Madrid - L’Arco au plus haut

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 12 mars 2014 - 883 mots

La foire internationale d’art contemporain madrilène a produit une excellente édition 2014, et a permis d’y faire de nombreuses découvertes.

MADRID - C’est ce qui s’appelle un grand écart. Dans un pays encore durement marqué par la violence de la crise économique, l’Arco Madrid, dont la 33e édition se tenait du 19 au 23 février, a fait montre d’un remarquable dynamisme et d’une qualité globale qui ne l’était pas moins.
Le contexte local n’est pourtant pas des plus heureux. « Le marché de l’art est quasi inexistant à Madrid depuis l’automne 2008. Les collectionneurs locaux se sont mis en retrait, les institutions ont peu de moyens et achètent très peu. Presque toutes nos ventes depuis lors se sont faites à l’étranger et dans des foires », confiait ainsi Inés López-Quesada, codirectrice de la galerie Travesía Cuatro (Madrid).
Le travail de dépoussiérage du salon engagé par Carlos Urroz depuis qu’il en a pris la direction il y a quatre ans, à travers la baisse du nombre d’exposants (1) et une sélection plus affinée, est désormais visible et se traduisait dans les travées par une atmosphère à la fois fraîche, professionnelle et sérieuse. Une atmosphère qui, au-delà des propositions émises par les galeries, émanait aussi de la qualité du public.

Car si le salon n’a pas désempli au cours des deux journées réservées aux professionnels et collectionneurs porteurs de cartes VIP, c’est une foule véritablement internationale qui se pressait dans les allées : des visiteurs venus de toute l’Europe, pays germanophones compris, de très nombreux Latino-Américains comme il est ici d’usage, mais aussi des Américains, ce qui y est moins attendu. « La crise est forte en Espagne mais beaucoup de gens que nous ne voyons pas forcément passent par là. La foire fait un très gros travail d’invitation de collectionneurs, de curateurs et de professionnels, ce qui permet de faire beaucoup de rencontres qualitatives », relevait Isabelle Alfonsi, codirectrice de Marcelle Alix (Paris), qui exposait notamment une série de photos d’Aurélien Froment sur les figures du Palais du facteur Cheval. Un avis partagé par Ignacio Liprandi (Buenos Aires), chez qui l’on pouvait dénicher de beaux dessins brûlés de l’Argentin Tomás Espina, qui se félicitait d’une « foire dynamique, avec beaucoup de passage et de nombreuses demandes de prix ».

Notable était la très belle tenue du secteur dédié aux jeunes enseignes, qui, bien souvent, se montre brouillon ou de piètre qualité, y compris dans des manifestations phares telles Art Basel ou Frieze London. La vapeur était ici inversée, et parmi les 27 enseignes regroupées dans « Opening », rares sont celles qui se sont révélées décevantes. Effectuée par les commissaires indépendants Manuel Segade et Luiza Teixeira de Freitas, la sélection  a fait montre à la fois d’un vrai souci curatorial et de propositions hétérogénes. Ainsi pouvait-on redécouvrir les vidéos narratives et poétiques au caractère autobiographique de Rafael França, pionnier de la discipline au Brésil, présentées par Jaqueline Martins (São Paulo). Le visiteur pouvait aussi s’arrêter chez Dan Gunn (Berlin) devant un curieux film expérimental et comme atemporel du Catalan Adrià Julià, figurant des lignes blanches en mouvement sur un fond noir obtenu par une simple obturation de l’objectif.
Les Français, nombreux dans cette section, n’y déméritaient pas, entre Emmanuel Hervé offrant son stand à trois générations d’artistes brésiliens – Fernanda Gomes, Camila Oliveira Fairclough et Sergio Sister – et Jérôme Poggi proposant un solo show de Juliana Borinski. Certains y faisaient stand commun, comme Antoine Levi (Paris) avec Fluxia (Milan), présentant respectivement Olve Sande et Andrea Romano, ou Sultana (Paris) avec Instituto de visión (Bogotá). L’accrochage de ces derniers mêlait d’attachants faux coquillages sonores élaborés par Arnaud Maguet et Olivier Millagou et des lettres en ciment qui formaient un paysage sur table de Felipe Arturo. Relevons également la participation de NoMínimo (Guayaquil) avec les Équatoriens José Hidalgo-Anastasio, aux belles sculptures en métal liées à la compréhension et à la mesure de l’espace, et Anthony Arrobo, dont un alignement de verres emplis de ciment entretenait la confusion entre réalité et décor.

Projets pertinents
Très énergique, le secteur « Solo Projects » était largement dominé par les galeries latino-américaines pour qui « l’Arco est un très bon contexte pour approcher l’Europe », ainsi que le relevait Nora Fisch (Buenos Aires) exposant des peintures récentes de Fernanda Laguna. Quelques stands y affichaient des propositions pertinentes : chez Barro Arte Contemporáneo (Buenos Aires), Diego Bianchi a empli l’espace d’objets qui s’animaient par le biais d’un performeur, tandis que chez Proyecto Paralelo (Mexico), Santiago Borja, revenu de la villa Savoye (Poissy), confrontait au modernisme de Le Corbusier des palapas traditionnels et des tapis mayas en forme de taches d’encre aux motifs… des plus modernes !

Dans la section principale, si quelques stands piquaient encore les yeux, ils n’étaient pas si nombreux. Surtout, rares étaient les poids lourds internationaux de la profession, ce qui permettait de faire là encore de nombreuses découvertes. Comme les photos de paysage de Caio Reisewitz sur le stand de Luciana Brito (São Paulo), ou les clichés d’actions radicales du Péruvien Sergio Zevallo ou du Serbe Tomislav Gotovac chez Espaivisor (Valence).
Avec ce redressement manifeste, l’Arco est redevenue, à l’image de sa consœur turinoise Artissima, un salon qualitatif où propositions établies, découvertes et nouveautés sont au rendez-vous, constituant en cela un bol d’air frais fort bienvenu.

 

Note

(1) cette année au nombre de 219 en provenance de 23 pays.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°409 du 14 mars 2014, avec le titre suivant : Madrid - L’Arco au plus haut

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