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Frac, centres d’art et autres lieux

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 décembre 1998 - 2773 mots

En l’espace d’une douzaine d’années, le Limousin s’est pourvu d’un ensemble de lieux très divers – centres d’art et autres entités apparentées – tant dans leur nature et leur fonctionnement que dans leur approche. Ceux-ci déterminent aujourd’hui, tout particulièrement sur la moitié est de la région, un parcours incontournable. Si Limoges, Eymoutiers, Vassivière et Meymac en composent les stations obligées, il faut y ajouter à l’est Saint-Yrieix-la-Perche, situé à mi-chemin entre Limoges et Rochechouart.

À Limoges, un FRAC et deux galeries
Créé en 1982, le Fonds régional d’Art contemporain Limousin qui est installé depuis 1991 dans les anciens entrepôts de la société Les Coopérateurs y dispose d’un bâtiment fort singulier, tout en longueur, rythmé par dix travées voûtées offrant au regard une étonnante perspective. Dirigé depuis bientôt dix ans par Frédéric Paul, il a forgé son identité sur une image de rigueur et d’ouverture en développant un projet culturel articulé selon trois axes : la collection, les expositions monographiques et l’activité éditoriale. Le FRAC qui réunit un ensemble exceptionnel d’œuvres historiques du groupe Supports-Surfaces s’est particulièrement attaché au cours des dernières années aux domaines spécifiques de la photographie et de la sculpture européenne. Tous ses soins étant d’éviter les redoublements avec les autres collections publiques, il a veillé à mettre l’accent sur des figures plus rares, qu’elles soient confirmées ou non, en constituant autour d’elles des ensembles assez complets. Vito Acconci, Douglas Huebler, William Wegman, Martine Aballéa, Joachim Mogarra, Steven Pippin, Richard Monnier, Claude Closky ou Joseph Grigely figurent ainsi avantageusement dans les collections du FRAC, qu’ils y aient ou non bénéficié d’une exposition personnelle. Parce que toute collection est pour Frédéric Paul « un organisme vivant », il lui faut « faire preuve d’une capacité de renouvellement ». Ainsi justifie-t-il l’ouverture de celle-ci tant à la constitution d’un fonds vidéo qui « est aux années quatre-vingt-dix ce que la photographie est aux années quatre-vingt » qu’à celle d’un nouveau fonds de peinture « témoignant plus de la validité de propositions individuelles d’artistes que d’un retour en force à ce mode d’expression voué, on ne le sait que trop depuis les années quatre-vingt, à une affection intermittente ». C’est dire si le FRAC ne réfute pas d’être taxé d’éclectisme. N’est-ce pas d’ailleurs la condition nécessaire et suffisante d’une institution de ce genre pour exister ? Et ce, quels que soient les choix d’orientation qui la fondent. Si, d’un point de vue technique et scientifique, le FRAC Limousin, qui compte environ sept cents œuvres, est exemplaire à plus d’un titre, la question qui se pose à lui aujourd’hui est celle de son implantation. Son isolement urbanistique au sein même de la cité – si le bâtiment du FRAC est un lieu éminemment intéressant, il est très marginalisé – est un véritable frein à la reconnaissance de son identité. Il est d’ailleurs à noter que la réputation de l’institution est plus grande dans l’Hexagone et à l’étranger qu’à l’intérieur de la région, grâce notamment à la remarquable politique d’édition, presque toujours bilingue, de ses catalogues.

À Limoges, il n’est pas que le FRAC en matière de lieu dédié à l’art contemporain. Il faut aussi signaler l’activité déployée par la galerie du CAUE (Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement), créée en 1988 par Robert Lacôte, directeur de cette association départementale émanant de la loi d’architecture de 1977. Installée au rez-de-chaussée d’un immeuble du XVIIe siècle, cette galerie dispose d’un espace de quelque soixante-dix mètres carrés dans lequel elle s’applique à présenter tant de jeunes artistes régionaux que des créateurs reconnus. Claude Viallat, Stéphane Couturier, Patrick Dubrac, François Mezzapelle, Nicolas Hérubel en ont été les hôtes successifs. La programmation, établie le plus souvent en collaboration avec les autres instances régionales, notamment les Écoles nationales d’Art décoratif (ENAD) et le Centre d’Art contemporain de Vassivière, vise à brosser un panel le plus ouvert qui soit d’un art vivant. À Limoges, les amateurs d’art contemporain trouveront enfin leur bonheur en se rendant à l’ENAD. Certes, les locaux destinés aux expositions temporaires ne sont guère avenants car les cimaises ne sont ni plus ni moins que les murs de l’édifice imaginé par Geipel et Michelin. La récente arrivée d’Otto Teichert à la direction de l’école devrait sans trop tarder pallier cette situation. Son projet de restructuration de l’espace dévolu à ce genre d’exercice est donc attendu avec impatience, d’autant que les exigences de sa programmation le réclament. En témoigne la très intéressante exposition des photographies de Paul Pouvreau que l’on pouvait voir en novembre et qui souffrait irrésistiblement de l’éclatement forcé de l’accrochage.

