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Marie-Anne Ferry-Fall : « Dans les arts visuels, quand on parle "panorama", nous sommes seuls pour défendre les droits des auteurs »

Directrice générale de l’ADAGP

L’ADAGP, que dirige depuis 2012 Marie-Anne Ferry Fall, profite de l’actualité législative pour faire entendre la voix des artistes.

Marie-Anne Ferry Fall dirige la société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) depuis 2012. Juriste de formation, elle a travaillé dix ans à la Société civile des auteurs multimédias (Scam), puis a intégré l’ADAGP en 2007. Cette année, elle a mené l’ADAGP en première ligne des débats sur l’exception de panorama et sur les questions de rémunération des auteurs dans l’univers numérique.

On n’a sans doute jamais autant parlé de l’ADAGP. D’où vient cette présence médiatique inédite ?
Il y a l’actualité législative, mais aussi le besoin de faire mieux connaître nos missions. Nous simplifions toujours en disant que nous sommes « la Sacem [Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique] des arts visuels ». Nous ne sommes ni la maison des artistes-sécurité sociale, ni le fisc. Nous exerçons notre mandat sous le contrôle du ministère de la Culture et de la Cour des comptes, mais nous sommes une société indépendante sans but lucratif. Au-delà de notre mission clé de perception et redistribution des droits d’auteur, nous couvrons toutes les questions de promotion et de lobbying liées au droit d’auteur. Enfin, nous travaillons grâce à notre action culturelle à la promotion des artistes et de leurs œuvres.

Combien d’artistes représentez-vous ?
Nous avons perçu l’année dernière 36 millions d’euros. À ce jour, l’ADAGP, c’est 11 500 auteurs membres en direct (dont 2 500 successions) sur le territoire français et en moyenne 600 nouveaux membres par an. Par les accords qui nous lient aux sociétés d’auteurs d’autres pays, nous représentons 130 000 auteurs du monde entier. La logique de guichet unique est aussi précieuse pour faciliter la redistribution aux artistes que pour nos utilisateurs afin qu’ils puissent s’acquitter des droits.

En 2016, qu’est ce qui vous a amené à prendre de fortes positions ?
Ce sont deux projets de lois : la loi création, architecture et patrimoine (LCAP) et la loi sur la république numérique. Suite au vote de la LCAP qui met en place une rémunération des auteurs par les moteurs de recherche d’images, les acteurs concernés ont six mois pour s’entendre (le projet énonce qu’« à défaut, une commission paritaire présidée par un représentant de l’État fixera le barème et les modalités de versement », ndlr). Nous attendons les rendez-vous avec les principaux opérateurs. Concernant le second projet de loi, il s’agit de la désormais fameuse exception de panorama, dont les discussions autour de la directive européenne ont marqué un tournant dans notre position. Tout a commencé par le rapport Reda de janvier 2015 et le débat monté de toutes pièces sur la prétendue pénalisation des internautes prenant en photo des monuments protégés. Il n’a jamais été question de condamner cette pratique, mais les contempteurs du droit d’auteur ont instrumentalisé l’opinion publique pour faire valoir la nécessité d’une exception de panorama, alors qu’il n’y avait nullement besoin d’une harmonisation européenne, qui aurait simplement risqué de créer une brèche pour une utilisation commerciale.

On vous a accusé de surestimer le danger, voire de défendre une poignée d’artistes privilégiés face aux internautes inoffensifs. Qu’en est-il ?
D’abord, le procès en ringardise  est infligé à tous les tenants du droit d’auteur, tous secteurs confondus [se battre contre le piratage amène toujours les mêmes critiques, tant dans le cinéma, la musique, que les arts visuels, parce que l’on défend un système de droit d’auteur né avec la Révolution, ndlr]. Les « illusionnistes » d’un avenir meilleur grâce au numérique voient parfois en Internet un espace de liberté absolue à préserver, ce qui revient à se soumettre à la loi du plus fort. Mais Internet est le monde réel, il a pleinement intégré nos vies et on doit lui appliquer les mêmes droits et devoirs qu’ailleurs ! En outre, j’entends dire « on ne va pas pleurer pour tel ou tel artiste célèbre ». Notre société reste ambiguë dans son rapport à l’auteur. L’image de l’artiste maudit persiste et le mariage de l’artiste et de l’argent est toujours suspect. Est-ce à dire qu’un artiste qui a réussi n’a plus le droit de se battre ?

