Histoire

Chemin de croix

Par Margot Boutges · Le Journal des Arts

Le 5 mai 2015 - 896 mots

La demeure des époux Cavrois a subi moult dommages après leur décès avant d’être sauvée par l’État, qui l’acquit en 2001.

Vitres brisées, fenêtres murées, volets éventrés, murs fissurés…, tel est le visage qu’a présenté la villa Cavrois durant sa longue période de descente aux enfers. Il aura fallu des années de bataille entre son propriétaire et l’État, et les tergiversations des collectivités territoriales pour qu’elle renaisse et retrouve l’apparence que lui a dessinée Robert Mallet-Stevens entre 1929 et 1932.

Édifiée pour abriter la famille Cavrois, la demeure a coulé des jours sans nuage – à l’exception de son occupation par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale – jusqu’à la mort de Mme Cavrois en 1986. Face à l’imminence d’un transfert de propriété, l’État demande une instance de classement sur la demeure et le jardin, pour protéger l’intégrité de cette œuvre d’art totale des années 1930 de modifications irréversibles. Tandis que les meubles sont peu à peu dilapidés aux enchères par les héritiers Cavrois, la villa et le parc sont vendus à la SARL Kennedy-Roussel. En 1987, la SARL dépose un permis de construire impliquant une remise en état de la maison, à condition toutefois de pouvoir lotir le parc pour en faire des résidences collectives. Un permis refusé sous la pression des voisins.

État de péril
Deux ans plus tard, un autre permis, demandant cette fois à transformer la villa en immeuble, est également refusé. En 1990, l’architecte en chef des Monuments historiques (ACMH) déclare l’édifice en état de péril. En effet, le propriétaire, désireux coûte que coûte de faire accepter son projet immobilier, a ouvert largement les portes aux squatteurs et vandales, encourageant une détérioration irréversible du lieu. Le ministère de la Culture réplique en faisant classer la villa d’office en décembre 1990, contre l’avis de son propriétaire, une procédure tout à fait exceptionnelle. C’est que l’État a connaissance de la volonté des collectivités territoriales de se porter acquéreur de la villa afin de procéder à son sauvetage. « J’ai vu le président de la communauté urbaine de Lille : ou c’est lui ou c’est nous » (1), confiait alors Bernard Dérosier, président du conseil général du Nord, à propos de l’achat du domaine Cavrois.

Pour des raisons budgétaires et de changement politique, ce ne sera ni l’un ni l’autre en dépit du lobbying intensif mené par l’association de sauvegarde de la villa Cavrois, qui va militer pendant une décennie pour trouver un nouveau propriétaire à la maison. Car les dommages s’aggravent : des petites pousses s’épanouissent sur les balcons et des arbres envahissent l’intérieur. Les décors sont arrachés et les murs tagués. Le péril est tel qu’en 1993 et 1994, l’État va prendre à sa charge tous les travaux de préservation d’urgence (clôture du terrain, bouchement des ouvertures, nettoiement des terrasses pour assurer l’évacuation des eaux de pluie). La demeure prend alors un visage carcéral qui n’arrête pas les vandales, lesquels détruisent les barrières pour voler jusqu’au cuivre des fils électriques.

Label « Patrimoine du XXe siècle »
Le ton monte à l’égard du propriétaire. « Je suis désormais déterminé à mettre en œuvre toutes les procédures contraignantes que prévoit la loi de 1913 sur les monuments historiques pour faire cesser cette situation d’incurie. J’envisage des travaux d’office, voire une expropriation au profit d’une collectivité locale », déclare le ministre de la Culture Philippe Douste-Blazy pendant les Journées du patrimoine de 1995. En 1997 (*), le propriétaire est mis en demeure d’effectuer des travaux d’urgence (dont le coût doit être partagé entre l’État et le propriétaire). Mais la SARL défère l’acte pour abus de pouvoir et le tribunal administratif de Lille tranchera en sa faveur, eu égard aux « défauts de conception de l’ouvrage de Mallet-Stevens » (terme utilisé par l’ACMH lui-même lors de sa visite du lieu), prétendument susceptibles d’expliquer l’état de dégradation de la villa. C’est finalement en 2000 que l’État annonce qu’il va acquérir le domaine Cavrois. La vente est signée en 2001. Ce geste, à contre-courant de la politique de décentralisation, s’inscrit à l’orée du XXIe siècle dans une politique volontariste de sauvegarde de l’architecture des cent dernières années. En effet, le ministère de la Culture vient de mettre en place le label « Patrimoine du XXe siècle », et entend bien faire un exemple.
Dans un bras de fer final avec le propriétaire, l’État va effectuer une large concession et laisser quelques terrains à lotir à la SARL, sur l’emprise de parcelles classées monuments historiques. Ces parcelles sont aujourd’hui recouvertes d’habitations, tandis que ce qu’il reste du jardin Mallet-Stevens a été restitué à l’identique, du miroir d’eau aux petites allées étroites.

Depuis 2008, la villa est rentrée dans le giron du Centre des monuments nationaux (CMN) qui s’apprête à ouvrir à la visite une résurrection de la villa Mallet-Stevens. Le CMN espère attirer au moins 70 000 visiteurs. Le défi semble possible à relever : lors des Journées du patrimoine de 2013, environ 26 000 personnes s’étaient pressées pour découvrir les murs de la villa entrouverts par le CMN. Pour la toute première fois de son histoire, la maison s’offrait au public.

Note

(1) cité dans l’ouvrage de Richard Klein : Robert Mallet-Stevens, la villa Cavrois, 2005, éd. Picard, Paris, coll. « Architectures contemporaines ».

(*) erratum : "2007" comme date au lieu de "1997" a été imprimé dans la version papier et a été corrigé pour la version web.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°435 du 8 mai 2015, avec le titre suivant : Chemin de croix

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