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Véronique Chatenay-Dolto : « C’est un moment historique »

Directrice de la Drac Île-de-France

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 25 novembre 2014 - 1543 mots

À la tête de la Direction régionale des affaires culturelles d'Île-de-France, Véronique Chatenay-Dolto commente l'impact des réformes territoriales.

Les importantes réformes territoriales en cours mettent en première ligne les Directions régionales des affaires culturelles (Drac). Ayant alterné des missions en administration centrale et dans des Drac, Véronique Chatenay-Dolto qui dirige maintenant celle d’Île-de-France (Drac IDF) après avoir conseillé Aurélie Filippetti, est l’interlocutrice idéale pour commenter les mutations actuelles. Elle est aidée en cela par son directeur-adjoint Jean-Pascal Lanuit, un ancien élève de l’ENA comme elle.

Vous avez dirigé la Drac Haute-Normandie, puis celle du Nord-Pas-de-Calais. Quelles sont les différences avec la Drac IDF ?
Véronique Chatenay-Dolto (V. C.-D.). Il y a évidemment des différences à beaucoup de points de vue. La première naturellement a trait à la taille : en Île-de-France, il y a huit départements. La Drac IDF, elle-même, emploie 260 agents et gère un budget de 100 millions d’euros. C’est la région « capitale » avec une grande concentration d’acteurs culturels dans l’ensemble des domaines et en même temps la coexistence de parties du territoire très riches et très pauvres. L’État a plusieurs visages en Île-de-France, ce qui est moins le cas ailleurs : la Drac, mais aussi la Rue de Valois avec la ministre et son cabinet, l’administration centrale et enfin les grands établissements nationaux qui ont tous leur siège social à Paris. Nous devons tenir compte de cette complexité. Et puis, en Île-de-France, tout a une dimension symbolique forte, les sujets remontent très vite.

Comment sont affectés les interlocuteurs entre l’administration centrale et la Drac ?

Jean-Pascal Lanuit (J.-P. L.). Il y a des critères objectifs d’affectation à l’administration centrale pour un certain nombre de structures ou associations nationales qui, par définition, ont une relation directe avec elle. Ensuite, il y a des équipements qui sont suivis par les deux structures, ce sont des phénomènes historiques.
V. C.-D. Cette double commande existe dans d’autres régions, comme le suivi de certains grands festivals en Provence. En revanche, il y a encore des dossiers qui sont gérés en administration centrale et qui pourraient l’être à la Drac. Par exemple le théâtre du Rond-Point qui jusqu’à présent était subventionné par l’administration centrale et pourrait être suivi prochainement par la Drac. Il faut éviter de donner le sentiment d’être dans une confusion de rôle avec l’administration centrale. Mais le ministère ne peut aller de l’avant que si la culture part d’une attention à la diversité des attentes, des territoires. Il faut conjuguer les axes politiques structurants définis par l’administration centrale avec une remontée d’information des services territoriaux. La particularité de la politique culturelle est qu’elle est moins simple d’application que d’autres législations de l’État, il y entre une plus grande part de jugement. Cela explique le personnel qualifié dans les Drac.

Quelles sont les priorités de la Drac IDF ?
V. C.-D. Avant de parler des priorités, il convient de rappeler qu’une Drac n’est pas un échelon local, mais l’échelon national au niveau local. Il s’agit de mettre en œuvre les missions de l’État en région. Il y a cependant des axes stratégiques fondés sur la déclinaison de la Directive nationale d’orientation, la dernière en date porte sur la période 2013-2015. C’est un document qui, progressivement a été ramassé, mais pourrait l’être plus encore. Ceci étant rappelé, nous avons deux grandes priorités : la réforme territoriale et l’éducation artistique et culturelle (EAC).

Nous allons parler de la réforme territoriale, mais l’EAC n’est-elle pas depuis longtemps une priorité ?
J.-P. L. L’orientation est effectivement ancienne, fondamentale pour le ministère de la Culture, la démocratisation culturelle remonte à la Révolution. Ce qui est plus neuf au XXe siècle, c’est l’intérêt pour la jeunesse, alors qu’initialement c’était plutôt pour les adultes.
V. C.-D. Plus récemment, l’établissement de priorités réside dans son inscription dans la loi sur la refondation de l’Éducation ; l’article 2 consacre l’EAC comme une des priorités du socle de l’éducation. C’est un sacré changement ! L’amour de l’art cela ne se décrète pas, c’est un processus sur le long terme. Mais cela prend du temps. Il n’est pas satisfaisant que seulement 17 % de la population soit inscrite en bibliothèque. Quel serait ce taux si l’on n’avait pas mené de nombreux programmes ad hoc dans un contexte où l’offre d’images est pléthorique ?

Ne trouvez-vous pas que l’EAC manque singulièrement d’indicateurs chiffrés qui mesurent année après année son évolution ?
Le déploiement des instruments de mesure est en cours. À la Drac IDF nous avons demandé que des objectifs EAC apparaissent dans tous les contrats d’objectifs et de moyens que l’on passe avec des structures que l’on subventionne. Mais cela est aussi du ressort des collectivités territoriales qui représentent une partie très importante du financement de l’EAC.

