Qui est le commissaire à la culture ?

Un Hongrois conservateur à la Culture

Tibor Navracsics, le futur commissaire européen, hérite d’un portefeuille Culture amputé et très cadré

Par Isabelle Spicer (Correspondante à Berlin) · Le Journal des Arts

Le 16 septembre 2014 - 778 mots

Dans la liste présentée par Jean-Claude Juncker, futur président de la Commission européenne, le commissariat à l’éducation, la culture et la jeunesse échoit à Tibor Navracsics, l’actuel ministre des Affaires étrangères hongrois. Ce proche du controversé Premier ministre, Viktor Orbán, hérite d’un portefeuille amoindri et sous tutelle d’un vice-président.

BRUXELLES - Jean-Claude Juncker, futur président de la Commission européenne, a dévoilé le 10 septembre la composition de sa future équipe. Le portefeuille de l’éducation, de la culture, de la jeunesse et de la citoyenneté revient à Tibor Navracsics, un juriste hongrois conservateur âgé de 48 ans, éphémère ministre des Affaires étrangères et vice-Premier ministre de la Hongrie depuis juin 2014. Spécialiste de l’ex-Yougoslavie, parlant le serbe et le croate, Navracsics espérait un autre poste. Il avait confié le 5 septembre au quotidien allemand Die Welt qu’il ambitionnait le poste de commissaire à l’élargissement. Mais outre l’intégration des Balkans dans l’Union européenne (UE), ce portefeuille comprenait également la politique de voisinage, et donc la gestion du délicat dossier ukrainien. Navracsics aurait certes été compétent pour le poste, mais les positions ambiguës de la Hongrie, opposée aux sanctions économiques contre la Russie, ont joué en sa défaveur.

La nomination de Navracsics à la culture et à l’éducation a été vécue comme un camouflet par la Hongrie. Même si le programme « Europe créative » (lire le JdA no 410, 28 mars 2014) a été désigné comme une priorité d’action par la Commission européenne, ce portefeuille reste mineur. En vertu du principe de subsidiarité, aussi bien l’éducation que la culture relèvent toujours de la compétence des États membres de l’UE, et la Commission ne dispose que d’une très faible marge de manœuvre dans ce domaine. Son action vient s’inscrire en complément des politiques nationales.

La culture sans l’audiovisuel
Pour ajouter l’insulte à l’affront, le portefeuille de Tibor Navracsics se voit amputer de 56 % de son instrument financier : il perd la gestion de l’audiovisuel, un des trois volets du programme « Europe créative ». Sur le papier, le titre du Commissaire reste inchangé, il récupère même des compétences supplémentaires : la citoyenneté et la gestion de l’Office des publications. Mais à la lecture des petits caractères, il apparaît que le programme « Media », concernant l’audiovisuel, sera désormais placé sous l’autorité du commissaire allemand, Günther Oettinger, en charge de l’économie numérique. Cette décision paraît aberrante : la Commission précédente avait regroupé la culture (31 % du budget) et l’audiovisuel (56 % du budget) dans le programme « Europe créative », doté d’un budget d’1,46 milliard d’euros sur la période 2014-2020. Ce regroupement s’était fait non sans grincement de dents du côté de la direction générale Éducation et Culture, mais avait fini par être accepté. Le programme « Europe créative » sera désormais réparti entre deux directions générales et deux commissaires. Il n’est pas précisé qui prendra en charge le troisième volet intersectoriel, qui représente 13 % du budget, et prévoit notamment la création d’un instrument de garantie bancaire pour les secteurs de la culture et de l’audiovisuel.

Audition prochaine
Jean-Claude Juncker a précisé dans une lettre de mission les priorités d’intervention du nouveau commissaire. Toutes sont orientées vers le retour de la croissance et de l’emploi. Seule l’une des six priorités concerne la culture. Tibor Navracsics devra œuvrer pour la diversité culturelle. Mais aussi promouvoir la culture comme « catalyseur de l’innovation, en maximisant la contribution du secteur à la croissance et à l’emploi ». Par ailleurs, il dépendra du vice-président de la Commission en charge de l’emploi et de la croissance, et devra lui soumettre au préalable toute décision impliquant un vote de la Commission.

Fidèle lieutenant du très controversé Premier ministre hongrois, Viktor Orban, Tibor Navracsics est considéré comme un modéré dans le parti au pouvoir, le Fidesz. Ancien ministre de la Justice de 2010 à 2014, il a pourtant déjà eu maille à partir avec Bruxelles : l’Union européenne avait menacé la Hongrie de sanctions en raison de son projet de loi visant à réguler les médias, qui mettait en danger la liberté d’expression.

Avant d’entrer en fonction le 1er novembre prochain, la Commission de Juncker devra obtenir l’approbation du Parlement européen. Auparavant, chacun des vingt-huit commissaires sera auditionné par le Parlement. On murmure à Bruxelles que l’audition de Tibor Navracsics sera loin d’être une simple formalité. Celui-ci devra notamment répondre des dérives autoritaristes de Viktor Orban. Benedek Javor, député européen hongrois affilié au groupe des Verts, a déclaré qu’il serait compliqué pour Tibor Navracsics de « promouvoir la diversité culturelle quand, dans son pays, son gouvernement dicte ce que doit être la “vraie” culture, comment les jeunes doivent être éduqués », et cherche à museler la société civile.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°419 du 19 septembre 2014, avec le titre suivant : Un Hongrois conservateur à la Culture

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