Collection

Beyeler version latine

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 8 avril 2014 - 659 mots

La Fondation bâloise met en lumière un bel ensemble d’œuvres d’artistes sud-américains issues de la collection Daros Latinamerica, installée à Zurich.

RIEHEN/BALE - La Suisse et l’Amérique latine ont beau se situer aux antipodes l’une de l’autre, géographiquement comme culturellement, la première recèle l’une des plus importantes collections d’artistes de la seconde, et certainement l’une des rares en Europe. L’initiative en revient à la collectionneuse Ruth Schmidheiny, qui au sein de l’impressionnante Collection Daros installée à Zurich, a pris le parti en 2000 de développer « Daros Latinamerica ». Cette section dévolue à la création du sous-continent américain est forte aujourd’hui de quelque 1 200 œuvres. Ce développement s’est accompagné en 2013 d’un véritable ancrage local avec l’ouverture à Rio de Janeiro de la « Casa Daros », qui organise expositions et événements culturels à partir de la collection.

Liée à la Fondation Beyeler par un accord de partenariat pour des prêts d’œuvres, la puissante collection zurichoise y dévoile aujourd’hui quelques-uns de ses trésors latinos. Dans les contrées helvètes, l’initiative fait un peu figure de nouveauté tant la création de cette région du monde y demeure fort peu visible, hormis chez quelques galeristes avisés. Le zurichois Peter Kilchmann y défend ainsi de longue date de nombreux artistes de cette région, mexicains notamment.

Un film vif et nostalgique
À l’exception de Juan Carlos Alom, artiste cubain méconnu qui délivre là un réjouissant film en noir et blanc à la fois vif et nostalgique plongeant dans les racines et les spécificités de la culture de son île natale (Habana Solo, 2000), le visiteur un peu au fait ne fera pas de découvertes, mais, comme toujours dans l’institution bâloise, il sera confronté à des œuvres de grande qualité. Les pièces présentées dans les salles du sous-sol n’offrent pas elles non plus un regard particulièrement inédit sur la création latino-américaine, qui a trait pour l’essentiel à des problématiques spatiales et territoriales, mais aussi corporelles et identitaires, fondamentales dans cette région du monde.
L’Argentin Guillermo Kuitca rassemble dans une vaste salle sept tableaux de grand format qui illustent la diversité de ses préoccupations entre géographie concrète et territoires mentaux. À une carte de l’Afghanistan dont le relief suggéré est étrangement accentué par le fait d’être peinte sur un matelas (Afghanistan, 1990), répondent des tableaux verticaux et élancés de plus de 3 mètres de hauteur aux motifs de cartes topographiques. Des cartes qui semblent comme dilatées et densifiées au point de brouiller la lecture des régions qu’elles donnent à voir. Sur l’une d’elle, au tracé blanc sur fond noir figurant les axes routiers couvrant la France et la Suisse par exemple, la densité atteint un tel degré que le visiteur, prenant du recul face au tableau, y verra soudain comme un ciel étoilé (Untitled, 1991).

La vidéo très présente
Dans son film Obstrucción de una vía con un contenedor de carga (1998), tourné sur l’un des grands axes de circulation de Mexico, Santiago Sierra interroge l’organisation sociale, spatiale, fonctionnelle mais aussi visuelle du territoire lorsqu’un semi-remorque s’y place en travers de la voie, bloquant ainsi pour quelques minutes un trafic congestionné et libérant une autre partie des lieux de leur encombrement routier. L’Argentin Jorge Macchi semble lui répondre par un clin d’œil dans une courte vidéo. Il y offre une plongée sur un axe à quatre voies particulièrement propre où les voitures défilent à rythme constant et fluide… au son d’une boîte à musique (Caja de música, 2003-2004).

Faisant la part belle à la vidéo, l’exposition propose également un enchaînement de travaux ayant trait à l’identité et notamment à l’intégrité corporelle, dans lequel s’enchaînent de beaux films d’Ana Mendieta ou d’Oscar Muñoz. Le Colombien Miguel Ángel Rojas y livre avec Caquetá (2007) une œuvre à la fois lumineuse et dérangeante. Un homme sans mains, filmé face à une flaque d’eau, débarrasse son visage de peintures qu’on dirait guerrières à l’aide de ses seuls moignons. Une fois le visage éclairci, celui-ci fixe la caméra, c’est celui d’un adolescent.

DAROS LATINAMERICA COLLECTION

Jusqu’au 27 avril, Fondation Beyeler, Basel-strasse 101, Riehen/Bâle, tél. 41 61 645 97 00
www.fondationbeyeler.com
tlj 10h-18h, mercredi 10h-20h.

Légende Photo :
Juan Carlos Alom, Habana Solo (image extraite), 2000, vidéo monocanal transférée de film 16 mm, 15 min, collection Daros Latinamerica, Zürich. © Photo : Zoe Tempest, Zürich.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°411 du 11 avril 2014, avec le titre suivant : Beyeler version latine

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