Meymac, un centre d’art au cœur de la Corrèze
Flanquée sur les pentes sud du plateau de Millevaches, Meymac qui ne compte pas plus de quatre mille âmes abrite, depuis 1986, dans les locaux réaménagés de l’abbaye Saint-André l’un des centres d’art labelisés par le Ministère de la Culture. S’il a bénéficié de la dynamique des années quatre-vingt pour trouver la forme institutionnelle qui est la sienne aujourd’hui, il faut savoir que son existence tient d’abord, et avant tout, au travail de fond effectué sur place sur le mode associatif dès 1979 par Caroline Bissière et Jean-Paul Blanchet, originaires du cru. Compte tenu de cet actif, tout les portait donc à prendre en charge les destinées du Centre d’Art quand celui-ci a été créé, et c’est ce qu’ils ont fait avec la même orientation qui était la leur depuis le début. À savoir : établir une programmation en rapport avec l’isolement d’une région qui, à l’époque où ils ont commencé à promouvoir l’art contemporain, était totalement désertée. Il s’agissait pour eux d’apporter « une culture à domicile »  tant aux Meymacois qu’aux autres habitants de la Corrèze, et contribuer ainsi à la promotion d’un art pleinement vivant auprès d’une population qui restait somme toute fondamentalement sédentaire. Si le Centre d’Art a considérablement évolué au fil du temps pour présenter aujourd’hui sur quatre niveaux un ensemble d’espaces très nombreux et très divers, les principes qui en règlent la programmation n’ont pas changé. Trois grands axes d’orientation – historique, thématique et prospectif – la définissent et ont permis à Meymac de s’imposer comme un lieu de référence dans le paysage artistique national. On y a vu des expositions rétrospectives comme celles consacrées successivement aux années soixante, aux années soixante-dix et aux années quatre-vingt, des expositions visant à faire état de la notion de « distinction », des monographies d’artistes parvenus à leur maturité tels Tatafiore, Lüpertz, Soto ou Cueco et d’autres plus jeunes comme Brigitte Nahon, Didier Marcel ou Bernard Quesniaux. Autant de manifestations qui sont chaque fois l’occasion d’une publication particulière constituant avec le temps une documentation très éclectique sur la création contemporaine. Le projet de création de résidences d’artistes que le Centre d’Art contemporain de Meymac a l’intention de mettre en place dans les années à venir vise à jouer un rôle de contrepoint à celles de Vassivière. L’idée est en effet de se saisir de la dimension urbaine d’une commune comme Meymac pour inviter à venir y travailler, non pas des plasticiens, mais des historiens, des philosophes ou des critiques.  La gestion d’un tel dispositif est suffisamment légère pour être portée par une structure comme le Centre d’Art pendant que, dans le contexte régional, celui-ci opérerait en synergie et en complémentarité avec les autres institutions existantes. La mise en œuvre de l’idée d’un réseau, tel qu’il est souhaité par l’institution régionale, réunissant les divers centres d’art et autres lieux de diffusion de l’art contemporain en Limousin placerait ainsi Meymac en partenaire intellectuel de premier choix.

À Eymoutiers, hommage à Rebeyrolle
Rien ne prédisposait la petite ville d’Eymoutiers à figurer à l’inventaire des lieux d’art contemporain du Limousin. Rien... à ceci près que le peintre Paul Rebeyrolle en est originaire – il y est né en 1926 – et que la municipalité a choisi de lui rendre hommage en créant en 1995 un espace à son nom. L’exemple est unique en son genre et l’on ne peut que s’en réjouir d’autant que la qualité architecturale du bâtiment très fonctionnelconçu par l’architecte Olivier Chaslin est de toute beauté. Il se présente sous la forme d’un carré très compact qui joue du contraste entre un extérieur apparemment opaque et un intérieur vaste et lumineux. L’œuvre du peintre qui y est l’objet d’une présentation rétrospective de la fin des années cinquante à nos jours se révèle d’une rare puissance d’expression dans cette façon engagée qui est sa marque. Tour à tour inquiétantes, torturées, provocantes, les figures de Paul Rebeyrolle décrivent une humanité touchée par le malheur, proche parentes tant de Goya que de Bacon. À noter que chaque été, l’Espace Paul Rebeyrolle propose une exposition temporaire visant à organiser la confrontation des œuvres du peintre soit à celles d’artistes de sa génération comme Jean-Paul Riopelle en 1997, soit à des situations spécifiques telles des sculptures Botchio en 1996.