Ce phénomène n’est-il pas particulier aux arts visuels ?
Sans doute. Dans notre secteur, le droit d’auteur ne sous-tend pas la filière, contrairement à l’écrit, au cinéma ou à la musique, les droits des auteurs (et voisins) irriguent tous les acteurs. Face au piratage, les filières musicales ou audiovisuelles unies montent au créneau. Dans les arts visuels, quand on parle « panorama », nous sommes seuls pour défendre les droits des auteurs, parce qu’aucun autre acteur ne voit son économie en dépendre directement. Pour les marchands, les musées ou les éditeurs, l’ADAGP est vue comme une contrainte plus qu’un atout. Heureusement, nos confrères de l’audiovisuel, de la musique et de l’écrit nous ont soutenus car ils ont compris que la question du panorama était un cheval de Troie visant à fragiliser tout l’édifice du droit d’auteur. On n’a jamais voulu empêcher personne de prendre la tour Eiffel en photo. Mais quand Wikimedia lance une campagne de communication, on ne peut pas lutter en termes d’audience…

L’absence d’harmonisation européenne sur ces sujets n’est-elle pas regrettable, à long terme ?
L’absence d’harmonisation de l’exception de panorama ne crée aucun problème en termes de gestion de droits. En revanche, il existe des choses importantes à harmoniser en termes de droit d’auteur. L’Europe sera notamment incontournable pour rééquilibrer le partage de la valeur sur Internet.

C’est-à-dire ?
Il y a deux sujets : les moteurs de recherche d’images et les plateformes d’échanges entre particuliers (réseaux sociaux). On parle de sites dont le modèle économique est à 95 % assuré par la publicité et dont la fréquentation repose sur l’échange d’œuvres (musique) ou d’images d’œuvres. Une économie importante s’est créée et c’est le sens de l’histoire. D’un autre côté, un rééquilibrage partiel est légitime et possible, entre des sociétés commerciales riches, qui ne paient rien sur les contenus qu’elles hébergent, et des auteurs dont les œuvres circulent sans qu’ils n’en soient jamais rétribués. Lorsque l’Encyclopédie Universalis nous versait des droits pour illustrer des articles, nous récoltions des sommes modestes, mais essentielles. Pourquoi Wikipedia en serait-il exonéré ? Notre proposition de contrat-cadre, équivalent à celui que YouTube et dailymotion ont eu l’intelligence de signer, n’a pas été acceptée.

L’ADAGP finance désormais plusieurs prix et bourses, en partenariat avec des salons et institutions renommés. Pourquoi cet engagement ?
L’ADAGP mène une forte action culturelle depuis longtemps, mais il est vrai que depuis 2014, nous avons accéléré en prenant notre part au soutien à la création émergente sous forme de prix dans un grand nombre de disciplines. Il ne s’agit pas que de compenser la baisse des subventions publiques. C’est aussi une forme de redistribution qui participe de notre philosophie et un moment festif, pour encourager des manifestations qui font un travail formidable. Enfin, un prix décerné par une société d’auteurs, c’est une reconnaissance par les pairs. En 2017, nous accroissons notre investissement pour le vivre ensemble, avec un projet pour l’éducation artistique et culturelle : une enveloppe de 250 000 euros permettra de toucher neuf classes avec La Fabrique du regard et dix classes avec l’association La Source. Enfin, rôle politique oblige, nous publierons bientôt nos « Sept propositions pour 2017 ».

En savoir plus

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°468 du 25 novembre 2016, avec le titre suivant : Marie-Anne Ferry-Fall : « Dans les arts visuels, quand on parle « panorama », nous sommes seuls pour défendre les droits des auteurs »

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