Bruno Racine président de la BNF

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 13 février 2013 - 1625 mots

Le président de la Bibliothèque nationale de France devrait savoir prochainement s’il est ou non renouvelé à la tête de l’établissement public dont ce fin diplomate aimerait poursuivre les chantiers engagés.

Ses craintes vis-à-vis de l’échéance qui arrive, Bruno Racine les tait. Le président de la Bibliothèque nationale de France (BNF) affiche une retenue dont il ne s’est jamais départi, ni à la Ville de Paris, ni au Quai d’Orsay, ni à la Villa Médicis ou au Centre Pompidou. Candidat à sa reconduction pour trois ans à la tête de la BNF, il affirme simplement d’une voie calme, posée : « Je ne suis pas propriétaire de ma charge, mais il y a des chantiers, des projets en cours que je serais heureux de poursuivre. » Des vœux qu’il exprime en quelques mots, en sachant qu’à l’issue de son possible nouveau mandat il devra s’en aller vers d’autres horizons.

Quels sont ses grands chantiers à poursuivre ? La numérisation du patrimoine de la bibliothèque et le virage numérique qui s’accélère – la BNF accueille, sélectionne, conserve tout ce qui prolifère aussi dans l’univers numérique. Le maintien de la qualité des services offerts au lecteur et la conduite de la rénovation du quadrilatère Richelieu amorcée en 2010 dans un contexte budgétaire difficile. Il devra aussi continuer la politique d’acquisition et de mécénat ambitieuse.

« Aucun plan de carrière »
« Une institution patrimoniale qui ne peut acheter vivote, décline », assure-t-il. Sur le modèle de ce qu’il a entrepris au Centre Pompidou où il intensifia les liens avec les Amis du musée et relança aux États-Unis la Centre Pompidou Foundation, il a renforcé les liens avec l’Association des Amis de la BNF, qui fête cette année ses 100 ans, et instauré les dîners de mécènes à l’exemple de ceux de Beaubourg. Non sans résultat. Depuis 2010, le mécénat a permis d’enrichir les collections de trésors nationaux pour un total de 18,35 millions d’euros, avec l’acquisition des manuscrits de Casanova, des archives de Guy Debord ou de Michel Foucault, du manuscrit de la Vie de sainte Catherine d’Alexandrie et du Livre d’heures de Jeanne de France. Par ailleurs, l’accord de partenariat passé en février 2012 avec les cinémas MK2 dotera prochainement le site François-Mitterrand d’une nouvelle entrée dessinée par l’architecte Dominique Perrault, dix-sept ans après l’ouverture au public de la Bibliothèque, ainsi qu’un complexe cinématographique d’art et essai de quatre salles aménagé dans une réserve foncière du bâtiment inoccupée et concédée pour trente ans à l’opérateur privé. Quant à la reproduction en lettres de néon blanc d’une citation de Michel Foucault sur la métamorphose du langage, une œuvre imaginée par le père de l’art conceptuel, l’Américain Joseph Kosuth, elle a commencé à s’inscrire au dernier étage d’une des quatre tours du site François-Mitterrand, la tour des Lettres. Lorsque le financement en sera trouvé, l’œuvre sera déployée sur la tour des Temps, puis sur celle des Lois et des Nombres.

Il reste à savoir si Bruno Racine demeurera aux commandes de ce navire qu’aurait bien aimé lui rafler, il y a trois ans, l’ancienne ministre de la Culture Christine Albanel et que d’autres prétendants revendiquent aujourd’hui. « Je ne l’ai jamais vu prétendre à tel ou tel poste, confie l’écrivain et artiste Alain Fleischer. Vous ne trouvez d’ailleurs chez lui aucune arrogance ni aucun plan de carrière. Les postes qu’il a occupés, il n’en use pas, n’en abuse pas. » Laurent Le Bon [directeur du Centre Pompidou-Metz], qui a travaillé sous la direction de Bruno Racine lorsque ce dernier était à la tête du Centre Pompidou, souligne à l’unisson d’autres collaborateurs ce trait de caractère. « Ce n’est pas un tueur. Il y a une vraie sincérité en lui, un profond désintéressement et sens de l’État, un côté humble aussi alors que le côté prédateur dans nos métiers peut être d’une grande violence, d’un grand orgueil meurtrier. » L’historienne, écrivaine et journaliste Laure Adler, qui fut son éditrice chez Grasset, se souvient « ne l’avoir jamais vu tempêter auprès de son éditeur ni de l’attachée de presse à la différence de certains ». Une retenue que beaucoup de ses proches relient à son éducation chrétienne, à sa famille, en particulier à la figure paternelle, Pierre Racine, fondateur et directeur de l’École nationale d’administration dont le sens aigu du service public, la droiture et le refus de l’ostentation, de l’apparence, irriguèrent l’éducation de ses enfants.

Ne faut-il pas voir cependant derrière la réserve de ce grand commis de l’État, normalien, agrégé de lettres classiques, énarque (promotion Michel-de-L’Hospital, 1979) et écrivain, l’attitude d’un homme qui a appris très tôt à prendre du recul sur les événements pour les replacer dans une vision plus globale comme sa passion pour l’Histoire, les relations internationales et les questions stratégiques lui ont enseigné ? Et ce dès 1986, quand Jacques Chirac, alors Premier ministre, le nomma chargé de mission à son cabinet pour les affaires Est-Ouest et le désarmement ? Ne faut-il pas y voir également l’attitude d’un homme  qui n’aime pas les conflits  ni les rapports de force ? « J’aime concilier, faire émerger des consensus, pas le compromis », nuance-t-il.

