2012 : le marché de l’art se tasse

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 15 janvier 2013 - 1319 mots

En France et dans le monde, la croissance des ventes d’œuvres d’art a été étale en 2012. Les projecteurs braqués sur les records laissent dans l’ombre des marchands à la peine.

C’était prévisible. Le marché de l’art ne pouvait rester totalement détaché du ralentissement économique mondial. Selon les premiers indicateurs avancés, il serait en 2012 au mieux stable, mais plutôt en légère baisse par rapport à 2011. On en avait eu un premier signe avec le produit des ventes de Sotheby’s pour les neuf premiers mois de l’année. Celui-ci était en baisse de 16 %. Cependant, grâce à un dernier trimestre très actif, la maison de ventes new-yorkaise devrait limiter la baisse. Les ventes d’art impressionniste, moderne et contemporain de New York en novembre, qui pèsent lourd dans le bilan annuel, avaient ainsi augmenté de 13 % par rapport à l’année précédente. À Londres, les ventes de tableaux anciens en décembre ont été quasiment multipliées par trois. En France, la plupart des maisons de ventes affichent un produit d’adjudication en baisse, entre – 3 % et – 4 % pour Christie’s et Sotheby’s, jusqu’à – 11 % pour Drouot.

Après le rattrapage de 2010 et la consolidation en 2011, qui avaient permis de retrouver les niveaux d’avant la crise financière de 2007-2008, le marché de l’art se met donc à l’unisson du pouls de l’économie mondiale : croissance atone aux États-Unis, récession dans de nombreux pays européens, euro chahuté, ralentissement dans les pays émergents notamment en Chine, le tableau n’est pas souriant. Dans sa dernière note de conjoncture, le FMI (Fonds monétaire international) prévoit une hausse de seulement 3,3 % du PIB (produit intérieur brut) mondial en 2012, soit moins qu’en 2011 (3,9 %) et nettement moins qu’en 2010 (5,3 %). La France, elle, fait du surplace ; elle échappera sans doute à la récession, contrairement à 2008 et 2009, mais de justesse ( 0,2 %).

Pourtant les marchés financiers ont affiché une belle santé en 2012. L’indice large américain, le « S&P500 », a progressé de 13 % après avoir baissé de 1 % en 2011, tandis que le CAC 40 en France a suivi la même évolution : 15 % en 2012 après une baisse de 17 % en 2011. C’est à ne plus rien y comprendre, tous ces indicateurs n’étant en apparence pas synchrones. En apparence seulement, car ils ne se trouvent pas sur la même temporalité. La Bourse révèle des anticipations, là où le PIB enregistre des tendances passées. Le marché de l’art, lui, relève davantage de la psychologie. D’ailleurs, il n’y a pas « un » marché de l’art mais plusieurs marchés distincts, comme nous l’avons souvent écrit dans ces colonnes.

Dans le haut du marché, les transactions se chiffrent en millions de dollars ; le reste se segmente presque à l’infini, du brocanteur des Puces au galeriste de Saint-Germain-des-Prés. Le niveau supérieur reste florissant grâce à un nombre limité d’œuvres de qualité et des collectionneurs qui ont continué à s’enrichir en 2012, tandis que les niveaux inférieurs sont plus dépendants du pouvoir d’achat des amateurs d’art et de leur ressenti à l’égard de leur environnement. Mais voilà, le talent des grandes maisons de ventes pour médiatiser leurs ventes de prestige, la « peopolisation » des collectionneurs, les prix chiffrés en dizaines de millions de dollars créent un effet de loupe qui tend à réduire le marché de l’art à quelques coups de marteau. Alors que le marché de l’art pèse environ entre 40 et 50 milliards d’euros, les 10 enchères les plus élevées représentent moins de 1 % de ce total. Un Top 10 qui a augmenté de 44 % selon les calculs de l’agence Bloomberg ; en d’autres termes, le total des 10 plus hautes enchères de 2012 (595 millions de dollars) a été 44 % plus élevé que le total des 10 plus hautes enchères en 2011 (414 millions de dollars). Cette augmentation des prix dans le haut de gamme illustre bien la bonne santé de ce segment, à moins qu’il ne s’agisse là d’un phénomène spéculatif. L’avenir le dira.

