Conférence

Forum d’Avignon : un conclave très divertissant

Par Jean-Christophe Castelain · lejournaldesarts.fr

Le 8 novembre 2010 - 1468 mots

AVIGNON

AVIGNON [08.11.2010] – Le Forum d’Avignon, consacré cette année à l’impact du numérique sur la culture s’est plus intéressé au modèle économique des industries de divertissement qu’à la démocratisation de la culture

Le thème traité par la troisième édition du Forum d’Avignon qui s’est achevée samedi 6 novembre, était aussi ambitieux que convenu : le numérique va-t-il favoriser l’accès à la culture ? Si les débats et interventions ont beaucoup porté sur les industries culturelles, ils n’ont fait que survoler la culture (qui n’est pas somme toute la même chose que le divertissement culturel) et fait carrément l’impasse sur la culture pour tous.

La séance introductive fut un moment de grâce qui augurait bien de la suite : un débat entre l’anthropologue Arjun Appardurai et le philosophe Bernard Stiegler. Le premier soutenait que la culture est le principal outil pour apaiser ce qu’il appelle l’incertitude sociale, tandis que le second considérait que le numérique allait permettre aux gens de se réapproprier une pratique culturelle. C’était évidemment mieux dit que ce résumé réducteur.

La révolution numérique
Puis très rapidement, le business et les interrogations habituelles sur la révolution numérique ont repris leur droit. Le profil qualifié des principaux intervenants a permis d’échapper aux discours très fin de XXe siècle sur « le proche avènement de l’ère numérique ». Car le numérique, on est complètement dedans : une étude de l’atelier de BNP-Paribas nous apprend que 2 milliards d’individus ont accès à Internet, tandis qu’une enquête de Bain & Company prophétise que la pénétration des tablettes (iPad et autres) atteindra 15/20 % d’ici 2015. Nathalie Kosciusko-Morizet, « la plus brillante ministre du gouvernement » selon le modérateur Maurice Lévy (Publicis), visiblement sous le charme de la secrétaire d’Etat, a annoncé de son côté que l’internet mobile dépassera l’internet fixe en 2011(alors qu’Ernst & Young voit plutôt la bascule en 2014).

De nombreuses grandes entreprises de communication ou de télécom avaient fait le déplacement et l’on a pu mesurer l’importance du numérique dans leurs chiffres d’affaire. Jeux vidéo, télévision numérique, vidéo à la demande, cinéma en 3D, l’offre et la demande sont en pleine mutation. Le patron de Viacom (MTV, Paramount) a même révélé d’une mine gourmande, que beaucoup de vidéos étaient aujourd’hui consultées sur internet au bureau. En face de lui, retour au XXe siècle avec le réalisateur malien Souleymane Cissé, dont les films (tournés en numérique) peinent à trouver des salles de projection à Bamako.
La révolution numérique ne viendrait-elle que des grands groupes internationaux ? « Pas du tout » ont répondu, les intervenants d’un débat animé par Philippe Manière aussi à l’aise en anglais qu’en français, « innovation is out of the system ». La traduction est inutile. Et de rappeler que Google qui génère aujourd’hui 8 milliards de dollars de bénéfice (oui de bénéfices !) a été créé il y a seulement 12 ans.

Le droit d’auteur
Les majors de la musique étaient absents, comme Apple d’ailleurs, mais l’effondrement de leurs revenus en raison du piratage a été maintes fois rappelé. Aussi Frédéric Mitterrand avait-il un terrain conquis d’avance quand il a une nouvelle fois défendu le droit d’auteur et fait l’apologie d’Hadopi. Il a aussi chaleureusement salué après son intervention, Neelie Kroes, la commissaire européenne en charge du numérique, sans prendre garde que celle-ci venait de jeter une pierre dans son jardin en appelant à une uniformisation européenne du droit d’auteur. Il y a fort à parier que cette uniformisation soit en retrait du très protecteur droit français. Une belle bataille est en vue.

Le livre homothétique
Une autre bataille a, elle, eu lieu, à fleurets mouchetés entre un Antoine Gallimard souriant et un impassible représentant de Google, au cours d’une session consacrée au livre numérique, fort bien menée par l’ancien journaliste et nouveau consultant Frédéric Filloux. Le livre, première activité culturelle, est plus que d’autres concerné par le numérique. Bain & Company estime qu’un 2015, le numérique constituera 20 % du CA des éditeurs, des chiffres cependant plus élevés que ce que prévoient Gallimard et Editis.

Le représentant de Google n’a pas voulu commenter le litige en cours avec les éditeurs français préférant mettre en avant le partenariat de Google Livres avec les libraires, qui « s’appuie 35 000 accords avec les éditeurs ».

