Musée

Bruno Gaudichon, le très populaire directeur de la Piscine

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 6 juillet 2016 - 1555 mots

ROUBAIX

Le conservateur, arrivé en 1989 à Roubaix, est à l’origine de La Piscine, de sa forte implantation locale comme de son rayonnement national. Sa popularité est à la mesure de sa chaleureuse personnalité.

138205

Daniel Percheron souhaitait Bruno Gaudichon pour succéder à Xavier Dectot à la direction du Louvre-Lens. L’ancien président de la Région Nord-Pas-de-Calais ne s’en est jamais caché. Ce ne fut d’ailleurs pas sans une certaine obstination qu’il est revenu à la charge, y compris auprès de l’ancien maire de Roubaix (Nord), René Vandierendonck, pour que ce dernier le persuade de quitter La Piscine, le Musée d’art et d’industrie de la ville. En vain. Bruno Gaudichon a invariablement décliné la proposition, trop attaché qu’il est à poursuivre l’histoire entamée depuis vingt-sept ans en ces lieux.

« Bruno est devenu plus roubaisien qu’un Roubaisien », note Jean-François Boudailliez, ancien adjoint à la culture et au patrimoine, témoin de son arrivée en 1989. « Pourtant il fallait avoir, à l’époque, une forte envie de s’installer ici. » L’ancienne capitale mondiale du textile, concentré autrefois de grandes fortunes, n’offrait plus en effet que la figure sinistrée d’une désindustrialisation appréhendée au travers de ses taux de chômage, d’immigration, et de difficultés en tous genres.

Friches industrielles, commerces fermés, demeures aux ouvertures condamnées ou aux vitres cassées témoignaient d’un paysage urbain en déshérence, jugé peu fréquentable par ceux qui le traversaient. Aucun candidat ne s’était d’ailleurs manifesté pour reprendre la succession de Didier Schulmann, chargé de la réouverture du musée et en partance pour la Bibliothèque Kandinsky au Centre Pompidou. Bruno Gaudichon, alors conservateur au Musée des beaux-arts de Poitiers, fut le seul à postuler.

Un homme de convictions
Son coup de cœur pour l’atmosphère de la ville et pour l’histoire de son musée a été aussi imprévisible qu’improbable. Il s’est produit en 1989 à la faveur de l’accrochage dans les locaux de la municipalité de Roubaix de l’exposition « Alfred Courmes », coproduite par le Musée Sainte-Croix de Poitiers et le Musée de l’Hospice Saint-Roch d’Issoudun avec le musée de Roubaix. Ce dernier était en attente d’une réhabilitation de l’École nationale supérieure des arts et industries textiles qui l’avait abrité. Roubaix la populaire, « ville-monde » comme il l’appelle, était à l’opposé de Poitiers, cité de notables où il passa une partie de ses années d’étude et ses premières années de conservateur.

Pour expliquer ce qui l’a enthousiasmé dans Roubaix, Bruno Gaudichon évoque son enfance à Saint-Dié dans les Vosges, autrefois fleuron elle aussi des villes industrielles françaises. « J’étais préparé par cette histoire », confie-t-il. L’autre facteur explicatif est à rechercher dans la génération PSU à laquelle il a appartenu avec Blandine Chavanne, « sœur de cœur » depuis leur nomination commune au musée de Poitiers en 1982. Le Parti socialiste unifié, fort d’un capital sympathie parmi les intellectuels, regroupait durant les années 1970-1980 toute une génération marquée par l’esprit de 1968. « C’était notre liquide amniotique, notre manière de penser la société », relève celle qui est devenue la directrice de la politique des musées à la direction générale des Patrimoines du ministère de la Culture et de la Communication. « Son côté PSU, Bruno a pu l’étendre avec la Piscine, que ce soit au niveau du personnel, de la programmation ou du public », observe Blandine Chavanne.

Jean-François Boudailliez en témoigne : « Il a fait passer toutes ses convictions dans ce musée qu’il a voulu solidaire, ouvert aux personnes les plus humbles et aux associations de la ville ». « Vous n’avez pas beaucoup de sociétés d’amis qui organisent le transport des bénéficiaires et bénévoles des Restos du cœur pour venir au musée », confirme Maurice Decroix, président de l’association des Amis de la Piscine.

Bruno Gaudichon le reconnaît : « J’ai toujours vécu mon travail comme quelque chose de militant. C’est dans mes gènes. Dans une ville comme Roubaix, cela redoublait de sens. » Et Joséphine Matamoros, directrice du Musée d’art moderne de Collioure, autre « sœur de cœur », d’ajouter : « Bruno est un homme de territoire. Il a su parfaitement prendre en compte la ville dans laquelle il est arrivé. Il a intégré le contexte dans son musée à tous les plans. » Et tout particulièrement le jour où, en découvrant l’ancienne piscine municipale désaffectée, joyau de l’Art déco, il a trouvé l’espace où le musée devait rouvrir. « Il a compris qu’elle était un moyen extraordinaire de mettre en valeur le musée et de rassembler autour de lui toute la population roubaisienne. Pas un habitant qui n’ait appris à nager dans le grand bassin », relate Jean-François Boudailliez.

La reconnaissance de ses pairs
Le 21 octobre 2001, jour de l’inauguration de La Piscine-Musée d’art et d’industrie, le nombre inattendu de visiteurs accueillis, 12 000 contre 1 200 programmés, a préfiguré du succès d’un musée qui passera rapidement du rang de l’emblème d’une ville à celui d’une région, avec une moyenne de 200 000 visiteurs par an dont 50 000 scolaires venus de Roubaix et de la région. La Piscine a été le vecteur de l’image du renouvellement urbain et culturel de Roubaix. Quinze ans après son ouverture, le musée affiche toujours un bilan de santé parmi les meilleurs de l’Hexagone. Chaque année, il s’établit dans les premiers rangs du classement national des musées établi par le Journal des Arts, voire au premier rang des musées régionaux.

