Art contemporain

Los Angeles, « In the City of Light »

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 17 mars 2006 - 817 mots

Dans un parcours chronologique, le Centre Pompidou retrace trente ans de création artistique sur la Côte ouest, de Kienholz à Kelley, en passant par Ed Rusha et Chris Burden.

PARIS - On connaît les limites des expositions construites sur une identité géographique, qui, souvent, en forçant l’insularité de la scène artistique visée, produisent un effet CQFD, travaillant plus à confirmer l’hypothèse de leur principe initial qu’à la formation d’un regard renouvelé. L’exposition « Los Angeles 1955-1985 », présentée au Centre Pompidou et conçue par Catherine Grenier, ne se réduit pas à ce schéma. Elle réserve au contraire son lot, sinon de surprises, du moins d’éclairages captivants tant sur les moments historiques d’une scène réellement ouverte et foisonnante que sur l’identité culturelle cosmopolite et effervescente d’où proviennent Mike Kelley, Paul McCarthy, Jason Rhoades et nombre d’artistes plus jeunes. Le propos de l’exposition est délibérément historique, répondant au souci d’élargir le regard européen sur un aspect de l’art américain connu au travers de figures isolées, mais peu dans sa dimension propre, nourrie d’une esthétique non hiérarchique, indépendante et non conformiste, d’énergie créatrice et d’ouverture sur les réalités culturelles et sociales contemporaines – musique, cinéma, politique. L’esprit artistique de L.A., au long des trente ans parcourus par l’exposition, s’est enrichi de son contexte fait de Disney et de multiculturalisme, d’Hollywood et de contre-culture. Le monde de l’art est multipolaire et surtout, comme le souligne la commissaire, il est traversé par l’attention portée à l’idée d’expérience au sens où les Américains, et particulièrement ceux de l’Ouest, l’entendent : expérience tout à la fois phénoménologique, psychédélique, spirituelle, communautaire, banale, inspirée de l’ordinaire de supermarché et du rêve cinématographique, de l’easy-living californien et de la ville tentaculaire ; une expérience enfin qui réunit le low et le high.

Jazz
Chronologique, le parcours demeure un peu rigide et sec, la faute sans doute à une architecture assez convenue qui, cependant – accordons-lui les qualités de ses défauts – permet un découpage de cette histoire. Elle laisse au catalogue l’ouverture sur les différents contextes, ouvrage qui, à la suite de roboratifs articles historiques, se développe comme un journal nourri de témoignages, textes et documents d’époque. Le tout se révèle stimulant et frustrant comme une compilation, fût-elle bonne. En ouverture, le parcours de l’exposition pose le collage et l’assemblage comme une grammaire décisive pour un Edward Kienholz, mais aussi pour un David Hammons, qui donne dès la fin des années 1960 avec la défense de la communauté noire une dimension politique à son œuvre. Le jazz a de son côté marqué les consciences esthétiques, alors que des événements comme les émeutes raciales de Watts en 1965 entretiennent l’engagement de nombre d’artistes.

Puissance de trouble
Par l’objet trouvé, le rapport si particulier au monde ordinaire est posé, qui se retrouve dans les registres iconographiques des peintres (Ed Ruscha, Vija Celmins, Joe Goode), se prolonge dans le rapport à la matérialité concrète des abstraits – de John McCracken à Richard Jackson en passant par Billy A. Bengston, lequel soutient vouloir faire une peinture solide comme celle dont on décore les réservoirs de moto. Et se poursuit dans la mise en valeur de l’espace de la perception, avec James Turrell ou Robert Irwin.
Les conceptuels inscrivent eux aussi dans le monde vécu leurs constats photographiques (les culs de camions de John Baldessari ou le coin de la rue de Douglas Huebler). L’exposition change de rythme à partir des septième et huitième salles, vers 1967, quand la musique des Doors incarne une Californie Pop, quand Allan Kaprow, invité à enseigner à CalArts, construit un édifice en briques… de glace (UCLA, Pasadena Art Center : les écoles d’art sont longtemps les principales institutions pour l’art contemporain). Le happening croise l’influence de la Beat Generation, Chris Burden se fait crucifier sur un capot de Volkswagen, Allen Ruppersberg ouvre le « Al’s Cafe » et le cinéma (de l’Easy Rider de Dennis Hopper aux expérimentations les plus improbables) imprègne toute la culture visuelle. Nous ne sommes qu’à mi-parcours : viendront encore, peut-être trop isolées, les œuvres issues de l’activisme féministe, avec Judy Chicago ou le groupe ASCO ; puis un ensemble de Mike Kelley de 1981-1983, Jim Shaw, Raymond Pettibon… Le parcours s’offre dans sa richesse comme quasi objectif. Le regard de Catherine Grenier cependant, dont la sensibilité pour les zones parfois aux bords de la carte de la modernité, mais chargées de fortes densités physiques et mentales, d’inquiétante étrangeté et de puissance de trouble, a trouvé avec l’histoire qu’elle nous fait parcourir un territoire à sa mesure – que l’on partage avec bonheur.

Le titre de cet article est tiré de la chanson L.A. Woman, The Doors, 1971.

LOS ANGELES 1955-1985, NAISSANCE D’UNE CAPITALE ARTISTIQUE

Jusqu’au 17 juillet, Centre Pompidou, gal. 1, niv. 6, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, tlj sauf mardi 11h-21h. Catalogue, collection « XXe siècle », 400 pages, 600 illustrations, 44,90 euros, ISBN 2-84426-296-1.

LOS ANGELES 1955-1985

- Commissaire de l’exposition : Catherine Grenier - Nombre d’artistes : 84 - Nombre d’œuvres : env. 350 - Surface : 1 600 m2

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°233 du 17 mars 2006, avec le titre suivant : « In the City of Light »

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