L’art contemporain classique dans le Top 10
La plus haute transaction de l’année a concerné une œuvre moderne, un pastel de Munch. Ce n’est pas tout à fait un record historique comme se plaît à le dire Sotheby’s, car en dollars constants, lorsqu’est prise en compte l’inflation et donc le pouvoir d’achat du dollar, le record historique reste détenu par le Portrait du docteur Gachet de Van Gogh, vendu en 1990 par Christie’s New York 82,5 millions de dollars, soit 144 millions de dollars actuels, bien plus que les 120 millions de dollars du Munch. Mais le prix du Cri reste un montant élevé, surtout pour une œuvre sur papier. Une autre œuvre sur papier, un dessin de Raphaël, vendu 48 millions de dollars par Sotheby’s Londres, pourrait laisser croire que les maîtres anciens et modernes tiennent toujours le haut du pavé. En réalité, le segment le plus dynamique du marché est aujourd’hui celui de l’art contemporain, ou plutôt de l’art contemporain « classique » : Warhol, Rothko, Lichtenstein entrent dans le Top 10 des enchères mondiales, tandis que Gerhard Richter, un autre représentant de l’art contemporain classique est l’artiste vivant le plus acheté. Ce déplacement vers l’art d’après guerre s’explique par une pénurie croissante d’œuvres anciennes de qualité sur le marché, et l’appétit d’une centaine d’acheteurs pour les mêmes noms. On a cependant toujours un peu de mal à admettre qu’un tableau de Roy Lichtenstein vaille 60 fois plus qu’un panneau de Fra Angelico (SVV Leclere, Marseille, octobre 2012).

Records, millions, enchérissement, mondialisation…, tous ces termes masquent une autre réalité, celle des centaines d’antiquaires, galeries et autres petites maisons de ventes qui sont loin de vivre dans l’opulence. Là aussi les statistiques sont lacunaires, mais pour une galerie Sollertis (Toulouse) qui annonce sa cessation d’activité, combien d’autres ferment sans le dire ou vivent de peu. En France, la majorité des galeries d’art contemporain réalisent moins de 200 000 euros de chiffres d’affaires. Une fois reversé ce qui est dû à l’artiste, le loyer payé et la stagiaire indemnisée, il ne reste pas grand-chose pour le galeriste. Le nombre croissant de foires internationales et la médiatisation des plus prestigieuses dissimulent l’attrition de l’activité traditionnelle « en boutique » des marchands. Aussi, que ce soit pour les galeries ou pour les maisons de ventes, un mouvement de concentration est en marche, avec ses marques (Gagosian, Sotheby’s) et ses succursales dans chaque zone économique dynamique.

Et pour 2013 ?
En l’absence de données fiables, la prévision 2013 relève encore de la prédiction. À moins d’une nouvelle faillite bancaire ou d’une sortie de la Grèce de l’euro – deux scénarios qui se sont éloignés en fin d’année 2012 –, le haut de gamme dans le monde devrait rester actif tout en étant dépendant de la mise sur le marché d’une ou deux pièces à 100 millions de dollars qui font passer les comptes de résultat du rouge au vert. Pour l’instant, le FMI table sur une meilleure croissance en 2013 ( 3,6 %) qu’en 2012 ( 3,3 %). En France la situation est plus tendue. Le gouvernement parie sur une croissance supérieure ( 0,8 %) alors que de nombreux économistes visent plutôt 0,3 %. Rappelons que la dernière fois que la France a connu une croissance supérieure à 3 % (et donc créatrice d’emplois), c’était en 2000 ! L’alourdissement de 4,5 milliards d’euros de la fiscalité des ménages les plus aisés va nécessairement perturber un marché de l’art qui pèse moins de 3 milliards d’euros.
Sans parler de l’assujettissement des œuvres d’art à l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune) que ne vont pas manquer de réintroduire quelques députés en mal de notoriété. Un signe qui ne trompe pas, le chiffre d’affaires de la Française des Jeux a augmenté de 6 % en 2012 pour s’établir à 12 milliards d’euros. Il devrait encore croître en 2013.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°383 du 18 janvier 2013, avec le titre suivant : 2012 : le marché de l’art se tasse

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