Art moderne

XIXE SIÈCLE

Un Gauguin de pure forme

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 18 octobre 2017 - 819 mots

Consacrée aux motifs et aux techniques de l’artiste, l’exposition « Gauguin l’alchimiste », présentée dans les Galeries nationales du Grand Palais, laisse de côté sa personnalité.

Paris. En 2015, la Fondation Beyeler présentait à Bâle une rétrospective de l’œuvre de Paul Gauguin (1848-1903). Celle-ci réunissait une cinquantaine de tableaux parmi lesquels Le Christ jaune (1889), La Vision après le sermon (1888), D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? (1897) et Nafea faaipoipo (Quand te maries-tu ?) (1892). Ce dernier tableau fut vendu après l’exposition par son propriétaire, la Fondation Rudolf Staechelin, pour un prix secret, sans doute faramineux. Le commissaire de l’exposition, Raphaël Bouvier, avait mis six ans pour obtenir les prêts et déboursé des frais d’assurance vertigineux.

En France, la Réunion des musées nationaux n’a plus les moyens d’organiser une exposition de grande envergure sur le peintre comme celle qu’elle a présentée en 1989 au Grand Palais. Aussi « Gauguin l’alchimiste », événement monté en collaboration avec l’Art Institute de Chicago qui l’a programmé avant Paris, n’est pas une rétrospective, insiste Claire Bernardi, co-commissaire parisienne avec Ophélie Ferlier-Bouat au côté de Gloria Groom de Chicago. « Nous nous sommes arrêtées sur des ensembles d’œuvres qui faisaient sens parce qu’ils montrent une permanence du motif et des formes, de la sculpture à la peinture et à la gravure, précise-t-elle. [Les figures de] la Bretonne penchée, [de] la femme dans les vagues, [du] jeune Breton se baignant deviennent finalement des baigneuses tahitiennes, et la mélancolie dérivée d’une momie péruvienne se retrouve dans les toiles de la fin. Certains motifs deviennent des symboles. Il y a aussi des récurrences dans les façons de travailler. On a souvent isolé les années tahitiennes. Nous, nous voulons montrer qu’il y a une très grande cohérence de la pratique de Gauguin dès les premières années. »

L’autre spécificité de l’exposition réside dans la place importante donnée à la sculpture et à l’estampe. Un choix dicté en partie par les collections des musées organisateurs : l’Art Institute de Chicago est très riche en œuvres sur papier et, outre des toiles majeures – La Belle Angèle, Sur la plage, Arearea (Joyeusetés), Le Cheval blanc – le Musée d’Orsay a prêté nombre de sculptures (céramiques et bois), parmi lesquels les panneaux de la Maison du Jouir.
 

Une scénographie ouverte aux correspondances

Le principe scénographique, privilégiant des salles très ouvertes, permet de saisir les correspondances. Dans la première section, consacrée au « Laboratoire des formes », la petite bergère assise (La Bergère bretonne, 1886) apparaît dans un dessin (Jeune Bretonne assise) et sur la Jardinière à la bergère (1886-1887), véritable répertoire de formes où l’on retrouve aussi la jeune femme se coiffant déclinée sur divers supports. De même, la toile présentée dans l’entrée, Nature morte au profil de Laval (1886), est placée en regard de La Belle Angèle (1889) dont elle partage une composition par juxtapositions. Ce jeu subtil a ses limites : combien de visiteurs repèreront que Répétition d’un ballet sur la scène (1874) de Degas renvoie à Fête Gloanec (1888), une nature morte de Gauguin qui présente le même angle de vue ?

Le parcours se poursuit en mettant en relief les symboles présents dans l’œuvre, puis en amenant le visiteur à Tahiti et aux Marquises. Parfois, la répétition d’un thème frise le trop-plein : c’est le cas des différentes versions de Te Nave Nave Fenua (Terre délicieuse) (1892-1894), qui, sur le même mur, semblent exécuter un ballet. La réflexion poussée sur la forme, séduisante pour l’historien de l’art, pourrait ne pas être accessible à une partie du public. Elle dépossède aussi Gauguin d’un aspect de son œuvre. Mis à part dans la chronologie présentée au début, il n’est jamais question de son histoire personnelle. Or, dans la section « Misères humaines » se trouve la gravure Souvenir de Meyer De Haan (1896-1897). Deux femmes sont représentées auprès de l’ancien ami de Bretagne se tenant le menton. Ce dernier est-il seulement une « figure mélancolique » comme l’explique le texte de salle ? Meyer De Haan était un homme contrefait que l’accorte aubergiste surnommée Marie Poupée préféra à celui dont il se disait le disciple. Or, la « figure mélancolique » dérive d’une momie inca mais aussi, pour le visage, d’une photographie. En 1867, Cyprien Marie Tessié du Motay et Charles Raphaël Maréchal soumirent un collotype à la Société française de photographie. La chercheuse Andrea Van Houtven a montré que c’était un portrait de la jeune Marguerite Arosa (1854-1903), la fille de Gustave Arosa choisi en 1867 comme tuteur de ses enfants par la mère de Gauguin. Sur ce portrait, la jeune fille qui soutient sa tête de la main droite présente exactement la mimique et la chevelure détachée des différentes versions de Misères humaines (1889). La raison qui a poussé Gauguin à assimiler tout au long de sa vie la jeune Marguerite à une figure de trahison et de mort serait, tout autant que le motif récurrent qui en résulte, une clé pour comprendre son travail.

 

 

Gauguin l’alchimiste,
jusqu’au 22 janvier 2018, Galeries nationales du Grand Palais, entrée square Jean-Perrin, 75008 Paris.
Légende Photo :
Paul Gauguin, Soyez mystérieuses, 1890, bois de tilleul partiellement polychrome, traces de crayon de couleur sombre, 73 x 95 x 5 cm, Musée d’Orsay, Paris © Photo : RMN (musée d’Orsay) / Tony Querrec.

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°487 du 20 octobre 2017, avec le titre suivant : Un Gauguin de pure forme

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