Art moderne

Philosophie

Magritte n’a pas dit son dernier mot

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 11 octobre 2016 - 792 mots

PARIS

Le Centre Pompidou propose une relecture originale de l’œuvre de Magritte, où les mots se jouent de la réalité et de son évocation.

PARIS -  À l’entrée de la section « Les mots et les images », un tableau du XVIIe siècle représente L’Adoration du veau d’or ; en toute logique, car l’événement est censé illustrer l’interdit de l’image par la Bible. Plus significatif, son cartel énonce que la toile est réalisée d’après Nicolas Poussin, surnommé le « peintre philosophe », tant ses œuvres ont cherché à illustrer, voire à interpréter, des épisodes bibliques ou mythologiques. C’est Poussin encore qui, dans une lettre à Paul Fréart de Chantelou, écrit : « lisez l’histoire et le tableau ».

Ce même rapport entre l’image et le mot, entre la pratique picturale et la pensée, a été choisi par Didier Ottinger, le commissaire, pour montrer la « passion philosophique » de Magritte (et celle d’Ottinger lui-même). Toutefois, le peintre belge est à mille lieues de la logique narrative de Poussin. Les « histoires » de Magritte, laissent planer l’ambiguïté et n’offrent que des réponses équivoques. Le mérite de l’exposition du Centre Pompidou est de proposer cet angle original pour une œuvre dont la familiarité ne facilite pas la tâche. De fait, la production picturale de Magritte est devenue pratiquement une marque déposée ou, pire encore, un répertoire pour les publicitaires. Sorties du domaine artistique, ses images sont devenues icônes reconnues par tout un chacun.

L’image condamnée
Ici, le parcours, clair et bien articulé, se décline en plusieurs thèmes : l’invention de la peinture, le trompe-l’œil ou l’allégorie de la caverne, dont les ombres hantent encore les artistes. L’ensemble rappelle inévitablement la remise en cause platonicienne de l’image, cet ersatz qui ne fait que nous tromper. On y découvre également que Magritte fut sensible aux mythes fondateurs de l’art, même si leurs évocations restent le plus souvent de l’ordre de l’allusion.

Mais, surtout, face à la méfiance traditionnelle de la philosophie, le peintre met en évidence la distinction entre la pratique naïve de l’imitation et la représentation dans toute sa complexité. Pour ce faire, il emploie paradoxalement un style classique, voire académique ; l’image garde son apparence et demeure facilement identifiable. Mais, il s’agit d’une ruse ou d’un piège pour le regard « innocent », car Magritte « met rapidement en œuvre des ruptures de l’espace pictural, explore les apories du réalisme, traque les hiatus entre les différentes formes de représentation », comme l’énonce le catalogue.

Ainsi, identifiables, les images ne sont pas toujours « nommables ». Si chaque élément reste dessiné avec précision et clarté, ensemble ils forment des univers hautement improbables, voire impossibles, suivant la poétique propre à De Chirico. À la différence du surréalisme « parisien », défini par Breton, où le hasard est considéré comme le moteur principal de la création, chez Magritte, les rapprochements, les « assemblages » picturaux, semblent guidés par une démarche raisonnée, mais dont l’aboutissement défie le réel (Le Modèle rouge, 1935).

Les mécanismes de la représentation
C’est avec l’interrogation du rapport entre le mot et la chose – à partir de 1927 – que l’artiste tente de montrer systématiquement le décalage entre le mot et l’image, entre l’image et son référent, bref le caractère arbitraire de la langue. On pourrait même croire que le sentiment de fluctuation face à l’inadéquation des mots aux choses est une particularité belge, quand on songe aux propos d’une modernité étonnante du peintre Léon Spilliaert. « Il arrive des moments où par suite d’une sorte de décrochage qui se fait dans l’esprit, un mot quelconque, armoire, ou encrier, ou lampadaire, se dissocie de l’objet qu’il désigne, que la relation automatique entre l’un et l’autre se perd, et que tout à coup l’objet dépouillé de son nom apparaît dans sa singularité essentielle », écrit l’artiste symboliste.
Mais, les objets de Magritte n’ont rien de l’aspect fantomatique et évanescent de ceux de Spilliaert. Chez lui, les « choses » représentées sont des signes qui trahissent l’écart infranchissable entre la peinture et la réalité. L’image emblématique de cette séparation est la fameuse pipe – qui ne l’est pas. La pipe, comme les autres objets chez Magritte, semble étrangement dépourvue de toute fonction, de toute transitivité ; elle ne renvoie plus à un faire, mais à un voir.

Face aux œuvres de Magritte, on peut ressentir une forme de frustration. Ses images semblent presque désincarnées : la matière s’absente, la texture reste allusive, et malgré l’importance presque excessive des ombres portées, les volumes paraissent sans poids. Mais c’est probablement le prix à payer quand les images dévoilent les rouages de la représentation ou, comme le disait souvent l’artiste, quand la peinture sert à penser sur la peinture.

MAGRITTE

Commissaire : Didier Ottinger
Nombre d’œuvres : 100

MAGRITTE LA TRAHISON DES IMAGES

jusqu’au 23 janvier 2017, Centre Pompidou, 19 rue Beaubourg, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h, en 14 €. Catalogue 224 p., 40 €.

Légende Photo :
René Magritte, Le Modèle rouge, 1935, huile sur toile marouflée sur carton, 56 x 46 cm, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. © Photo : Adam Rzepka.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°465 du 14 octobre 2016, avec le titre suivant : Magritte n’a pas dit son dernier mot

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