Une autre priorité ancienne n’est-elle pas le développement des territoires pauvres ?
V. C.-D. Oui tout à fait. Entre Paris hypercentre, la petite couronne et la grande couronne, même si c’est schématique, on voit bien qu’il y a trois régions dans la même région ; sans parler de la coexistence de populations fortement consommatrices et de personnes n’ayant pas accès à la culture. La culture d’entreprise historique de la Drac IDF est plutôt de privilégier les territoires plus éloignés et donc moins équipés. Nous avons mis en place plusieurs programmes en ce sens. Par exemple les Contrats locaux d’éducation artistique (CLEA). Il y en a onze sur une durée suffisamment longue de trois ans avec un temps de préfiguration. Une subvention est attachée à un programme spécifique de développement local. Ensuite, nous avons un dispositif appelé Culture et Lien social, qui repose sur un principe d’appel à candidatures, qui associe des équipes artistiques et des partenaires du champ social qui font une proposition de travail.

La grande affaire du moment est la réforme territoriale ou plutôt les réformes. Parlons d’abord de la fusion des régions. L’ Île-de-France n’est pas concernée, mais quel serait le meilleur scénario pour les Drac concernées ?
V. C.-D. Plusieurs scénarios sont à l’étude avec des décisions à prendre prochainement. Le schéma le plus intéressant, de mon point de vue, est de maintenir les directions régionales au niveau des futurs préfets de région. Le ministère de la Culture a toujours été organisé territorialement sur les régions, avec les architectes des bâtiments de France dans des unités territoriales. L’idée est de se caler sur cette nouvelle organisation régionale. Mais dans le même temps, il faut garder un échelon de proximité. C’est d’autant plus logique que les conseils généraux vont peut-être disparaître mais que le département sera maintenu. Il n’y a par ailleurs pas de perspective d’augmentation de personnel, mais pas de baisse non plus.
J.-P. L. L’essentiel du déterminant de notre fonctionnement quotidien ne change pas. Les monuments, les théâtres restent aux mêmes endroits !

En quoi la création de la Métropole du Grand Paris (MGP) le 1er janvier 2016 va modifier les missions et le fonctionnement de la Drac IDF ?
V. C.-D. C’est un moment historique : la réorganisation urbaine de Paris est à l’échelle de ce qu’a pu faire Haussmann ou Paul Delouvrier avec les villes nouvelles. On est aussi dans une période où la culture est à la fois un ferment, un levier, un élément de réponse à une attente d’unité sociale et culturelle. Les cinémas et bibliothèques sont des lieux où on est ensemble, tous âges confondus, toutes classes sociales confondues, et où on participe à une vie sociale profondément positive, où chacun peut apporter quelque chose. Certes la culture n’est pas l’objectif premier de la MGP. Il s’agit d’abord de réformer la gouvernance territoriale avec des objectifs d’efficacité économique, de prise en compte des problématiques du quotidien pour les habitants. Mais la MGP a la possibilité de créer ou participer à de grands événements telle que l’Exposition universelle de 2025.
J.-P. L. La MGP va hériter de certains équipements auparavant gérés par des intercommunalités qui seraient amenées à disparaître. Et puis on ne peut pas imaginer la construction de logements sans prise en compte de l’architecture, par exemple.
V. C.-D. Nous allons nous organiser pour être un interlocuteur de cette MGP. Nous avons ainsi créé il y a un an, un collège des architectes des Bâtiments de France pour accompagner la construction du réseau de gares du Grand Paris Express, il se réunit tous les mois. Les questions sont différentes d’un site à l’autre, mais la doctrine que l’on souhaite l’élaborer ensemble doit être commune.

Comment s’inscrit dans cette perspective la Revue des missions de l’État qui semble inquiéter les syndicats ?
V. C.-D. Tout se fait simultanément dans un même calendrier, mais ce n’est pas la même chose. Il faut s’organiser pour être un meilleur interlocuteur des collectivités. La revue des missions, n’est pas propre au ministère de la Culture, c’est une décision gouvernementale interministérielle, qui consiste à améliorer l’organisation de l’État en commençant par une photographie de l’existant, ministère par ministère, de l’ensemble des missions régaliennes ou pas. Pour ensuite mettre les choses en perspective, d’où l’inquiétude que cela peut susciter. Il s’agit de réaffirmer ce qui relève de l’État, ce qui pourrait être réalisé par d’autres collectivités publiques, ce qui doit être abandonné, ou au contraire identifier des missions nouvelles. La cartographie est à peu près complètement réalisée, mais le travail du classement des priorités est en cours. L’objectif est d’arriver début premier trimestre 2015 à un nouveau conseil interministériel, qui trancherait sur ces missions.

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Véronique Chatenay-Dolto © Harcourt

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°424 du 28 novembre 2014, avec le titre suivant : Véronique Chatenay-Dolto : « C’est un moment historique »

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