Vassivière, un lieu-phare sur une île
Située à une petite cinquantaine de kilomètres à l’est de Limoges, Eymoutiers n’est qu’à une dizaine de minutes du magnifique site de Vassivière en remontant vers le nord-est. Vassivière c’est tout d’abord un lac, un plan d’eau artificiel d’une superficie de quelque mille hectares, conséquence de la construction d’un barrage sur la Maulde par EDF en 1951. Inscrit dans un harmonieux paysage de collines boisées « où l’or des genêts se mêle, au printemps, aux diverses tonalités des verts » comme le précise le Guide Michelin, Vassivière c’est aussi une île, le lac ayant pris place tout autour de ces collines. Une île faite de creux et de bosses, de sentes descendantes et montantes qui offrent au regard toutes sortes de points de vue sur le site et à laquelle on accède par une petite digue enjambant le lac. Lieu de promenade privilégié, tant pour les plaisirs nautiques qu’on y trouve que pour ses richesses naturelles, Vassivière bénéficie en toutes saisons d’un tourisme très important. Si, au début des années quatre-vingt, l’idée d’y développer un programme et d’y créer un lieu tout entier dévolu à la sculpture contemporaine n’a pas emporté tout de suite une franche adhésion, la construction d’un centre d’art en 1990, confiée à Aldo Rossi, s’est avérée avec le temps comme l’image-phare de la politique conduite au cours de ces années dans le Limousin en direction de l’art contemporain. Aussi, aujourd’hui, Vassivière c’est non seulement un lac et une île mais également un lieu dédié à l’art au présent. Un lieu tant de production que d’exposition, sanctionné d’une part par une programmation articulée sur le rapport à la nature et toutes sortes de manifestations corollaires – débats, rencontres, colloques... –, de l’autre par un programme de résidences d’artistes et de commandes d’œuvres réalisées in situ et destinées à constituer un parc offrant au visiteur l’occasion d’une promenade aux allures de jeu de piste. De sa préfiguration à aujourd’hui, conçu, mis en œuvre et dirigé par Dominique Marchès, le Centre d’Art contemporain de Vassivière – qui est le seul de son espèce en France à avoir été spécialement construit pour cet usage – a connu une incessante activité. S’il est l’un des pôles artistiques les plus remarqués de l’Hexagone, c’est que les plus grands comme les plus jeunes y ont exposé, travaillé ou séjourné. Toutes les générations, toutes les cultures, toutes les formes d’expression s’y sont exprimées : de Pistoletto à Nathalie Elemento, d’Alain Kirili à Per Barclay, de Bertholin à Sylvie Blocher, de Pagès à Shane Cullen. Le parc de sculptures qui compte aujourd’hui plus d’une vingtaine de pièces et qui témoigne heureusement du passage des artistes constitue comme une mémoire des activités du Centre,  qu’illustre par ailleurs une judicieuse politique éditoriale. Après cette première dizaine d’années de fonctionnement, le Centre d’Art de Vassivière,  qui a atteint une certaine maturité, se doit d’aborder l’avenir en se donnant les moyens d’un nouveau projet en terme de développement. C’est ce à quoi réfléchit Dominique Marchès qui considère que la logique dans laquelle le Centre est engagé est celle d’une entreprise culturelle. Il ne peut plus être seulement un lieu de production et d’exposition d’œuvres, il lui faut devenir un lieu de vie et d’échange. Parce qu’il revient à une institution de cette nature d’établir des passerelles, Dominique Marchès souhaite même ouvrir le Centre à d’autres domaines visuels de l’art tels que le cinéma, la vidéo, la performance, la danse et l’architecture contemporaine. Il lui faut donc disposer de plus d’espace, d’autant que l’idée est aussi de faire valoir de façon permanente le travail effectué.

