Restauration

Institut national du patrimoine

Restaurer l’art contemporain

Par Geneviève Gallot · Le Journal des Arts

Le 16 mars 2016 - 760 mots

L’art contemporain aussi peut s’altérer, il nécessite alors des interventions de haut niveau. Pauline de La Grandière, restauratrice du patrimoine, est spécialiste de l’œuvre de Pierre Soulages.

Dès leur création, les œuvres d’art peuvent souffrir. Depuis son diplôme de l’Institut national du patrimoine (INP) (1), obtenu en 2005, Pauline Hélou-de La Grandière, 36 ans, observe les peintures de Pierre Soulages qui présentent des fragilités et analyse à la loupe les supports, pigments et vernis qui les constituent ; elle se penche aussi sur les expositions, manipulations et transports qui font leur histoire. Native de Saint-Savin-sur-Gartempe, dans la Vienne, où elle voit la restauration des fameuses peintures murales de l’abbaye, Pauline de La Grandière décide de devenir restauratrice dès l’âge de 10 ans mais s’oriente rapidement vers le champ ouvert de l’art contemporain.

Après une maîtrise en histoire de l’art, sa détermination la conduit à l’INP et à l’œuvre 16 décembre 1959 de Pierre Soulages. Grâce à une méthodologie implacable et au concours de cinq laboratoires scientifiques, la jeune restauratrice parvient à démontrer que les altérations de ce tableau sont dues à la préparation des toiles achetées par Soulages, puis elle met au point une technique de restauration spécifique. Durant sa formation, Pauline de La Grandière va s’initier au dialogue avec les conservateurs, historiens de l’art, architectes, archéologues, biologistes, chimistes, physiciens, régisseurs…, pour inscrire ensuite sa réflexion au cœur des échanges interdisciplinaires que requiert la conservation-restauration du patrimoine.

Devant chaque peinture, la restauratrice cherche d’abord à entrer dans la matérialité de l’œuvre. « Je vois la première couche appliquée, blanche ou ocre, onctueuse, puis la pâte noire, parfois liquide, parfois plus visqueuse, qui la recouvre. J’observe les aplats, j’aperçois les mélanges, les retours de matière », souligne-t-elle, ajoutant dans un sourire : « J’ai appris à lire. » Dans un second temps, elle établit le diagnostic précis des dégradations. Chacune de ses interventions est guidée par une exigence éthique et la rigoureuse déontologie acquise à l’INP, fondée sur les principes sacrés de « stabilité, réversibilité et lisibilité ».

« Tests en éprouvette »
Aujourd’hui, l’activité de la restauratrice englobe la conservation préventive, la conservation curative et la restauration. Pauline de La Grandière intervient sur les œuvres de Soulages par ses recherches, analyses, expérimentations, conseils et compétences, soit directement, soit indirectement en agissant sur leur environnement. Tout récemment, elle a traité un Outrenoir, qui, à la suite de fortes variations climatiques dues à un transport, présentait des altérations spectaculaires avec un quadrillage sur toute sa surface. « Je ne voulais pas seulement revernir pour réparer l’aspect optique. Pendant quatre jours et demi, j’ai fait des tests en éprouvette, observé, réfléchi. Finalement, j’ai pu retrouver l’aspect satiné de la surface de l’Outrenoir. Ni trop brillant ni trop mat. L’intervention sur l’œuvre ne m’a pris qu’une demi-journée. » La part consacrée à la recherche préalable, invisible, est donc essentielle même si elle est souvent difficile à faire admettre à sa clientèle, et justifie chacune des étapes suivantes. En dix ans, Pauline de La Grandière a traité plus de 200 œuvres, de Soulages et d’autres artistes. Elle a ainsi contribué à confirmer l’attribution d’un Courbet et révélé un faux Manet.

Dans un marché de plus en plus tendu pour les 1 200 professionnels actifs du domaine, la restauratrice conserve un bel enthousiasme mais ne cache pas ses inquiétudes. Elle a aligné son tarif sur celui de son… garagiste « 60 euros par heure » et, tout en se sachant plus à l’abri que nombre de ses collègues, elle se sent souvent engagée dans une course de fond avec « des chaussures en plomb ». Regrettant l’insuffisante reconnaissance des compétences pointues acquises lors de sa formation, Pauline de La Grandière souligne que les dimensions intellectuelles et scientifiques de son métier sont souvent mieux prises en compte à l’étranger que dans notre pays. Ce qui semble attesté par la paradoxale intégration de la restauration du patrimoine au sein des métiers d’art (2). Pierre Encrevé, auteur du catalogue raisonné des peintures de Pierre Soulages, résume : « En France, la dimension scientifique de la restauration, si essentielle aussi pour Soulages, n’est pas reconnue. » N’est-il pas temps d’affirmer le rôle et la nécessaire haute qualification des restaurateurs du patrimoine, garants de l’intégrité et de la pérennité des œuvres, de toutes les œuvres, dès leur apparition ?

Notes

(1) bac 5, grade de master.
(2) Loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises et arrêté du 24 décembre 2015 fixant la liste des métiers d’art, publié au JO du 31 janvier 2016.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°453 du 18 mars 2016, avec le titre suivant : Restaurer l’art contemporain

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