers la tenue d’un livre de police qui s’est étendue en France aux salles des ventes depuis la mise en place de la réforme en 2002). Nous sommes aussi pour une uniformisation du droit européen en matière de recel (le délit, continu et imprescriptible en France, est instantané et prescrit au bout de trois ans seulement en Belgique par exemple). Le trafic des biens culturels résulte des disparités juridiques en Europe. Les objets volés en France partent rapidement à l’étranger, notamment en Belgique, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni (soit les pays les moins contrôlés). Ces derniers sont la plupart du temps des pays de transit vers les destinations finales que sont les États à forte capacité financière comme les États-Unis. En France, il est très dangereux de se livrer au recel. Les marchands français, qui le savent bien, en ont très peur. Ce ne sont pas des receleurs. Leur truc, c’est plutôt la fraude fiscale.

Quelle est votre dernière émotion artistique ?
Un très beau buste d’Aphrodite, copie romaine d’une sculpture classique grecque disparue, présenté par la galerie Phoenix Ancient Art de Genève au Salon du collectionneur à Paris en septembre. Son corps aux courbes sensuelles s’épanouissait dans un léger déhanchement.

Quels sont vos missions et objectifs actuels ?
L’OCBC fête cette année ses trente ans d’existence. Cet office à vocation interministérielle, basé à Paris et actuellement dirigé par le colonel Roger Lembert, appartient à la direction centrale de la police judiciaire. Il compte trente personnes, la moitié sont des gendarmes, l’autre moitié, des policiers. Seul service de police à avoir une compétence nationale, l’OCBC est le bureau d’Interpol pour les biens culturels en France (patrimoine public et privé). Nous sommes compétents pour toutes les demandes émanant de la France vers l’étranger et vice versa. Pour ce faire, nous disposons de toutes les clés pour déclencher des enquêtes à l’international, et l’on ne s’en prive pas (c’est notre côté répressif).
L’autre aspect de notre mission concerne la partie documentaire. En 1995, nous avons lancé Treima (1), une base nationale photographique répertoriant des objets volés en France (35 000 chaque année) et d’autres à l’étranger. Depuis mars 2005, Treima 2, un système ultramoderne mis au point par une société française, a pris le relais. Nous sommes le seul pays au monde à l’avoir. Son principe est simple : lorsqu’on trouve un objet suspect, on injecte sa photo dans la base. On voit tout de suite si l’objet est fiché chez nous. Pour cela, Treima 2 utilise les techniques du morphing. Nous faisons encore de la recherche ciblée, mais bientôt, nous passerons à la recherche automatisée sur Internet (sites de maisons de ventes publiques et sites de courtage en ligne). Nous souhaitons également ouvrir Treima 2 (uniquement les fiches d’objets sans le nom des victimes) à tous les acteurs du marché de l’art en France (marchands, commissaires-priseurs, experts…), pour leur donner la possibilité de faire des vérifications avant acquisition. Si 10 % des professionnels nous aident en signalant des objets volés grâce à ce système, les résultats de l’OCBC sont multipliés par 100. La base est efficace dès lors qu’elle est alimentée dans un temps très court. Par conséquent, la consultation par les professionnels n’est pas une garantie de non-recel. Mais cela reste une démarche positive de leur part.
Un autre chantier en cours, au sein d’Europol cette fois-ci, est de proposer une base européenne informatisée qui soit une déclinaison de la base française Treima 2. C’est aujourd’hui ma mission principale. Son coût est faible : de 1 à 2 millions d’euros. La Commission européenne est actuellement consultée pour le lancement du projet. Mais la motivation est très variable d’un pays à l’autre. Si des États sont déjà convaincus comme l’Italie, l’Espagne, la Grèce, mais aussi la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie – qui découvrent le pillage –, les Anglais prônent un ultralibéralisme. La Belgique et les Pays-Bas réagissent de façon positive. Mais le projet d’uniformisation du contrôle du marché de l’art par une traçabilité semblable au système français pourra difficilement fonctionner tant qu’il n’y aura pas de livre de police dans ces pays – ce qu’ils refusent au nom de l’atteinte au commerce.

(1) Thesaurus de recherche électronique et d’imagerie en matière artistique.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°227 du 16 décembre 2005, avec le titre suivant : Bernard Darties, chef adjoint de l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC)

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