Vincent Pomarède, chef du département des Peintures au Musée du Louvre

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 11 décembre 2013 - 1835 mots

Dirigeant depuis dix ans le département des Peintures du Louvre, Vincent Pomarède est le grand complice du nouveau président, Jean-Luc Martinez.

Dans l’échec, ce qui compte c’est la suite. Vincent Pomarède nous en donne une belle illustration. Candidat il y a moins d’un an à la succession d’Henri Loyrette à la tête du Louvre, où il dirige le département des Peintures depuis 2003, il n’a pas du tout les airs du « postulant malheureux ». Il est si proche de l’élu, Jean-Luc Martinez, venu, lui, du département de l’Antiquité gréco-romaine, que certains parlent d’un « binôme ». « On en a eu deux pour le prix d’un », a-t-on pu entendre dans les couloirs. Lui se récrie, en faisant observer qu’il n’est pas question de coprésidence. Bon, « vice-président » on va dire. Quoi qu’il en soit, leur entente fonctionne à merveille, ce qui aide beaucoup « le plus grand musée du monde » à réussir cette transition.

Inventaire
Le plus rond des deux, ayant adopté la barbe comme s’il voulait démentir un visage poupin, Vincent Pomarède peut afficher le sourire que tous lui connaissent. Dans cette séparation des tâches, il réfléchit au redéploiement des collections, sans se soucier des rapports avec une tutelle déficiente, des lignes budgétaires sacrifiées ou des palabres avec les élus syndicaux. Sans parler des mondanités, lui qui préfère s’isoler pour écrire.
Il ne faut pas se tromper, tout cela, il sait le faire. Mais, derrière cet air avenant, se lit aussi la pointe de philosophie d’un homme lassé de porter les avanies pour tout le monde.

La transition réussie qu’a opérée le Louvre en cette année 2013 n’avait rien d’évident. Henri Loyrette fut très chaleureusement applaudi par le personnel quand il fit ses adieux. Mais, de l’avis général, la fin de règne a été longue. Même si personne n’ose parler de bilan d’inventaire, tous se montrent soulagés de la présence d’un président déterminé à mettre fin à une expansion tous azimuts pour se recentrer sur l’accueil du public.
« Même avec des manières et des accents différents, nous avons porté la même envie », témoigne Pomarède. Les deux hommes s’étaient « beaucoup parlé de leur candidature », s’entendant pour céder la place à celui qui aurait les plus grandes chances. Cette amitié, ils l’ont forgée dans la construction de l’antenne du Louvre à Lens (Pas-de-Calais), au point d’être surnommés « Blake et Mortimer ». Tout fier d’un projet qu’il avait fait sien, l’ancien grand patron n’avait pas trop insisté sur leur apport dans ses discours. Déjà, en 2008, quand fut envisagé de prêter cent quarante trésors du Louvre pour 4 millions d’euros à un exposant privé à Vérone (Italie), Pomarède s’était brusquement retrouvé seul en première ligne au moment où le projet était vilipendé.

Il ne montre aucune envie de commenter ces griffures. Il ne souhaite pas plus revenir sur les ratés de la succession de Loyrette, marquée par l’amateurisme de la nouvellement nommée à la Culture, Aurélie Filippetti, et de son cabinet. Sans revenir sur les détails d’une procédure rattrapée in extremis par l’Élysée, il suffit de rappeler que le candidat Pomarède n’a jamais été reçu par la ministre. Personne n’a cru bon d’accuser réception du projet qu’il avait rédigé ou encore de lui indiquer qu’il n’était pas retenu. Serviteur loyal, il a souffert de ne pas bénéficier du soutien de Loyrette. Il assure cependant trouver le choix de son ancien président « tout à fait normal ». Peut-être, mais les deux hommes n’ont pas échangé un mot depuis.

