Les nommés du prix Duchamp 2014

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 15 octobre 2014 - 980 mots

Pour sa 14e édition, le prix Marcel Duchamp a fait le choix de l’éclectisme avec les pratiques très différentes des quatre artistes sélectionnés. Le nom du lauréat sera dévoilé le 25 octobre dans le cadre de la Fiac.

Théo Mercier
C’est un voyage au long cours auquel convie Théo Mercier, soutenu par la galerie Gabrielle Maubrie (Paris), avec sa proposition pour le prix Marcel Duchamp. Sa vaste installation est confectionnée à partir d’une centaine de miniatures de ruines imaginaires, qui sont des décors d’aquarium glanés çà et là et exécutés à partir d’images d’architectures existantes : autant de fantaisies fantasmatiques inspirées par l’architecture hispanique et précolombienne. L’artiste rend ainsi manifeste la puissance d’évocation entretenue par les histoires, réelles ou non, relatives aux cités englouties. Tel un archivage des ruines d’un monde imaginaire qui se serait effondré et qui répondrait en outre à la volonté, si ce n’est la nécessité, du fonctionnalisme de l’époque, ces ruines sont installées, comme dans les réserves d’un musée, sur des étagères on ne peut plus basiques couvrant les murs de son espace. À ceci près que leurs plateaux, en marbre, évoquent tant la sculpture antique que l’aspect mortuaire des pierres tombales, ce qui n’étonnera guère chez un habitué des télescopages iconographiques autant que symboliques.
Imprégnée de la mythologie des explorateurs de l’île de Pâques, cette épopée comporte également en son centre, juchée sur un socle en marbre, une sculpture en pierre inspirée par les mythiques bustes Moaï. Un nez en silicone hyperréaliste est venu s’y greffer. Grinçante, cette installation se pose presque comme une vision apocalyptique… avec pour forme et fond un décor d’aquarium !


Julien Prévieux
Faisant ce constat étrange que certains peuvent revendiquer une propriété gestuelle, Julien Prévieux, représenté par Jousse-Entreprise (Paris), a constitué une « archive des gestes à venir » – soit une compilation de gestes ayant fait l’objet d’un dépôt de brevet, le plus souvent des gestes techniques qui permettent d’activer des fonctions sur des objets technologiques ou médicaux par exemple. L’artiste, qui actualise régulièrement cette archive depuis une dizaine d’années, propose pour le prix Marcel Duchamp une intervention en deux temps. C’est en effectuant une résidence à Los Angeles, non loin de la Silicon Valley où sont déposés la plupart de ces brevets, que lui est venue l’idée de travailler avec six danseurs. Il conçoit alors une performance pour laquelle il s’approprie ces gestes et les retranscrit, dans une prestation à mi-chemin entre la chorégraphie et la conférence de démonstration technique façon Steve Jobs. En résulte un film d’une durée de 18 minutes, narratif et démonstratif, paraissant parfois en décalage avec la vie quotidienne et les usages.
En alternance avec la projection interviendront quatre danseurs, qui, au cours de performances d’une durée de 10 minutes, effectueront une mise à jour de la gestuelle du film, avec les dernières nouveautés déposées ou liées à des prototypes finalement non réalisés. L’ensemble constitue une plongée dans une certaine zone d’absurdité sous couvert d’un vocabulaire scientifique ou technique, mais une absurdité qui peut parfois devenir plausible.


Florian & Michaël Quistrebert
Nombre d’artistes, particulièrement dans le champ de la peinture, continuent de crier haro sur un modernisme dont il conviendrait de dépecer l’héritage afin de conférer à leur travail le souffle de l’innovation. À l’inverse, Florian & Michaël Quistrebert, représentés par la galerie Crèvecœur (Paris), assument sans complexe un passé qui, loin d’être encombrant, leur fournit matière à interrogation et expérimentation, en même temps que sont parfaitement assimilés les développements propres à l’ère numérique. De là se construit une pratique multiforme, car si c’est la peinture qui en occupe la plus grande part, les artistes ne s’interdisent pas des incursions ailleurs, dans le champ de la vidéo notamment. Cette pratique tient essentiellement dans une exploration de l’espace, de ses formes possibles et de ses représentations imaginaires, de ses développements à l’intérieur de l’œuvre comme de sa continuité à l’extérieur ; avec toujours une ambiguïté générale posée dans leur travail entre ce qui relève du réel et ce qui tient du virtuel.
Certes, il est fortement question de la lumière et de son rayonnement dans leur œuvre, qui au-delà d’effets visuels puise dans l’occultisme, les expériences spirites ou une certaine forme de quête mystique. Mais ce sont surtout des questions relatives à l’optique qui les occupent pour l’essentiel, l’abstraction devenant pour eux un moyen de conjuguer perceptions rétiniennes et plasticité de la matière.


Evariste Richer
Des histoires de l’œil et de mécanique rétinienne, c’est souvent ce que propose Evariste Richer, soutenu par Schleicher/Lange (Berlin). Sa pratique fait en effet son miel à la fois d’une distance et d’une proximité combinées avec ce que le regard croit être le sujet ou le motif de l’œuvre, lesquels, sans cesse, se dérobent à l’interprétation.
Son projet pour le prix Marcel Duchamp rassemble de nouveaux travaux qui, tout en sensibilité et en fragilité, recréent l’ambiance de l’atelier à l’aide d’images et d’objets comme en attente, sans toutefois jamais lever le doute entre ce qui tient du décor et ce qui relève de la réalité. Ainsi, immergeant le regard dans une atmosphère presque onirique, un papier Diazo ordinairement utilisé par les architectes tapisse tout le mur du fond de l’espace. Sensible aux UV et figurant les motifs en blanc sur fond bleu, il reproduit à l’échelle 1 la baie vitrée de l’atelier de l’artiste, révélant des fragments de la nature postée derrière les vitres. Lui répondent les agrandissements sur papier Cibachrome de deux diapositives obsolètes – des images qui représentent des mires servant à la mise au point, ou encore une étagère sur laquelle sont posées de l’amadou, du foin, du silex et de la marcassite, autant d’ingrédients nécessaires à la confection du feu.
Portée par le ressort d’une douce mélancolie, la proposition d’Evariste Richer oscille entre interrogation sur le passé, à la manière d’un archéologue, et nécessité de comprendre la contemporanéité et la fabrication des perceptions et du regard.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°421 du 17 octobre 2014, avec le titre suivant : Les nommés du prix Duchamp 2014

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