On relève au passage, qu’un nouveau terme a été repris par tous les intervenants pour désigner la simple copie numérique d’un livre, il s’agit du livre homothétique, un terme apparu dans le rapport Zelnik. On peut d’ores et déjà prédire un grand succès à cette expression.

La presse, le spectacle vivant, l’art, la démocratisation de la culture (et dans un autre registre les Chinois), furent en définitive les grands absents de ces débats. Le Forum d’Avignon est avant tout un forum économique. Or le marché se porte d’abord sur le cinéma, la télévision, les jeux, et dans une moindre mesure le livre. Lors d’un débat très confus (lire l’encadré) organisé à l’université d’Avignon, Frédéric Mitterrand a déclaré qu’il « détestait le marketing de la culture ». Mais précisément la culture, sous sa dimension la plus élitiste (théâtre, danse, beaux-arts, poésie..) a besoin de marketing qui n’est rien d’autre qu’un outil pour inciter les gens à découvrir ces pratiques, ce « désir de culture » qu’il appelle de ses vœux.

Après deux jours de débat qui ont entrainé les participants triés sur le volet dans l’univers du virtuel et du big business, ces derniers sont brutalement redescendus sur terre. Les manifestants avignonnais de la huitième journée d’action contre la réforme des retraites avaient eu la bonne idée de converger sur la place du Palais des Papes empêchant la sortie des VIP. Après quelques heurts entre manifestants et CRS, c’est sous les sifflets de la foule et au pied de l’éléphant de Barceló, que les participants ont été exfiltrés sous haute protection policière. Un symbole fâcheux pour un conclave sur la démocratisation de la culture.

Un Davos à la française

La manifestation initiée par l’ancien ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres veut être au croisement de la culture, de l’économie et des médias, ce que le Forum de Davos est à l’économie internationale. Elle emprunte à son ainée suisse son concept, forum public et réunions en aparté entre VIP, tout en apportant une touche typiquement française : une organisation parfois déconcertante, la gastronomie, et, cette année, des manifestations antigouvernementales.

Côté organisation, la salle du Conclave du Palais des papes, ne ressemble en rien aux classiques auditoriums. Les 5 rangées de fauteuils se font face, laissant au milieu une simple allée, avec en son centre une petite table pour les conférenciers. Heureusement les grands écrans disposés un peu partout sur les murs de la nef, évitent les torticolis. Pourtant bien équipée, la salle dispose curieusement ni du wifi, ni du 3G (un comble pour un forum dédié au numérique) ce qui n’empêchait pas qu’à tout moment, une bonne moitié des participants envoyaient des sms ou des mails. Cette disposition de la salle est redoutable pour les comas digestifs de l’après-midi. On en a vu plus d’un, VIP senior ou étudiant invité, faire une petite sieste.

Les repas n’étaient pourtant pas roboratifs. Les plus grands chefs, Marc Veyrat, Pierre Hermé, Christian Etienne, ont été convoqués pour servir aux convives une nourriture raffinée, accompagnée d’un château Dassault, l’un des sponsors de la manifestation. C’est au cours de ces repas, que s’échangent cartes de visite, promesse de se revoir ou petites confessions. Ils sont les principaux lieux de convivialité, car en dehors de quelques intermèdes, une performance de Barthélémy Toguo, un orchestre pop international et des dessins de Plantu, les débats en séance occupent une grande partie de l’agenda. D’autant que Nicolas Seydoux, le maître de cérémonie, fait régner une discipline de fer.

Grâce à quelques règles simples, certains débats ont permis de véritablement creuser la question (on pense à la session sur le livre): peu d’intervenants, un animateur compétent osant le droit de suite, beaucoup de temps. D’autres, comme celui consacré au développement territorial, ont assommé les auditeurs. Déportée dans un amphithéâtre rempli d’étudiants de l’université d’Avignon, introduite par une pertinente présentation de son président, Emmanuel Ethis, animée par l’ancien premier ministre du Quebec, la session poursuivait deux objectifs et n’en a atteint aucun. Les étudiants voulaient manifestement en découdre avec le ministre. Malgré une expression que le trac ou la fougue rendaient un peu confuse, on comprenait qu’ils avaient besoin de reconnaissance et accessoirement de critiquer la marchandisation de la culture et Hadopi. Mais hélas pour eux, les organisateurs ont aligné pas moins de 8 intervenants plus ou moins décidés à aller jusqu’au bout de leur Powerpoint sur la culture comme levier du développement local. C’est dommage pour les intervenants, tous de très grande qualité, c’est dommage pour le sujet au plus proche des préoccupations du terrain, c’est dommage pour les étudiants.

Légendes photo

Frédéric Mitterrand au Forum d’Avignon 2010 - © photo J.-C. Castelain

Manifestation devant le Forum d'Avignon - Place du Palais - 6 novembre 2010 - © photo J.-C. Castelain

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