Les « auctioneers » mènent le bal

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 17 septembre 2014 - 1130 mots

Depuis maintenant trente ans, New York domine les ventes aux enchères d’art contemporain. L’attrait culturel de la ville, le nombre de riches collectionneurs et un calendrier adapté expliquent le phénomène.

Ce n’est un secret pour personne. L’art contemporain a pris une ampleur considérable depuis une dizaine d’années dans les ventes aux enchères, notamment à New York. Selon l’institut de conseil Art Economics, en 2013, les vacations d’art contemporain dans le monde ont augmenté de 11 % en valeur, atteignant un pic historique de 4,9 milliards d’euros (contre 593 millions d’euros en 2003). Durant la dernière décennie, c’est le secteur du marché de l’art qui a enregistré la plus forte croissance ( 480 % en valeur entre 2003 et 2007), l’art contemporain agissant comme un signe d’appartenance sociale fort.

Selon les chiffres publiés par Artprice dans son rapport de 2013 sur le marché de l’art contemporain, New York occupe la première place, au détriment de Londres et Paris : « New York représente 97 % du marché de l’art contemporain aux États-Unis, notamment 45 % des enchères millionnaires, contre 25 % à Londres, 25 % en Chine et 5 % que se partagent la France, l’Asie (hors Chine) et le Moyen-Orient », mentionne ainsi le rapport. Edmond Francey, directeur du département d’art d’après-guerre et contemporain de Christie’s Paris, confirme cette prédominance : « Bien évidemment, et ce sans aucun doute, New York est la capitale du marché de l’art. Les deux grandes ventes des mois de novembre et mai nous donnent la température du marché. Depuis les années 1960, les États-Unis ont pris le leadership sur ce marché. La force de l’art américain, en particulier du pop, conjuguée à l’appétit des collectionneurs de ce pays a sacré New York comme place principale pour l’art d’après-guerre et contemporain. »

Concentration de grands collectionneurs
Pourquoi New York plutôt que Londres ou Paris ? Pour la capitale française, l’explication est simple : les commissaires-priseurs français, dans les années 1960, ont laissé s’échapper une belle opportunité en refusant d’acquérir la société de ventes Parke-Bernet à New York, leader aux États-Unis dans les années 1950. Sotheby’s, anglaise à l’époque, a su saisir cette chance et s’y est installé dès 1964, accédant par là même aux grandes collections américaines. Une fiscalité plutôt défavorable par rapport aux pays anglo-saxons (comme la TVA à l’importation portée à 5,5 % en France), ensuite, et la disparition trop tardive, en 2001, du monopole des commissaires-priseurs ont eu raison de la place parisienne. Le marché haut de gamme a eu le temps, en trente ans, de se déplacer vers Londres et surtout New York, pour les grandes ventes et les lots phares d’art contemporain.

Mais Londres n’a pas fait le poids longtemps car c’est aux États-Unis que se concentrent les plus grands collectionneurs. Selon Art Economics, 49 % d’entre eux y résident, contre 5 % au Royaume-Uni et 4 % en France. Le pouvoir économique des acheteurs et vendeurs américains combiné à l’effervescence culturelle de la Grosse Pomme font que la ville a agi et agit encore comme un aimant. « Depuis les années 1960, les artistes, américains ou étrangers, regardent New York comme le lieu de consécration de leur travail », explique Stefano Moreni, directeur du département art contemporain chez Sotheby’s.

Un cercle vertueux s’est alors mis en place : les artistes y vivent ou y travaillent, attirant les plus grandes galeries d’art contemporain, institutions et maisons de ventes aux enchères (30 % des maisons de ventes américaines sont établies à New York, 17 % en Californie et 12 % en Floride, selon Art Economics). Quoi de plus logique, donc, que les artistes américains se retrouvent les plus cotés ? En 2013, les œuvres d’Andy Warhol, de Jean-Michel Basquiat, Jeff Koons, Roy Lichtenstein, Willem de Kooning, Christopher Wool et Jackson Pollock ont été les plus vendues.

Un bond en dix ans
Si l’on prend l’exemple des départements d’art contemporain new-yorkais des deux leaders mondiaux, Christie’s et Sotheby’s, dont les stratégies et le marketing sont particulièrement agressifs, ceux-ci cumulaient à eux deux, en 2004, 467,6 millions de dollars de chiffre d’affaires (soit 342,7 millions d’euros). « L’année 2003, Sotheby’s New York, a atteint un produit de 140,6 millions de dollars (111,9 millions d’euros). À l’époque, c’était déjà une somme impressionnante. Dix ans plus tard, c’est le montant d’une vente du jour ! », relève Stefano Moreni. En 2013, une année record pour les deux auctioneers à New York, ce montant s’élève à 2,8 milliards de dollars (2 milliards d’euros). En comparaison, en 2006, Christie’s et Sotheby’s Paris totalisent 19,1 millions d’euros (contre 313 millions d’euros à Londres et 685 millions d’euros à New York). En dix ans, de 2004 à 2013, New York a totalisé 12 milliards de dollars (9 milliards d’euros), 5,3 milliards de dollars pour Sotheby’s et 6,7 milliards de dollars pour Christie’s. À Paris, depuis 2006, les deux multinationales ont rapporté 462,3 millions d’euros.

Les grandes vacations new-yorkaises ont lieu en mai puis en novembre, « une saisonnalité printemps/automne établie depuis plus de dix ans, à un moment où il y a le plus d’activité à New York. C’est aussi un calendrier qui prend en compte le circuit international, devenu très intense avec des ventes de prestige presque chaque mois », souligne Stefano Moreni. Régulièrement, des pluies de records s’abattent sur ces sessions. Le dernier record a été établi le 12 novembre 2013 chez Christie’s, avec le triptyque Three Studies of Lucian Freud, de Francis Bacon, cédé à New York pour 142,4 millions de dollars (108,5 millions d’euros). Il s’agit du tableau le plus cher du monde vendu aux enchères. Le second record est détenu par Warhol, avec Silver Car Crash), adjugé 105,4 millions de dollars (80,3 millions d’euros) chez Sotheby’s New York le 13 novembre 2013.

La troisième marche du podium revient à Mark Rothko, avec Orange, Red, Yellow, emporté pour 86,8 millions de dollars (66,5 millions d’euros) chez Christie’s New York le 8 mai 2012. Sur les vingt tableaux d’art contemporain vendus entre 50 et 140 millions de dollars, dix-neuf l’ont été à New York et un seul à Londres (Triptych, Bacon, 51,4 millions de dollars, 6 février 2008).

Peut-on imaginer que ces prix puissent redescendre un jour ? « En 2003-2004, on avait déjà l’impression d’atteindre des sommets. À moins d’un changement de goût, d’une raison économique et sociale, je ne vois pas pourquoi ce marché s’arrêterait, même s’il peut y avoir des corrections », estime Stefano Moreni. Edmond Francey affirme de son côté que « la structure de ce marché fait qu’il n’y a pas de raison pour que cela change ».

En 2009, les départements d’art contemporain de Christie’s et Sotheby’s New York, après la crise financière de 2008, ont vu leur chiffre d’affaires baisser de 60 %, une perte quasiment effacée l’année suivante.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°419 du 19 septembre 2014, avec le titre suivant : Les « auctioneers » mènent le bal

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