Mode

Bijoux

Cartier, le roi des joailliers

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2014 - 739 mots

PARIS

Dans l’écrin somptueux du Salon d’honneur du Grand Palais, l’exposition consacrée à la Maison Cartier brille d’un éclat résolument historique.

Paris - Les mauvaises langues susurrent qu’en temps de crise économique, des expositions consacrées aux prestigieuses maisons de la place Vendôme offrent l’occasion idéale de faire rêver un grand nombre de visiteurs tout en renflouant les caisses des musées… Ce serait oublier que la haute joaillerie est aussi et surtout un formidable laboratoire de formes, un résumé parfait des techniques et des modes décoratives ayant éclos sous les cieux parisiens. « L’exposition n’est pas la promotion d’une marque, mais l’analyse d’un style par une équipe de conservateurs du patrimoine et d’historiens de l’art », se défend ainsi Jean-Paul Cluzel, le Président de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, dans la préface du catalogue. S’appuyant sur les archives historiques pieusement conservées au sein de la Maison, bénéficiant de prêts exceptionnels auprès de la famille royale d’Angleterre ou de la Principauté de Monaco, l’exposition brosse ainsi, à travers plus de 600 bijoux, le panorama de plus d’un siècle de création joaillière.

On y apprend ainsi que dès sa fondation, en 1847, Cartier n’a cessé d’épouser le cours des mutations culturelles, politiques et sociales, adaptant styles et matériaux aux soubresauts des fortunes et des aléas de l’histoire. Joaillier attitré des têtes couronnées de la vieille Europe comme de la Russie des tsars, la maison de la place Vendôme anticipera néanmoins les demandes de cette nouvelle bourgeoisie avant-gardiste, cosmopolite et fortunée que l’on a baptisée avec humour la Café Society. À la délicatesse du « style Louis XVI » épris d’entrelacs, de guirlandes et de rosettes, succède bientôt le style « moderne » dont Cartier se fait l’ambassadeur dès l’aube du XXe siècle. Exit les fioritures et les lignes fluides et souples ! C’est désormais le triomphe de la ligne droite et de l’épure, l’équilibre revendiqué entre un classicisme atemporel et une modernité sans faille. Paradoxalement, c’est autour du bijou le plus aristocratique que Cartier va innover de façon radicale. Bousculant les codes de la haute joaillerie adepte des matériaux d’exception, la maison lance les premiers diadèmes montés sur acier. À l’opposition du blanc et du noir prônée par les adeptes de l’Art déco – assurément l’une des périodes les plus fécondes en matière de révolution joaillière –, Cartier ajoute les séductions de la couleur en mariant le saphir à l’émeraude, en introduisant des pierres semi-précieuses jusqu’ici boudées comme la turquoise, l’agate ou le corail…

Un témoignage historique de la saga Cartier
Il faut dire que les frontières entre le monde des arts décoratifs et celui de la mode se sont considérablement estompées : à peine sorties des ateliers de la maison, les créations signées Cartier dialoguent harmonieusement avec les robes dessinées par Jean Patou, Worth ou Lanvin.
Loin d’être recroquevillée sur son savoir-faire et ses traditions, la maison de la place Vendôme ne cessera parallèlement d’élargir son répertoire, de renouveler ses sources d’inspiration. En ces années 1920, l’époque, il est vrai, est à l’apologie de la vitesse et des voyages, au sacre de l’exotisme et des nouveaux horizons. Sur fond de Croisière noire, le Paris des avant-gardes s’enflamme pour l’art « nègre », tandis que l’archéologue britannique Howard Carter découvre, en 1922, la tombe du jeune pharaon Toutankhamon. C’est désormais un bestiaire librement inspiré d’Afrique, d’Égypte, d’Inde ou d’Extrême-Orient (scarabées, chimères, panthères, crocodiles, dragons…) qui va désormais envahir à foison colliers, broches, bracelets et même pendulettes !

Dans le même temps, la clientèle qui se presse vers la place Vendôme se fait, elle aussi, de plus en plus éclectique. Aux côtés des étoiles du septième art (de l’actrice mexicaine Maria Félix à l’insatiable Élisabeth Taylor), on rencontre de riches héritières américaines (dont Marjorie Merriweather Post, la femme la plus fortunée des États-Unis), des princes indiens (le maharajah de Patiala déposera en 1925 plusieurs milliers de pierres précieuses à sertir de façon nouvelle !), voire des artistes et des poètes (Jean Cocteau immortalisera la célèbre bague Trinity créée en 1924).
Magnifiée par d’audacieux jeux de lumière (le Cartiersoscope signé du tandem Antoine Manuel), l’exposition réconcilie ainsi à merveille érudition et séduction…

Cartier

Commissariat : Laurent Salomé, conservateur en chef du patrimoine et directeur scientifique de la Rmn-Grand Palais, et Laure Dalon, conservateur du patrimoine.

Nombre d’œuvres exposées : 539 pièces de la Collection Cartier ; 300 pièces ou documents d’archives ; 100 pièces et œuvres hors Collection Cartier, dont la moitié de bijoux.

Cartier, le Style et l’Histoire

Jusqu’au 16 février 2014, Grand Palais Salon d’honneur, ouvert tlj sauf le mardi 10h-20h, nocturne le mercredi soir jusqu’à 22h. Renseignements et réservations au 01 44 13 17 17 et sur www.grandpalais.fr, catalogue Cartier, le style et l’histoire, ouvrage collectif, éditions de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, 400 pages, relié, 720 illustrations, 45 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°406 du 31 janvier 2014, avec le titre suivant : Cartier, le roi des joailliers

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