Hella Jongerius, créatrice de l’année 2004

L'ŒIL

Le 1 janvier 2004 - 697 mots

La designer hollandaise vient d’être élue créatrice de l’année au Salon du meuble de Paris. Déjà remarquée pour les projets qu’elle réalise au milieu des années 1990 au sein du groupe Droog Design, ce prix récompense aujourd’hui un travail personnel tout à fait novateur et remarquable par la pertinence de ses recherches.
Grande, les mèches rousses et brunes en désordre, le visage animé d’un large sourire, Hella Jongerius impose sa présence rayonnante. Sans réserve, avec générosité, elle parle en vous fixant d’un regard bleu intense avant de s’interrompre d’un éclat de rire bruyant.

Votre vase Urne (1995), conçu en polyuréthane souple, réutilise une forme ancienne. Affirmez-vous ainsi votre point de vue de designer en refusant de créer de nouveaux signes dans un monde surchargé par les objets de consommation ? 
Les designers peuvent, en effet, instiguer une nouvelle façon, plus attentive, de penser la production des objets. Mais la raison pour laquelle je choisis de travailler avec des archétypes est autre. C’est avant tout une question d’efficacité. L’archétype est par définition une forme que tout le monde reconnaît et qui ne nécessite aucune explication. Je veux éviter de donner à voir trop de signes nouveaux à la fois. Alors je résous la question de la forme en choisissant celle de l’archétype que les gens peuvent s’approprier. Ensuite je suis libre de me lancer dans l’étude, le questionnement, l’analyse, la recherche expérimentale des matériaux…

Vous utilisez la forme existante comme un repère ? 
Oui, on a besoin de reconnaître ce que l’on regarde. Il doit y avoir quelque chose de familier qui permette d’identifier une chaise comme une chaise.

Les recherches que vous effectuez autour de l’usage des matériaux vous renvoient à des techniques ou à des savoir-faire artisanaux ayant peu d’écho dans l’univers du design. Je pense notamment à la broderie…

Lorsque je brode un vase en céramique, la broderie et la céramique sont perçues avec un regard nouveau. Il y a tellement d’éléments du passé que l’on a oubliés, voire balayés, parce qu’on les a trop vus. Il suffit juste d’en retirer la poussière, de les sortir de leur contexte et d’en supprimer les étiquettes, comme celle de l’artisanat. J’ajoute une strate qui est celle de mon époque, une voix contemporaine. Ce sont par exemple ces vases rouge et blanc en céramique qui ont été peints, au grand dam des employés de Royal Tichelaar Makkum, avec un spray de peinture industrielle : le rouge des voitures Toyota.

On continue aujourd’hui à vouloir séparer les notions d’art, d’artisanat et de design. Ces classifications ont-elles un sens pour vous ?
 
Non, mais ce n’est pas si clair. Les gens ressentent toujours le besoin de vous coller une étiquette. Le monde du design me prend pour une artiste, or je revendique le fait d’être un designer qui aspire à travailler avec des entreprises. Tous mes objets sont fonctionnels : je fais des
produits.

Cette confusion vient-elle du fait que vous cherchez à associer une production en série avec des problématiques traditionnelles comme celle de l’ornement ?
 
On reproche à l’ornement et à la décoration de ne valoir que pour des raisons esthétiques, mais je crois qu’il faut être plus cohérent. Si le travail est bien construit, s’il repose sur des principes clairs et si son histoire globale est forte, alors pourquoi l’objet ne pourrait-il être beau ? Quel problème y a-t-il à lui donner un bel aspect ?

Toute la question réside dans la définition contemporaine du beau.
Bien que je n’attache pas beaucoup d’importance à la forme, j’accorde une vraie valeur à la décoration. Les gens ont la mémoire du décor. Ils se souviennent des fleurs qui ornaient le papier peint de leur enfance comme du motif dessiné dans la rampe en bois de l’escalier. Car la décoration émeut, elle pénètre. J’aimerais parvenir à réaliser des pièces qui soient fabriquées selon un processus industriel tout en gardant une singularité. Une production de masse dans laquelle chaque pièce véhicule une identité propre, et la décoration a ce pouvoir de singulariser les objets.
Le décor est attrayant. Je pense qu’il ne faut ni en faire toute une histoire ni le rejeter, car il apporte une légèreté dont on a tous besoin.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°554 du 1 janvier 2004, avec le titre suivant : Hella Jongerius, créatrice de l’année 2004

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