Le premier choc passé, le chef des Peintures a été sincèrement heureux de la désignation de son collègue. Rapidement, il lui fallut reprendre l’avion. Direction Abou Dhabi. Six ans après la signature d’un contrat d’un milliard d’euros avec les Émirats arabes unis, le chantier sur place vient juste de commencer. « Il fallait, commente-t-il, en retrouver l’esprit. » Autrement dit, faire sortir l’équipe précédente, en installer une sur place et regagner la confiance des Émiratis. Même si Pomarède n’a ni la mission, ni l’énergie, ni l’envie sans doute, de conduire l’entreprise, sa présence a dû rassurer ses interlocuteurs, qui le connaissent bien.

Rares sont ceux qui l’ont vu en colère. Sous ses dehors avenants, il ne manque pourtant pas de courage. Lors de la première réunion consacrée à ce projet, mettant sa démission dans la balance, il s’opposa à ce que les départements du Louvre s’occupent des acquisitions pour la future collection de l’émirat. Il s’est élevé contre un plan grandiose, qui lui paraissait démesuré. Il demandait des garanties contre la censure. « Il a surpris, note l’un des participants. On s’attendait tous à ce que la vieille garde syndicale monte au créneau, personne ne pensait que ces réticences viendraient d’un fidèle de Loyrette. »

Un conciliateur
Alors ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres arbitra en faveur des conservateurs de la maison mère. Pomarède fut mandé pour seconder Didier Sellès, administrateur de l’établissement, qui fit merveille dans la négociation de l’accord – habile moyen de neutraliser l’opposition interne. Ils auraient pu mettre des bâtons dans les roues, c’est le contraire qui s’est produit. « Il est un conciliateur né, un homme suscitant une confiance spontanée », s’enthousiasme ce dernier. « C’est un excellent compagnon de voyage, plein d’entrain et d’humour », témoigne Catherine Chevillot, qui l’a accompagné dans sa dernière visite à Abou Dhabi fin novembre. « Ils ont bien renoué le dialogue avec les Émirats, confie la directrice du Musée Rodin. Le chantier est impressionnant, alors que ceux du Guggenheim et du British Museum se résument encore à des panneaux indicateurs. Pomarède est un fédérateur, toujours prêt à communiquer son enthousiasme, et pour qui il n’est aucune tâche mineure ».

« Avec le sens du terrain qu’on lui connaît, il maîtrise toutes les facettes du métier », renchérit David Liot, directeur du Musée des beaux-arts de Reims, pour lequel Vincent Pomarède tient de « l’esprit et de la polyvalence de son père : il est dans la lignée de ces hommes qui ont reconstruit les musées après les guerres ».

Pas sûr que le jeune Vincent aurait apprécié une telle remarque. « Je suis né et j’ai grandi au musée », confesse-t-il. Son père a dirigé ceux de Bar-le-Duc (Meuse) et de Reims (Marne). Passé de la bibliothèque ducale à l’abbaye saint Rémi, le gamin a suivi les rondes de nuit de François Pomarède. À l’adolescence, il en est résulté « un rejet profond » qui l’a conduit à tâter du théâtre. À 20 ans, il mit un pied au Louvre, sans se douter que son parcours allait se confondre avec celui du musée. Il a fait tous les métiers. « J’ai eu la chance d’entrer par la petite porte », confie-t-il sans fausse modestie, le comptoir des moulages à la Réunion des musées nationaux, la boutique du Grand Louvre, la restauration de tableaux… La trentaine approchant, il a préparé l’ENA en même temps que le concours de conservateur, ce qui n’est pas courant. Le jour dit, il lui fallut choisir entre les deux oraux. Il fut de la première promotion de la nouvelle École nationale du patrimoine. Il s’est alors occupé de la peinture XIXe au Louvre, avant de diriger pendant près de quatre ans le Musée des beaux-arts de Lyon. Il fut rappelé pour succéder à Jean-Pierre Cuzin au département des peintures, acceptant de se placer à nouveau sous l’égide d’un autre.

