Justice

Bronze

Surmoulage : divergence entre le TGI et la Cour de cassation

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 12 mars 2014 - 1010 mots

En reconnaissant l’authenticité d’une sculpture en bronze obtenue à partir d’un surmoulage d’un « bijou de Braque », le TGI s’écarte de la décision de la plus haute juridiction concernant la « Vague » de Claudel.

PARIS - Le tribunal de grande instance (TGI) de Paris a refusé d’annuler, le 17 janvier 2014, la vente d’une sculpture Hermès numérotée 5/8, présentée, comme étant de Braque, au feu des enchères par l’opérateur Millon & associés en 2006. Si cette solution pouvait s’imposer au regard de la connaissance par l’adjudicataire des conditions du tirage du bronze litigieux, la qualification retenue à l’égard de la sculpture suscite de nombreuses réserves.

Un an avant son décès, Georges Braque (1882-1963) avait conclu un accord avec un lapidaire joaillier, le baron Heger de Lowenfeld. Selon le tribunal, ce contrat avait vocation à organiser les conditions « dans lesquelles le peintre a autorisé [le baron] à réaliser à partir des gouaches inspirées de son œuvre, des œuvres en trois dimensions ». Dès lors, « parmi les gouaches exécutées par le baron de Lowenfeld, inspirées de l’œuvre des Métamorphoses de Georges Braque, ce dernier disposait d’un droit discrétionnaire sur le choix des gouaches qui seraient réalisées en trois dimensions ». Le choix et l’accord de Georges Braque s’étaient alors matérialisés par l’apposition sur chaque gouache choisie de sa signature et de la mention d’autorisation, exécutées de sa main. Puis, à partir des gouaches ainsi choisies, le baron de Lowenfeld avait réalisé une œuvre en trois dimensions, laquelle était signée par Georges Braque.

Surmoulage
La sculpture litigieuse Hermès avait ainsi été réalisée du vivant de l’artiste et présentée à l’exposition « Bijoux de Braque » organisée au Musée des Arts décoratifs de mars à avril 1963. Après le décès de Braque, Heger de Lowenfeld avait continué à réaliser des gouaches à partir des œuvres du peintre, servant elles-mêmes à la création de nouveaux bijoux, jusqu’en 1996. À cette date, le joaillier cédait à M. Israël les droits de reproduction sur l’œuvre des Métamorphoses, dont il était titulaire, ainsi que l’avait confirmé par deux fois la veuve de Braque en 1964. Le nouveau titulaire des droits de reproduction fit alors réaliser des tirages en bronze de l’œuvre Hermès.

Le TGI conclut alors « que les exemplaires réalisés dans le respect des dispositions de cet accord portent sa signature et sont des multiples autorisés de Braque », car, aux termes de cet accord, il n’était pas prévu que l’exemplaire original émane d’une exécution manuelle de l’artiste. De manière plus surprenante, le tribunal retient « que la qualité d’œuvre originale est reconnue aux fontes posthumes exécutées avec l’autorisation de l’auteur ». Or l’exemplaire litigieux avait été nécessairement réalisé à partir d’un surmoulage de l’œuvre autorisée par Georges Braque. À cet égard, la Cour de cassation était venue préciser, à l’occasion de l’arrêt portant sur La Vague de Camille Claudel du 4 octobre 2012, que « seules constituent des exemplaires originaux les épreuves en bronze à tirage limité coulées à partir du modèle en plâtre ou en terre cuite réalisé par le sculpteur personnellement », et que « l’exemplaire obtenu par surmoulage ne saurait être qualifié d’original et ne peut être présenté au public comme tel » (lire LeJournaldesArts.fr du 24 février 2014 Le présent jugement s’écarte ainsi radicalement de la solution retenue par la haute juridiction, puisque Georges Braque n’a jamais exécuté personnellement un modèle permettant des fontes posthumes originales.
Les experts désignés par le tribunal avaient eux-mêmes retenu que l’artiste « n’a pas participé à la fabrication de la sculpture litigieuse qui a été exécutée sans ses instructions, sans son contrôle et sans sa responsabilité d’artiste. La sculpture litigieuse est une œuvre d’Heger de Lowenfeld d’après une gouache d’Heger de Lowenfeld dont la reproduction a été autorisée par Georges Braque ».

Or l’œuvre avait été présentée au sein du catalogue de vente comme un exemplaire original d’une œuvre de Georges Braque. L’article 3 du décret Marcus dispose pourtant que l’indication qu’une œuvre porte la signature d’un artiste ou est présentée comme étant de celui-ci « entraîne la garantie que l’artiste mentionné en est effectivement l’auteur ». La vente du bronze litigieux aurait ainsi pu donner lieu à nullité. Il n’en est cependant rien et la solution aurait été identique si le tribunal avait retenu que le bronze litigieux n’était pas original. En effet, sur le fondement de l’article 1110 du code civil, le prononcé de la nullité d’un contrat pour erreur impose d’être en présence d’un consentement vicié. L’adjudicataire aurait dû avoir la conviction légitime et erronée qu’il se portait acquéreur d’une œuvre authentique et originale. Or il ressort des débats qu’un accord préalable à la vente avait été conclu entre M. Israël, titulaire du droit de reproduction, et M. Pueyo, adjudicataire de l’œuvre. Le tribunal relève ainsi que M. Pueyo aurait connu les conditions de réalisation du tirage et qu’il se serait porté adjudicataire en toute connaissance de cause. Ce dernier n’aurait pas démontré « que son consentement était déterminé par l’acquisition d’une sculpture faite de la main de Braque ». L’erreur ne pouvait alors être retenue, cette qualité substantielle n’étant pas entrée dans le champ contractuel. Néanmoins, le raisonnement du tribunal est confus et méconnaît le processus de réalisation d’un bronze ; seul le moule a été exécuté personnellement par l’artiste, non le tirage. En filigrane, le tribunal reconnaît paradoxalement que l’œuvre n’est pas de la main de Braque. L’étonnement redouble lorsque le TGI conclut que « deux exemplaires en bronze comparables à la sculpture litigieuse » ont été vendus aux enchères pour plus de 400 000 euros et que « ces œuvres ne sont donc pas dépourvues de toute valeur marchande ».

M. Pueyo soutenait, par ailleurs, qu’il aurait été victime de manœuvres dolosives de la part de M. Israël, ce dernier ayant tout à la fois fait procéder à la réalisation de la fonte litigieuse, mis en vente celle-ci par le biais de la société gérée par sa femme, et acquis en indivision l’œuvre avec l’adjudicataire. Le tribunal rejette une nouvelle fois ses prétentions, faute de preuves.

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Palais de Justice - Rue de Harlay - Paris Ier - © Photo Mbzt - 2011 - Licence CC BY 3.0

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°409 du 14 mars 2014, avec le titre suivant : Surmoulage : divergence entre le TGI et la Cour de cassation

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