Archives - Ventes aux enchères

Archives : trop de revendications

Le torchon brûle entre les Archives et le marché

Une pratique systématique et radicale du droit de revendication par l’État fige le marché des archives

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 19 mai 2015 - 915 mots

Au nom d’une loi « élastique » qui considère que les archives publiques historiques lui appartiennent, les Archives nationales saisissent de plus en plus de tels documents. Au grand dam des marchands et collectionneurs qui dénoncent l’insécurité juridique des transactions et les entraves au marché que ces pratiques instaurent. Ils réclament un vade mecum écrit et clair.

« Trop, c’est trop », tonnent les libraires et responsables de maisons de ventes aux enchères spécialisées dans les ventes d’autographes et manuscrits. Ceux-ci dénoncent en chœur une insécurité constante des transactions qui menacerait de tuer leur marché.

Le nœud de la guerre ? L’article L 211-4 du code du patrimoine. Celui-ci dispose que « les archives publiques sont les documents qui procèdent de l’activité, dans le cadre de leur mission de service publique, de l’État, des collectivités locales ou des autres établissements publics ou personnes morales de droit public ou personnes de droit privé chargées d’une telle mission. »

C’est une loi très élastique qui est paralysante pour le marché de l’art maugrée un libraire parisien. La présidente du Syndicat national de la librairie ancienne et moderne (SLAM) dénonce, de son côté, le flou de ce texte. « L’État a tendance à estimer que toute archive en relation avec le fonctionnement de l’État est “revendicable”. Même une pièce restée 200 ans dans un grenier. L’imprécision de cette loi génère de nombreux aléas et incertitudes très difficiles à vivre », souligne Anne Lamort qui dit ne pas comprendre notamment que l’État ait pu revendiquer avec succès à la fois des archives gaullistes et pétainistes.

Les brouillons de la discorde
En 2008, les Archives de France ont revendiqué la propriété de notes rédigées en 1940 par le maréchal Pétain en envoyant une simple lettre au commissaire-priseur en charge de les disperser. Ce lot était constitué de brouillons évoquant l’entrevue du 24 octobre 1940 à Montoire entre Pétain, qui était alors le chef de l’État français, et Hitler. L’avocat du SLAM martelait que ces brouillons, étant de simples « notes privées non destinées à être publiées », ne constituaient pas des archives publiques et ne pouvaient donc pas être revendiquées par la puissance publique. Peine perdue, l’État a réaffirmé, à cette occasion, le caractère public de ces documents. L’histoire se répète avec 313 brouillons de télégrammes rédigés à Londres par le général de Gaulle. L’État a fait saisir et placer sous séquestre ces courriers et missives qui avaient été acquis par le Musée des lettres et des manuscrits auprès des héritiers de la secrétaire particulière du général. Pour sa défense, Gérard Lhéritier, le patron du musée et de la société Aristophil (aujourd’hui en redressement judiciaire, lire JdA n° 432), arguait du fait que les Archives nationales détenaient déjà les originaux et que les brouillons leur avaient été proposés au préalable et sans succès par un expert. « Le général de Gaulle a rédigé ces documents dans le cadre de la fonction de représentation de la nation française qu’il s’était assignée et donc dans le cadre d’une mission de service public », a soutenu le tribunal de grande instance de Paris le 20 novembre 2013 faisant ainsi droit à l’action en revendication de l’État.
« Pratiquement tout ce qui sort des greniers est désormais interdit de vente à quelques exceptions près comme celle des documents littéraires à condition que leurs auteurs n’aient aucun lien avec l’État », tonne Anne Lamort qui déplore qu’un modus vivendi ne soit pas trouvé de manière à indemniser les propriétaires de bonne foi.

« L’État n’a pas à racheter un bien qui lui appartient. Cependant la pratique a longtemps été de dédommager systématiquement de manière symbolique, mais jamais au prix de vente », consent Isabelle Rouge-Ducos, responsable des acquisitions de manuscrits à la Mission pour les archives privées du Service interministériel des Archives de France.

La pratique tendant à revendiquer sans indemniser remonterait aux années 1990. « Prenant acte du resserrement des budgets de l’État, le ministère de la Culture a voulu se servir de l’article L 211-4 du code du patrimoine pour récupérer gratuitement des documents », note le libraire Fabrice Teissèdre. La baisse très significative du budget annuel d’acquisition des Archives de France qui a dégringolé de 650 000 à 200 000 euros corroborerait en effet cette analyse. C’est ainsi que depuis 2012, plus de soixante revendications non contentieuses ont été effectuées par le Service interministériel des Archives de France. Cinq revendications contentieuses sont par ailleurs en cours. Certaines administrations seraient plus gourmandes que d’autres. Particulièrement les archives du ministère de la Défense qui se manifesteraient avec le plus d’ardeur et de constance sur ce terrain. « J’ai des problèmes avec elles à chaque vente », déplore Jérôme Delcamp de la SVV Alde.

L’application radicale et systématique du droit de revendication présenterait, selon les acteurs de ce marché, de nombreux effets pervers. Certains propriétaires préféreraient ainsi détruire des documents plutôt que de les mettre en vente. D’autres tenteraient de les négocier à l’étranger ou sur un marché parallèle et illégal.

Un vade-mecum très attendu
Anne Lamort dit réclamer en vain depuis des années un vade-mecum écrit et clair que le SLAM pourrait distribuer à ses membres afin de clarifier et assainir la situation. « Nous sommes en train de finaliser un tel document. Nous listerons dans celui-ci tout ce qui est hors commerce et tout ce qui est revendicable », rétorque Isabelle Rouge-Ducos dont la petite équipe – ils sont deux – semble avoir quelques difficultés à remplir les missions qui sont les siennes.

Légende photo

Brouillon autographe de Turgot, Mémoire au Roi sur la tolérance, 1775. © Photo : Isabelle Rougé Ducos.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°436 du 22 mai 2015, avec le titre suivant : Le torchon brûle entre les Archives et le marché

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