Des livres d’artistes pour épilogue
À propos d’identité et en guise de conclusion, il convient enfin de mentionner l’existence en Limousin d’une association singulière, intitulée Pays-Paysage, fondée il y a bientôt vingt ans par le peintre Cueco, un enfant de la région natif d’Uzerche en Corrèze. Exclusivement consacrée au livre d’artiste, elle a été dirigée de main de maître par Monique Pauzat et Jean-Michel Ponty jusqu’à leur tout récent remplacement par Didier Mathieu. À son actif, cette association compte la création en 1987 d’une biennale, sorte de FIAC du livre d’artiste. Expositions, foires, colloques, publications... Pays-Paysage s’est imposé sur l’échiquier régional, voire national, par la qualité de ses prestations. Dès son premier numéro, la biennale conjuguait éditeurs de livres d’artiste et manifestation de prestige. On se souvient peut-être des magnifiques expositions « Livres d’artistes russes et soviétiques » en 1993 et « Collections de collectionneurs » en 1995. C’est à cette date, enfin, comme pour bien faire valoir le travail effectué, que Pays-Paysage a décidé de la création d’un Centre des livres d’artiste à Saint-Yrieix situé à 40 kms au sud de Limoges, dans les locaux réaménagés d’un ancien orphelinat. Comme si, en Limousin, l’art contemporain ne pouvait être décidément lié qu’à l’architecture.

Frédéric Paul, FRAC Limousin « La collection du FRAC compte aujourd’hui près de sept cents œuvres. Aucun catalogue ne peut en rendre compte et il faudra bien un jour donner à son public une autre image que celle d’un trésor débité en menus tronçons. Le FRAC ne dispose pas d’un espace extensible et, si beau soit-il, le lieu dit des Coopérateurs ne répond plus vraiment à ses besoins. Il n’a pas d’espace d’exploitation pédagogique propre. Or il doit offrir à ceux qui le désirent, notamment les enseignants de plus en plus demandeurs, un outil efficace et convivial. Le FRAC doit pouvoir satisfaire en un même site le public attiré par la collection et le public en quête d’événements. Son identité s’en trouvera renforcée et ses actions hors les murs, plus réfléchies, n’en auront que plus d’impact. Car si le FRAC jouit d’une audience internationale avantageuse, des manifestations comme celle intitulée « Finissez d’entrer dans l’art contemporain » rappellent l’urgence de renforcer nos positions à l’échelon local. » Dominique Marchès à Vassivière « La question du développement est celle qui se pose aujourd'hui avec le plus d'acuité pour la plupart des structures d’art contemporain de la région. L’idée d’une mise en réseau de ces structures est a priori pertinente ; elle a déjà été mise en œuvre du point de vue d’une communication, elle peut être maintenant imaginée pour l’accueil des publics, les activités éducatives et de formation, la diffusion éditoriale, un site internet commun. À un autre niveau, elle peut permettre de produire des événements ensemble. Il ne s’agit pas de concevoir des objets qui circuleraient d’un lieu à l’autre, cela n’aurait pas de sens, mais de penser par exemple en terme de manifestation thématique. Chacune des structures ayant une identité propre, cela devrait aboutir à des résolutions très différentes qui contribueraient irrésistiblement à enrichir la réflexion posée sur un sujet donné. Car, si réseau il doit y avoir, il faut qu’il opère en terme d’enrichissement. » Henri Cueco et Pays-Paysage « L’ouverture à l’horizon 2000 d’un Centre des livres d’artistes répond à la volonté de l’association de créer un lieu de référence au niveau national comme il n’en existe nulle part ailleurs. En fait, notre objectif est de mettre sur pied l’équivalent d’un musée d’art contemporain mais à la dimension du livre d’artiste. Si tous nos efforts sont d’abord et avant tout dirigés vers un public local, tant scolaire qu’universitaire, notre ambition est bien sûr de poursuivre le travail effectué, notamment à travers la biennale, pour atteindre une audience internationale. Le Centre des Livres d’artistes se doit d’être un lieu ouvert à partir duquel se poseront toutes sortes de questions. La collection de quelque 500 pièces dont il dispose actuellement constitue déjà un fonds précieux à partir duquel on peut efficacement travailler. Faite d’achats réalisés au fil des ans et de dons reçus des artistes, Hervé Di Rosa et Erró parmi d’autres, elle s’inscrira dans une cartographie très dynamique et complètera de façon singulière le patrimoine régional.»

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°502 du 1 décembre 1998, avec le titre suivant : FRAC, centres d’art et autres lieux

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