Le soutien apporté dès le début à La Piscine en matière de dépôts par les grandes institutions nationales, le Musée d’Orsay et le Musée national d’art moderne en tête, renseigne sur les liens tissés par Bruno Gaudichon avec un certain nombre de conservateurs. Aux premiers rangs desquels Anne Pingeot, Henri Loyrette et Françoise Cachin, depuis l’édition en 1983 du catalogue des sculptures du Musée Sainte-Croix de Poitiers (musées de la Ville de Poitiers) réalisé avec Blandine Chavanne. « Qu’un musée de province ose publier à l’époque sa sculpture prouvait la qualité de ces deux jeunes pousses. Ils étaient à l’avant-garde de l’avant-garde », se souvient Anne Pingeot. Et la conservatrice honoraire du Musée d’Orsay de rappeler : « Bruno a été un des premiers à s’intéresser à la sculpture du XIXe, et il a été le premier à écrire sur Camille Claudel. Les autres ont suivi. » Sa passion pour la sculpture comme pour la céramique a construit de fait en filigrane sa famille intellectuelle, à laquelle appartient aussi Anne Rivière, rencontrée à Poitiers, coauteur avec lui du catalogue raisonné Camille Claudel.

« Plus que rares ont été les conservateurs qui s’intéressaient à la sculpture dans les années 1980-1990 », admet Bruno Gaudichon. Ils n’en étaient pas moins solidaires. Le catalogue François Pompon, placé sous la direction de Catherine Chevillot et Liliane Colas, seule publication scientifique de référence à ce jour, « n’aurait pas pu se réaliser sans que le petit réseau de la sculpture ne se mette en branle pour monter en 1995 l’exposition itinérante de Roubaix au Musée Denys-Puech à Rodez puis au Musée d’Orsay », raconte Jean-Loup Champion, directeur de collections chez Gallimard. L’acquisition la même année, c’est-à-dire, bien avant l’ouverture de La Piscine, grâce à une souscription publique, de la Petite Châtelaine de Camille Claudel a constitué d’autre part un marqueur important dans l’histoire de l’institution et dans l’attachement teinté de fierté des habitants de Roubaix à leur musée, perceptible lors de l’exposition consacrée il y a deux ans à la sculptrice.

Les liens tissés avec les successions Picasso ou Chagall ont ajouté à ces expositions de référence telle que celle de Claudel, éclairant d’un nouveau regard la production de ces artistes. Examiner la programmation sur quinze années d’existence du musée conduit à évoquer le travail mené à ses côtés par son épouse, Sylvette Botella-Gaudichon, et son rôle dans l’enrichissement des collections textile, mode, design ou céramique contemporaine. Ses expositions au sein du musée témoignent de son propre engagement.

Une grande popularité
Par le travail accompli et sa personnalité, discrète, toujours bienveillante et disponible, Bruno Gaudichon jouit d’une grande popularité, y compris auprès des médias nationaux, qui rendent régulièrement compte de sa programmation. On ne lui connaît guère d’autre inimitié que celle portée par un article du Monde particulièrement virulent sur l’atelier d’Henri Bouchard (1875-1960) que l’extension du musée inclura dans ses espaces. « Un artiste qui a filtré avec les nazis va être mis en valeur à Roubaix », titrait le quotidien le 14 juin 2008. La polémique, en dissonance totale avec ses intentions, a profondément blessé le conservateur mais ne l’a pas fragilisé aux yeux d’une municipalité qui l’a soutenu à l’époque et continue à le faire sous une nouvelle majorité. « Les politiques lui ont “foutu”, et lui “foutent” la paix », constate Jean-François Boudailliez. Martine Aubry, la maire de Lille, l’apprécie beaucoup bien que leur conception de la culture, au travers des grandes manifestations telle Lille3000, diffère. Quittera-t-il Roubaix lorsqu’il devra dans quelques années faire valoir ses droits la retraite ? La réponse de Bruno Gaudichon fuse : « Ce n’est pas pensable, je m’y suis enraciné. Je n’irai pas pour autant “emmerder” la personne qui me succédera. Quand une vie professionnelle s’arrête, Il faut savoir s’engager ailleurs. »

Bruno Gaudichon en dates

1956 Naissance à Thouars (Deux-Sèvres).
1982-1990 Conservateur au Musée Sainte-Croix à Poitiers.
1986 Docteur en histoire de l’art moderne et contemporain (Paris Ouest-Nanterre).
Depuis 1990 Conservateur en chef du patrimoine, directeur du Musée d’art et d’industrie à Roubaix.
1996 Codirection avec Anne Rivière et Danielle Ghanassia du Catalogue raisonné Camille Claudel (éd. Adam Biro).
2001 Inauguration de La Piscine.
2016 Expositions « Jean Martin (1911-1996). De l’atelier à la scène » à La Piscine (jusqu’au 9 octobre), et « Picasso, “un génie sans piédestal” » au MuCEM à Marseille (jusqu’au 29 août).

Légende Photo

Bruno Gaudichon. © Photo : Alain Leprince/La Piscine.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°461 du 8 juillet 2016, avec le titre suivant : Bruno Gaudichon, le très populaire directeur de la Piscine

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque