Hadrien

L’empereur au double visage

L'ŒIL

Le 20 août 2008 - 881 mots

Empereur romain éclairé, à l’origine de grands projets architecturaux, Hadrien fut aussi un homme de guerre cruel. L’exposition londonienne qui lui est consacrée revient sur les contradictions de celui qui régna sur l’Empire de 117 à 138 ap. J.-C.

Après la flamboyante évocation du règne de l’empereur Qin Shi Huangdi, le British Museum a choisi de consacrer une exposition à un personnage non moins complexe et tout aussi ambitieux : l’empereur romain Hadrien, immortalisé par le magnifique livre de Marguerite Yourcenar. Mais loin de sacrifier à un romantisme de bon aloi faisant de ce souverain un esthète brillant et raffiné se piquant essentiellement de philosophie et de poésie grecques, Thorsten Opper, le commissaire, a souhaité « rompre avec ce cliché galvaudé pour examiner sous un angle nouveau la personnalité, la vie, les amours et le legs d’Hadrien ».

Amour et cruauté
Installée dans la salle de lecture circulaire du musée britannique, dont l’imposante coupole évoque irrésistiblement celle du Panthéon de Rome – le monument le plus célèbre et l’un des plus énigmatiques conçus par l’empereur en personne (voir p. 72) –, l’exposition soulève ainsi le voile sur bien des épisodes sanglants qui entachèrent son long règne, de 117 à 138 de notre ère.
Qui se souvient, ainsi, qu’Hadrien, provincial originaire de Bétique, en Espagne, fut un administrateur pragmatique doublé d’un stratège redoutable qui n’eut de cesse de consolider les frontières de l’Empire et d’établir des « limes » (murailles défensives) en Écosse, en Syrie, en Afrique du Nord, en Numidie, en Mauritanie et en Germanie ?
« Varius, multiplex et multiformis » sont les trois adjectifs qui reviennent le plus souvent sous la plume des auteurs latins pour décrire le caractère de l’empereur. Car si Hadrien peut faire preuve d’une grande humanité à l’égard des esclaves, s’enthousiasmer devant le spectacle des cités « exotiques » qu’il visite lors de ses innombrables campagnes d’inspection (Athènes, Alexandrie, Pétra, etc.) et s’embraser d’amour pour le bel Antinoüs (voir p. 75), il est aussi capable d’une immense cruauté, comme l’illustre la façon dont il réprima dans le sang la révolte de Judée de 132.
L’exposition du British Museum montre ainsi des objets ayant appartenu à des insurgés juifs découverts dans des caves, près de Jérusalem. Les troupes romaines laissées en Palestine ne viendront à bout de l’insurrection que trois ans plus tard, mais la province entière sera entièrement ravagée. La nouvelle Aelia Capitolina que l’empereur fera bâtir ne devra plus être ouverte aux Juifs sous peine de mort, et ces derniers n’auront pas même le droit d’en contempler les murailles de loin. Comme le résume l’historien Henri Stierlin, « c’est la diaspora au sens propre ».
Mais l’empereur Hadrien léguera à la postérité un tout autre visage : celui d’un amoureux des belles-lettres et des arts, passionné de sciences, de géométrie, d’arithmétique, de médecine et d’astronomie. Certains sont allés jusqu’à prétendre qu’il pratiquait lui-même avec un égal succès la peinture, la sculpture et la musique.
Initié aux mystères d’Éleusis, versé dans les religions orientales, l’empereur devait tenter une synthèse idéale entre toutes les cultures en édifiant, au cœur de la campagne romaine, un « palais-villa » aux allures de microcosme. Comme un château de Versailles avant l’heure...

Le British Museum a décapité Hadrien !

La scène est suffisamment rare dans la vie d’un conservateur de musée pour être racontée. Responsable des collections romaines au sein du département des antiquités classiques du British Museum, Tracey Sweek n’a pas hésité à décapiter à grands coups de ciseau l’une des sculptures les plus insignes du musée britannique : un portrait en pied passant pour être une célèbre effigie de l’empereur Hadrien. Or, de sérieux doutes planaient sur l’intégrité réelle de ce grand marbre : une jointure en plâtre masquait difficilement le raccord entre la tête et le corps. En outre, le visage semblait plonger un peu trop en avant, tandis que le buste du personnage trahissait un embonpoint peu conforme avec la représentation canonique de l’empereur... « Cela a été terrible pendant vingt minutes » Après moult analyses techniques, Tracey Sweek a décidé de procéder à un délicat travail de dérestauration : soit séparer aussi brutalement que concrètement la tête de ce corps auquel elle avait été malencontreusement fixée au XIXe siècle. Ce n’était guère une décision facile, car cette statue telle qu’elle se présentait était exposée au British Museum depuis 1860 et passait pour l’un des fleurons des collections antiques : maintes fois reproduite, l’image de l’empereur drapé « à la grecque » s’accordait, en effet, idéalement avec la réputation d’esthète philhellène rattachée à Hadrien. Or, bien d’autres portraits le montrent tout au contraire dans une attitude martiale, en costume militaire, voire écrasant sous ses pieds un Barbare ! Même si le souci de rigueur scientifique a dicté sa démarche, ce n’est pourtant pas sans une réelle émotion que Tracey Sweek a « décapité » l’empereur Hadrien. « Cela a été terrible pendant les vingt minutes où nous avons travaillé. Imaginez : nous étions en train de détruire un mythe ! », a confié la conservatrice dans un entretien accordé au Guardian. Ce que fera sans doute aussi, à sa manière, l’exposition du British Museum à travers les quelque cent quatre-vingts pièces empruntées aux musées du monde entier, de l’Italie à la Géorgie, en passant par Israël et Newcastle...

Biographie

76 ap. J.-C. Naissance d’Hadrien en Espagne, dans la province de Bétique. 95 Protégé par Trajan, il accède à la charge de tribun militaire. 112 Premier voyage « culturel » à Athènes. 117 Trajan meurt après l’avoir adopté. Accès au trône. 122 Construction du « mur » d’Hadrien (entre l’Angleterre et l’Écosse actuelle). 125-135 Construction et aménagement de la Villa Hadriana. Vers 127 Reconstruction du Panthéon. 134-135 Réprime l’insurrection juive dirigée par Bar Kokhba. 138 Décès d’Hadrien.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°605 du 1 septembre 2008, avec le titre suivant : Hadrien

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