« Un bâtisseur »
« Bruno Racine s’inscrit dans le temps, précise Alain Fleisher. Et cette inscription est devenue, je crois, plus sensible quand il est arrivé à la Villa Médicis où il a initié divers projets, trouvé du mécénat pour pouvoir les financer, et où il serait resté plus longtemps si on ne l’avait pas appelé à prendre la présidence du Centre Pompidou. » Rénovation et restauration des bâtiments et des jardins – magnifiques jardins qu’il ouvrira au public –, enrichissement de la bibliothèque et introduction de l’art contemporain dans la programmation : nombreuses furent en effet les actions qu’il engagea pour donner un nouvel élan à la prestigieuse mais poussiéreuse Académie de France à Rome. Il l’ancra dans son époque en l’ouvrant autant sur la ville, qu’elle domine, qu’à l’international. « Inscrire l’institution dans son temps est pour lui une préoccupation majeure qui, à la BNF, s’est incarnée notamment, pour les collections, par l’intensification de leur numérisation et leur enrichissement, et par l’élargissement des relations avec les grandes bibliothèques européennes, d’Amérique du Nord et des pays du Sud », note un de ses collaborateurs. À ce propos, le président de la BNF souligne, prenant pour exemple l’exposition à venir sur Guy Debord, que « cette orientation très forte sur l’enrichissement des collections n’est pas seulement de rentrer des fonds, c’est aussi d’être l’initiateur de travaux sur eux. »

« Bruno Racine est un bâtisseur, estime Laurent Le Bon. Au Centre Pompidou, il a su réactualiser et projeter vers l’avenir ses gènes constitutifs. Et quand on parle aujourd’hui de l’ouverture du Centre à l’international, c’est lui qui a véritablement amené le métier de diplomate au cœur de l’institution culturelle en l’engageant dans une belle dialectique entre l’instant et le long terme pour faire qu’un immense navire comme le Centre fonctionne et rayonne. »

Qu’il lui fut difficile de quitter à chaque fois ce à quoi il s’était attelé, attaché, Bruno Racine ne le cache pas. « Lorsque l’on m’a proposé la présidence de la Bibliothèque nationale de France, j’ai beaucoup hésité, partagé entre, d’un côté, mon attachement au Centre Pompidou et aux différents projets que j’avais engagés à l’international, notamment en Asie, ou à ceux que j’avais accompagnés dans leur gestation comme celui du Centre Pompidou-Metz, et de l’autre les défis passionnants de la BNF. »

Les défis, le président de la BnF les affectionne. Il les a régulièrement liés à ses fonctions, qu’il ait été dans la culture ou au cœur de grands enjeux stratégiques comme directeur du Centre d’analyse et de prévision du ministère des Affaires étrangères, puis en charge des dossiers stratégiques et culturels quand Alain Juppé fut nommé Premier ministre en 1995. Aujourd’hui encore il préside la Fondation de la recherche stratégique.

« Prendre du recul »
À la BNF, les défis étaient à la hauteur de la dimension interculturelle de l’établissement dont les fonds et collections comptent parmi les plus riches au monde. Les polémiques éclatent cependant lorsqu’il envisage de passer un accord avec Google pour la numérisation des collections après avoir conduit avec l’Inspection générale des finances une étude sur le partenariat sans monopole qui aurait été conclu entre l’État, la BNF et les éditeurs d’un côté, le moteur de recherche américain de l’autre. Face à ce qu’il juge encore aujourd’hui comme « un accord qui aurait pu être prometteur », il publia Google et le nouveau monde (éd. Librairie Académique Perrin, 2011), portant sur les enjeux de la numérisation du patrimoine. L’écriture comme l’Italie : un autre espace-temps important pour lui et synonyme de retrait, de prise de distance. « L’écriture est une activité vitale que je ne peux dissocier, assure-t-il. On perd de la lucidité dans son travail quand on n’est pas capable de prendre du recul. » Un recul qui dans son dernier ouvrage, Adieu à l’Italie (éd. Gallimard, 2012), prend les traits du peintre Granet réfugié en Provence où il lui reste à achever deux grandes toiles avec en arrière-plan… le temps individuel et le temps de l’Histoire qui s’entremêlent.

Bruno Racine en dates

1951 Naissance à Paris.

1979 Diplômé de l’ENA, entre à la Cour des comptes.

1986-1988 Chargé de mission au cabinet de Jacques Chirac, Premier ministre.

1988-1993 Directeur des Affaires culturelles de la Ville de Paris.

1993-1995 Directeur du Centre d’analyse et de prévision du ministère des Affaires étrangères.

1995-1997 En charge des dossiers stratégiques et culturels auprès du Premier ministre Alain Juppé.

1997-2002 Directeur de l’Académie de France à Rome.

2002-2007 Président du Centre Pompidou.

Depuis le 28 mars 2007 Président de la Bibliothèque nationale de France.

Septembre 2011 Président de la Conférence des bibliothèques nationales.

En savoir plus sur Bruno Racine

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°385 du 15 février 2013, avec le titre suivant : Bruno Racine président de la BNF

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