Centre d'art

L'actualité vue par

Éric Mangion, directeur du centre d’art de la Villa Arson à Nice

« Il faut créer les conditions d’une scène attractive »

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 20 janvier 2006 - 1316 mots

Titulaire d’un DEA en histoire de l’art, Éric Mangion a été directeur du Fonds régional d’art contemporain Provence-Alpes-Côte d’Azur (FRAC PACA), à Marseille, de 1993 à 2005. Il a organisé dans ce cadre de nombreuses expositions. En parallèle, il mène également une activité de critique d’art. Il vient d’être nommé directeur du centre d’art de la Villa Arson, à Nice. Éric Mangion commente l’actualité.

Après avoir dirigé pendant de nombreuses années le FRAC PACA, à Marseille, vous êtes aujourd’hui directeur du centre d’art de la Villa Arson, à Nice. Le fait que ce lieu se trouve dans une école d’art va-t-il influer sur votre politique d’exposition ?
Le centre d’art ne doit pas apparaître comme une simple galerie de l’école. Il doit absolument conserver son autonomie de pensée et d’action. Néanmoins, il serait stupide de travailler chacun de son côté et de s’ignorer alors que nous « vivons » sous le même toit. Un centre d’art de cette dimension à l’intérieur d’une école est une situation exceptionnelle, unique en France. Par conséquent, nous devons absolument mettre en place des actions communes autour des expositions proposées, faire en sorte que le centre d’art fonctionne comme un outil de réflexion pour les enseignants et étudiants. C’est pour cette raison, et de manière très symbolique, que la première exposition que j’organise s’appellera « Transmission ». Elle aura pour but non seulement d’étudier comment certains artistes contemporains inventent des modes de transmission originaux, mais aussi d’interroger le rôle de transmission que joue l’art proprement dit au contact de son enseignement.

Les étudiants de l’école d’art de la Villa Arson dénoncent actuellement la vacance de certains postes de professeurs. Qu’en est-il exactement ?
Pour différentes raisons, quatre enseignants ont quitté la Villa Arson ces derniers mois et n’ont pas été remplacés. À l’horizon 2007, quatre nouveaux départs sont annoncés. Les enseignements fondamentaux de sculpture et de peinture sont menacés de disparition. La colère des étudiants est donc légitime et saine. Cette situation est le fruit d’une politique gouvernementale qui, au nom de la nécessité d’économie budgétaire, applique une réduction de l’enseignement à l’aveuglette, sans en mesurer les conséquences directes. Ceci étant, c’est aussi à la Villa Arson d’inventer un projet et une dynamique qui feront que certains professeurs ne souhaiteront plus partir, et que la force d’attraction de notre structure soit telle que des solutions soient plus facilement envisageables par tous.

Le Magasin vient de rouvrir à Grenoble dans le contexte ministériel d’une année consacrée à un « Tour de France des centres d’art ». Pourtant, les crédits nécessaires à leur fonctionnement restent faibles et ont même diminué. Cette situation est-elle inquiétante ? Des financements privés peuvent-ils prendre le relais ?
Nous avons d’un côté un Premier ministre et un ministre de la Culture aux discours et aux ambitions volontaristes ; de l’autre, des moyens liés à la création et à l’enseignement plus que restreints. Ce paradoxe est difficilement compréhensible, même si on demeure conscient de la difficulté de mettre en place des initiatives en cette période de réduction drastique des déficits publics. Mais, une fois de plus, ce sont les mesures à l’aveuglette que j’ai du mal à saisir. Certaines questions ne sont pas ouvertement posées, de peur semble-t-il de leurs conséquences peut-être fâcheuses sur l’image d’un État « toujours et à jamais » providentiel. Il manque à la politique artistique une grande réflexion commune sur la ventilation des budgets et la conséquence des restrictions imposées. Avec Martin Bethenod, puis désormais avec Olivier Kaeppelin, la délégation aux Arts plastiques fait preuve depuis peu d’une réelle capacité au dialogue. Elle doit maintenant trouver des solutions pour que ce débat devienne constructif. De même, tant que le milieu artistique français ne représentera pas une « force » politique et culturelle comme celle du spectacle vivant, il sera toujours difficile de se faire entendre. Quant au mécénat, on sent depuis peu aussi des efforts établis de part et d’autre. Le public apprend à parler au privé et vice versa. Mais il faut être lucide, le mécénat pourra financer certaines opérations, mais ne pourra jamais prendre en charge le fonctionnement « lourd » des structures, comme le salaire des enseignants par exemple. 

Plusieurs expositions se consacrent actuellement à la scène française, d’abord au Palais de Tokyo, puis en mai au Grand Palais, à Paris. Comment analysez-vous cette prise de conscience ?
Je comprends la nécessité d’organiser ce type de manifestation qui a pour but de créer des événements identitaires et symboliques du type de la Biennale du Whitney ou de « Greater New York » (1), et qui font a priori défaut en France. Pourtant, les faits prouvent que les institutions, comme les galeries françaises, ont toujours su exposer différemment des artistes français (mais il est vrai sans les nommer ou les valoriser comme tels). Alors quelle est la nature exacte du problème ? Tout simplement que les prix de vente des artistes français sont ridicules à côté de ceux de leurs voisins. Et pourtant, quand on les prend un par un, ils n’ont rien à leur envier sur un plan strictement artistique. Pour moi, Xavier Veilhan n’a rien à envier à Damien Hirst (bien au contraire), et Tatiana Trouvé est bien plus subtile que Tracey Emin, tout comme les Nouveaux Réalistes n’avaient à l’époque pas à pâlir du pop art américain. Dans cette histoire, tout le monde accuse tout le monde : les artistes reprochent aux critiques de ne parler que des étrangers, les critiques reprochent aux institutions d’être trop conventionnelles, les galeristes accusent les collectionneurs de toujours privilégier les galeries ou les artistes étrangers… Cela fait partie de notre folklore local. On ferait mieux de regarder la réalité en face. Et la réalité, aujourd’hui, c’est que le gros marché international fait le succès international d’un artiste. Et, dans ce domaine, nous ne sommes pas à la hauteur. Soit nous cherchons à combler notre carence ou notre retard (mais cela semble à mes yeux peine perdue : voir l’affaire Pinault). Soit nous retroussons nos manches pour réfléchir ensemble à des systèmes autrement plus compétitifs. Cette deuxième solution me paraît beaucoup plus intéressante, à condition cependant de cesser de lorgner vers des pratiques – au fond – peu intéressantes. Et à condition aussi de croire à des modes d’évaluation artistique qui ne tiennent pas compte de tel ou tel dernier « coup » du marché, mais qui produisent un vrai débat critique. De même, il faut créer les conditions d’une « scène » attractive au sein d’une émulation collective. Pour cela, la dernière FIAC [Foire internationale d’art contemporain] a été une vraie réussite à mes yeux. Il y avait tant d’événements de qualité au même moment qu’on avait l’impression que Paris était à nouveau le centre du monde artistique. Je suppose que ce type d’euphorie ne peut être que positif pour l’image culturelle de notre pays.
 
Quelles expositions vous ont marqué récemment ?
En premier lieu, et comme beaucoup de monde, « Dada » au Centre Pompidou. Au-delà de la découverte d’un grand nombre d’œuvres mythiques et essentielles que je n’avais vues qu’en reproduction, il y a pour le professionnel que je suis le génie du commissariat. Il fallait beaucoup d’intelligence pour rendre ce magma d’objets attractif et lisible. J’ai également beaucoup apprécié l’exposition « John Baldessari » au Musée d’art contemporain de Nîmes. Même si le travail de cet artiste peut apparaître parfois un peu scolaire et didactique, il est pour moi une version pop de l’art beaucoup plus intelligente que celle de Warhol, dont le travail est devenu au fil de l’âge une triste parodie nocive de lui-même. Enfin, j’ai été marqué il y a quelques mois par l’exposition « Translation » au Palais de Tokyo, mais de manière négative. La mise en scène des [graphistes] M/M, tout comme le discours qui l’entourait, m’ont fait penser à une vaste campagne d’autopromotion sans intérêt.

(1) au PS1 à New York (mars-septembre 2005).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°229 du 20 janvier 2006, avec le titre suivant : Éric Mangion, directeur du centre d’art de la Villa Arson à Nice

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