Galeries

Une géographie mouvante

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 11 décembre 2012 - 1122 mots

Pékin compte plus de 550 galeries, réparties entre le Dashanzi Art District et le village de Songzhuang, situé au sud-est de la capitale n Leur implantation évolue sans cesse.

Des flocons de neige fondue tombent sur le Dashanzi Art District, le « Greenwich Village pékinois » émaillé de cheminées d’usine, blotti dans le nord-est de la capitale. Quelques jeunes bobos chinois, emmitouflés dans leurs anoraks, pressent le pas. Plus loin, des touristes transis sous leur parapluie s’engouffrent dans le centre d’art contemporain Ullens, dont l’entrée est exceptionnellement gratuite à l’occasion de son cinquième anniversaire. Les allées ornées, de-ci de-là, de quelques statues rouge vif d’un style néo-pop sont jonchées de feuilles mortes. Le « 798 », d’ordinaire noir de monde, est bien calme en ce dimanche de novembre. Les petits immeubles de brique rose de cet ancien ensemble industriel ont tous été investis par des galeries d’art, des cafés-restaurants, librairies et boutiques de fringues. L’un de ces restaurants était occupé il y a encore quelques mois par une librairie d’art. Pas assez rentables, les livres ont cédé le terrain à des plats mitonnés pour satisfaire les palais occidentaux… et les appétits financiers des investisseurs.

On dénombre aujourd’hui, dans le « 798 Art Zone », quelque deux cents espaces commerciaux plus ou moins liés à l’art contemporain. Les vrais galeristes se comptent sur les doigts d’une main. Xin Dong Cheng, le galeriste de Yue Minjun, Zhang Xiaogang et Zeng Fanzhi, s’y est établi en 2004. Ses poulains devenus des stars du marché de l’art international, il a ouvert un second espace au « 798 » en 2006, avant d’agrandir sa première galerie de 700 m2 un an plus tard. « De vraies galeries professionnelles ? Il n’y en a pas plus de dix à Pékin », lance Xin Dong Cheng, ancien collaborateur de Catherine Thieck à la Galerie de France, à Paris. « Si on élargit le décompte aux boutiques d’art, on arrive à un total de 556 galeries à Pékin, et de 1 650 dans toute la Chine », précise celui qui est aussi le président de l’Association des galeristes chinois.

Pace et Continua
Attirée par la flambée du marché de l’art chinois, la galerie Continua s’y est installée en 2005 dans un immeuble industriel de style Bauhaus des années 1950. En l’espace de sept ans, les galeristes de San Gimignano (Italie) ont exposé notamment, dans leur bel espace de 1 000 m2 pourvu de 13 mètres de hauteur sous plafond, des œuvres de Chen Zhen, Daniel Buren, Pascale Marthine Tayou et Anish Kapoor. Juste avant les Jeux olympiques de 2008, la Pace Gallery y a, à son tour, ouvert un grand espace de 2 500 m2. Louise Bourgeois, à l’honneur cet automne, a abandonné le 13 décembre les cimaises à Zhang Xiaogang.

Tout a commencé à l’orée des années 2000. Quand en 2002, Beijing Tokyo Art Projects s’installe à Dashanzhi, elle est la première galerie à poser ses valises dans cet ancien complexe industriel. Seven Star, le groupe propriétaire de ces bâtiments abandonnés dans les années 1990 par l’État, cherche à louer les immeubles. La Cafa, l’École nationale des beaux-arts de Pékin, est la première à occuper les lieux en l’an 2000, suivie par une librairie-maison d’édition puis par une nuée d’artistes séduits par des loyers alors très attractifs. Ainsi du designer Lin Jing, du photographe Xu Yong et du plasticien Huang Rui, lequel est membre du groupe avant-gardiste Les Étoiles. Au total, ils seront plus de 300 à se poser dans le quartier. En 2003, trois nouvelles galeries ouvrent leurs portes sous l’impulsion de Huang Rui, qui souhaite y développer des lieux d’exposition ouverts au public. Une microsociété se développe associant artistes et galeries. Des milliers de visiteurs affluent.

Coup de tonnerre en 2004 : le gouvernement menace de raser le quartier. Huang Rui en tête, des centaines d’artistes s’opposent à sa destruction. Ils mettent en place le Dashanzi International Art Festival (DIAF) et de nombreux événements afin de récolter des fonds pour la survie du site. En 2006, le lieu enfin « légalisé » par les autorités est sauvé. En novembre 2007, le couple de collectionneurs belges Guy and Myriam Ullens y ouvre son musée privé. Les loyers flambent et les artistes fuient. « C’est devenu un lieu commercial. Le problème est que le gouvernement veut en faire un quartier artistique, sans avoir ni plan d’ensemble, ni modèle. Mais l’ambiance y est joyeuse », souligne Bérénice Angremy (lire l’entretien p. 8), installée dans son petit bureau de l’immeuble blockhaus de l’ambassade de France à Pékin. Avant d’être nommée attachée culturelle à Pékin à l’automne 2012, la jeune femme a dirigé pendant quatre ans le festival DIAF dans le 798 Art District.

Loyers exorbitants
Arrivée dans la capitale chinoise en 2006, la galerie Paris-Beijing a plié bagage au printemps 2012. « Notre bail expirait au mois de juin. Les propriétaires s’apprêtaient à doubler notre loyer. Ce n’était plus tenable », explique Romain Degoul, qui avoue n’être pas parvenu à développer un marché local. Lors de leur installation au « 798 », Flore et Romain Degoul étaient les seuls galeristes de leur rue. « Par la suite, nous avons été envahis par une nuée de vendeurs de pacotille. Les propriétaires des lieux ont réussi à ruiner le « 798 ». Pace n’a ouvert son espace que pour récupérer des artistes chinois. D’ici deux à trois ans, c’en sera fini du Dashanzi Art District », lance le galeriste qui a choisi néanmoins de conserver un showroom dans le vieux Pékin.

Fuyant les loyers devenus exorbitants, des centaines d’artistes et des dizaines de galeries ont gagné le village de Caochangdi, situé au nord de Dashanzi. C’est là que vivent et travaillent aujourd’hui Ai Weiwei et nombre d’autres artistes de renommée internationale ; là qu’est installé le Three Shadows Photography Art Centre créé par les artistes RongRong et Inri. C’est ici aussi que deux grosses galeries, la ShanghArt Gallery et le suisse Urs Meile, ont élu domicile.

À Caochangdi, galeristes et artistes vivent depuis 2010 sous l’épée de Damoclès d’une possible expropriation des lieux qui pourraient être transformés en une gare.

Quand en 2005, Suojiacun, un autre quartier d’artistes, a fait l’objet d’une procédure de démolition, nombre d’entre eux ont décidé de s’installer plus loin, à Songzhuang, dans le district de Tongzhou, au sud-est de Pékin. C’est dans ce village que s’est installé dans les années 1990 le célèbre critique d’art Li Xianting, qui y dirige un musée privé. Autour de Yue Minjun, Yang Shaobin et Zhang Xiaogang, on dénombre aujourd’hui à Songzhuang plus de 5 000 artistes, des centaines de galeries – de qualité très inégale – et des dizaines de musées privés. Ainsi va l’art et son marché dans la Chine du XXIe siècle.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°381 du 14 décembre 2012, avec le titre suivant : Une géographie mouvante

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