De sa première visite, avec son père, il n’a pas oublié « la vétusté d’un endroit sale, mal géré, déchiré par les querelles de chapelle, souffrant d’un problème d’image ». Il ne cache pas son admiration pour les historiens et conservateurs Michel Laclotte, « le grand bâtisseur » ; Pierre Rosenberg, un « grand patron », et, oui, Henri Loyrette, qui « a donné tout son rayonnement au musée ». « À chacun des tournants, il y avait des limites, il y eut des défauts qu’il fallait corriger, mais j’en ai tiré une grande confiance dans la capacité du Louvre à traverser les époques et les crises. »

Flegme légendaire
Fort d’un flegme légendaire, il a assumé toutes les missions. Après le vol d’un Corot en 1998, il a réorganisé la sécurité, en faisant un stage à l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels. Durant des années, il a porté l’ambition d’un centre de réserves, de restauration et de formation, lequel prit l’eau avant d’être coulé par Filippetti. Lui-même avoue goûter les « projets difficiles ». Il aime se confronter au débat et même le provoquer, ce qu’il ne manque pas de faire quand il défend la restauration des chefs-d’œuvre de Vinci, Raphaël, Rembrandt ou Delacroix, avec un sens aigu de la déontologie.

Avec les marchands, il a rétabli des relations plus normales. Consultant de référence en peinture ancienne, Étienne Bréton ne tarit pas d’éloge sur cet « homme chaleureux, très à l’écoute, toujours constructif, qui essaie de comprendre autrui et s’intéresse aux œuvres. Après avoir fait un remarquable travail à Lyon, il a su prendre des risques en faisant appel à des jeunes pour renouveler son département ». « Il nous laisse une complète liberté, c’est un plaisir que de travailler avec lui », souligne celui qui a hérité de la peinture italienne, Vincent Delieuvin. Un peu inquiet à l’idée de lui voir passer la main un jour…

Alléger l’événementiel

Spécialiste de l’école de Barbizon, Pomarède écrit beaucoup, mais davantage comme vulgarisateur que comme historien de l’art. Ses travers sont connus. Boulimique, il en fait trop, ne répond pas aux courriels, « déteste » selon son propre aveu « décider dans l’urgence ». Moyen aussi de peser le pour et le contre, tel un chanoine jésuite tirant son parti de l’impatience qui l’entoure. Ce membre de l’association des amis de Poulbot aime chiner des caricatures de la fin du XIXe, son péché mignon. Mais contrairement à un Rosenberg, il ne fréquente guère l’hôtel Drouot, on le voit même rarement dans les grandes foires d’art. Il est très éloigné de ses homologues américains, qui cultivent le mécénat des grandes familles. Il n’est sans doute pas le prototype du conservateur moderne, ce qu’il prendrait peut-être comme un compliment.

2014, il le sait, est le temps des premières difficultés. Jamais la subvention de l’État n’a été aussi amputée. L’idée encore floue d’installer les réserves à Liévin (Pas-de-Calais) : « j’ai déjà donné ». La tentative, sous la pression du ministère, de renégocier un accord avec Abou Dhabi, qui prévoyait la restauration du pavillon de Flore ? Vincent Pomarède demeure sur la réserve.

Aujourd’hui, il lui semble impératif « d’alléger la partie événementielle pour reprendre l’accueil et les accrochages, afin d’aider le public à mieux comprendre les collections ». Ayant tiré les leçons de la difficile rétrospective « Ingres » (2006), il se félicite des liens renoués avec le Grand Palais pour les grandes expositions comme celle prévue en 2015 sur Vélasquez. « Il faudra réduire la voilure. Mais ce retour dans les salles, plaide-t-il, n’est pas dicté par la crise, il correspond à un besoin profond. » 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°403 du 13 décembre 2013, avec le titre suivant : Vincent Pomarède, chef du département des Peintures au Musée du Louvre

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