Monographie

Jean-Baptiste Perronneau, l’autre portraitiste du XVIIIe

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 25 mars 2015 - 698 mots

Dominique d’Arnoult fait sortir ce pastelliste talentueux de l’ombre
de Maurice Quentin Delatour et Jean-Étienne Liotard.

Les éditions Arthéna nous ont habitués à des ouvrages d’histoire de l’art à caractère scientifique très soignés. La nouvelle livraison, monographie et catalogue raisonné de l’œuvre de Jean-Baptiste Perronneau (v. 1715/1716-1783), ne déroge pas à la règle. Son auteure Dominique d’Arnoult a consacré une quinzaine d’années à retracer le parcours de ce pastelliste du XVIIIe siècle, rival affiché de Maurice Quentin Delatour (dit Quentin de La Tour), avant de soutenir sa thèse à l’université de Lausanne en 2014. Préfacé par Xavier Salmon, directeur du département des Arts graphiques au Musée du Louvre, l’ouvrage témoigne de l’étendue des recherches de l’historienne de l’art : parallèlement au recensement de plus de 400 tableaux et pastels connus de l’artiste exécutés dans toute la France et l’Europe, Dominique d’Arnoult s’est livrée à un travail d’identification des modèles, tâche d’autant plus ardue que Perronneau s’était fait une spécialité du portrait de la « France du milieu » .

Si l’auteure insiste sur l’axe artistique de ses recherches, par opposition à un travail d’histoire sociale, le Paris du XVIIIe siècle et son monde d’apparence impitoyable y sont pourtant bien présents dans cette somme accessible à tous. L’on y découvre un Perronneau formé à la gravure des maîtres français, qui se tourne vers le portrait et le pastel dès le début des années 1740 – l’auteur insiste sur l’improbabilité qu’il ait été l’élève de Charles Natoire, comme il l’a été communément accepté.

Libre et anticonformiste
Bien que considéré comme moins noble que la peinture à l’huile, le pastel est très apprécié auprès de l’intelligentsia des Lumières qui y voit un médium capable, par sa rapidité, de capter cette « nature » tant célébrée. Perronneau s’engouffre dans la brèche ouverte par Quentin Delatour depuis la fin des années 1730 d’une façon telle que l’artiste, à peine reçu à l’Académie royale de peinture en 1753, ne tardera pas à quitter Paris pour étoffer sa clientèle : « Il est important de noter que cette clientèle n’est pas la même que celle peinte par Delatour ou Liotard. Peintre du roi, Perronneau n’a peint ni le roi ni pour le roi. C’est une autre France, une autre Europe qui apparaît sous la main de Perronneau : ses modèles ne sont pas des courtisans, ni des grands financiers parisiens et rarement des philosophes, des poètes que l’on appelle alors des « gens à talents ». Dès lors, la société réunie dans l’œuvre de Perronneau livre un très bel outil pour une histoire sociale, notamment celle des réseaux de négociants qui recommandent leur peintre dans leur correspondance. On voit ainsi apparaître cette société snobée par les salons parisiens et par le microcosme des Lumières. Perronneau, peintre du roi n’a pas peint le roi. »

Indépendant d’esprit, incapable de rester en place, Perronneau sillonne la France et l’Europe (Italie, Allemagne, Angleterre, Espagne, Pologne, Pays-Bas, Russie) avant de décéder à son domicile d’Amsterdam en 1783 dans l’indifférence générale. Lointains sont les souvenirs de ses succès au Salon, où furent admirés sa capacité d’individualisation des modèles et son style expressif et si rapide, faussement désinvolte. Si la mode s’était lassée de ses portraits psychologiques et l’élite lui avait reproché son anticonformisme, le coup pendable que lui avait joué Quentin Delatour en 1750 y était aussi pour quelque chose : le peintre vedette de la cour lui avait passé commande de son portrait, tout en s’attelant en secret à son autoportrait. Au Salon, les deux œuvres furent accrochées côte à côte, une manière déloyale pour l’aîné d’infliger un camouflet public à son jeune rival. Un siècle plus tard, la fortune critique de Perronneau prend un virage nouveau, gagnant l’approbation de cette même bourgeoisie industrieuse qu’il avait fait entrer au Salon. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’impressionnisme fait son chemin et la technique enlevée de Perronneau, usant du « reflet coloré », trouve un nouveau public dans lequel figure Mathilde Bonaparte, Alexandre Dumas fils, Marcel Proust ou encore Jacques-Émile Blanche. Perronneau est enfin devenu l’égal de Quentin Delatour, maître incontesté du portrait à la mode, celui où l’on ne devait « pas avoir l’air de son rang ».

Dominique d’Arnoult, Jean-Baptiste Perronneau (ca. 1715-1783). Un portraitiste dans l’Europe des LumiÈres, Éditions Arthena, 2015, 448 p., 130 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°432 du 27 mars 2015, avec le titre suivant : Jean-Baptiste Perronneau, l’autre portraitiste du XVIIIe

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