Justice

Le Frac Lorraine condamné à un euro symbolique

En raison d’un défaut de précaution spécifique à l’égard des mineurs, le Fonds régional d’art contemporain a été condamné au versement d’un euro symbolique au profit d’une association bien connue

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 10 décembre 2013 - 866 mots

Le Fonds régional d’art contemporain Lorraine a été condamné, non pour avoir exposé des œuvres susceptibles de choquer la sensibilité des mineurs, mais pour ne pas avoir averti les visiteurs. Les lettres de l’artiste Éric Pougeau étaient présentées au printemps 2008 à Metz. Le président du Frac entend interjeter appel de la décision du TGI de Metz.

METZ - « Attention, cet article peut heurter la sensibilité des mineurs. ». Ainsi serait-il possible de résumer toute l’affaire opposant l’Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne (Agrif) au Frac (Fonds régional d’art contemporain) Lorraine à propos de l’exposition « Infamille : you are my mirror 1 », présentée en ses murs à Metz (Moselle) du 29 mars au 8 juin 2008, et plus spécifiquement à propos de l’œuvre d’Éric Pougeau consistant en vingt lettres manuscrites s’intéressant à « l’immixtion dans la sphère privée [et à la] possessivité perverse ». En effet, la condamnation du Frac Lorraine se fonde uniquement, au terme du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Metz le 21 novembre, sur l’absence de « mesure de précaution utile soit pour filtrer l’accès de mineurs aux œuvres de M. Pougeau ni, une fois ceux-ci déjà entrés dans le site, pour leur interdire la vision des textes incriminés ». Le seul panneau annonçant à l’entrée de l’exposition que « des images peuvent heurter certaines sensibilités » avait à cet égard une « portée informative très générale [et] ne comprenait aucune mention concernant spécialement des mineurs ».

Dix-neuf lettres parmi les vingt exposées d’Éric Pougeau étaient construites autour de deux séquences verbales : « Les enfants, nous allons […] », et « Vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman », l’artiste déclinant alors son œuvre avec des termes crus tels que « faire de vous nos esclaves », « faire de vous nos putes », « vous défoncer le crâne à coups de marteau » ou encore « vous coudre le sexe ». Ces lettres manuscrites ont été regroupées par l’artiste sous la forme d’un ouvrage portant le titre « Fils de pute » (éd. Dilecta, 2011). Ce n’était pourtant ici pas la responsabilité de l’artiste qui était recherchée par l’Agrif. En effet, une telle action aurait été nécessairement rejetée, en raison de la valeur constitutionnelle de la liberté de création. Or, celle-ci, ainsi que le relève le jugement, « est plus large que la liberté d’expression, en ce sens que, par définition, elle nécessite une liberté accrue de l’auteur qui peut s’exprimer tant sur les thèmes consensuels que sur des sujets qui heurtent, choquent, déplaisent ou inquiètent ».

Au contraire, l’Agrif, après une demande préalable en indemnisation formulée auprès du Frac restée infructueuse, et l’échec d’une plainte pénale et d’un recours administratif, a saisi en 2011 une juridiction civile afin de voir reconnaître la responsabilité du Fonds. Celle-ci réside dans une faute civile délictuelle fondée sur les dispositions de l’article 227-24 du code pénal, pris en sa rédaction d’époque, incriminant la diffusion d’un message à caractère violent, pornographique, ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, dès lors qu’un tel message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur. Il s’agit ici d’une infraction formelle qui ne nécessite aucune preuve de la perception effective par un mineur d’un tel message. La seule diffusion emporte la responsabilité de celui qui la permet.

Écho de « Piss Christ »
Si le tribunal dénie le caractère pornographique des œuvres, celles-ci étant « simplement à connotation sexuelle », il retient leur caractère violent et de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine. Par ailleurs, aucun obstacle n’était opposé par le Frac à la libre accessibilité de l’exposition, qui se situait au rez-de-chaussée du bâtiment. En conséquence, et selon le tribunal, l’infraction visée à l’article 227-24 du code pénal était constituée et fondait corrélativement l’existence d’une faute civile, engageant alors la seule responsabilité délictuelle du Frac. Loin des 15 000 euros demandés, l’Agrif ne voit son préjudice indemnisé qu’à hauteur d’un « euro symbolique ». En présence d’un panneau visant explicitement les mineurs et d’une restriction à l’accès de ce public, la solution aurait ainsi été tout autre. Toutefois, le président du Frac Lorraine a déjà annoncé sa volonté d’interjeter appel de la décision rendue.

Les juges ne se sont ainsi érigés ni en critiques littéraires, ni en critiques d’art et n’ont procédé à aucune censure. La présente affaire se fait ainsi l’écho de la procédure intentée par l’Agrif auprès du TGI d’Avignon en 2011, afin de demander le retrait, infructueux, du Piss Christ d’Andres Serrano, et du rejet par la Cour de cassation en 2011 du pourvoi formé contre la décision de la cour d’appel de Bordeaux. Celle-ci avait annulé l’ordonnance du juge d’instruction mettant en cause les organisateurs de l’exposition « Présumés innocents » [organisée au CAPC-Musée d’art contemporain de Bordeaux en 2000]. Mais dans cette dernière espèce, certaines œuvres avaient été déconseillées aux mineurs par voie d’affichage et protégées par un gardien. Les commissaires d’exposition ont désormais un cadre juridique bien délimité afin de pouvoir présenter au public toute œuvre, aussi choquante qu’elle soit pour certaines sensibilités.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°403 du 13 décembre 2013, avec le titre suivant : Le Frac Lorraine condamné à un euro symbolique

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque