Art contemporain

Wolfgang Tillmans, éternel explorateur de l’image

Par Pauline Vidal · Le Journal des Arts

Le 12 mars 2020 - 819 mots

Dans son exposition au centre d’art du Wiels, à Bruxelles, le photographe allemand met en avant ses derniers travaux et confirme que l’image est pour lui une manière d’accompagner les mutations de notre monde.

Bruxelles. Nourri par le courant libertaire post-punk, Wolfgang Tillmans (né en 1965 à Reimscheid, en Allemagne) a su s’imposer sur la scène internationale de l’art contemporain comme l’un des artistes parmi les plus respectés de sa génération. Lauréat du Turner Prize en 2000, cet Allemand a apporté une véritable révolution dans l’approche de la fabrication et de la présentation des images. En 2017, la Tate Modern à Londres ainsi que la Fondation Beyeler à Bâle lui consacraient des monographies d’envergure ; et il sera bientôt exposé au MoMA de New York, pour ne citer que quelques invitations parmi les plus récentes. Cette année, c’est le Wiels à Bruxelles qui le met en lumière (son premier solo show en Belgique) en lui offrant une carte blanche sur trois étages du centre d’art. Cette intervention réussie donne à voir l’étendue de son œuvre tout en laissant une place de choix à ses derniers développements.

Comme à son habitude, Tillmans démontre sa virtuosité dans l’accrochage de ses tirages. Le premier étage est entièrement consacré à son travail photographique de 1986 à aujourd’hui. Soit près de 250 tirages présentés à travers des constellations dont il a le secret, et qui mêlent de manière très organique divers formats, types d’accrochage (encadrement, collage au mur…) et genres (portrait, paysage, nature morte…). Les confrontations inédites qu’il orchestre lors de ses expositions jouent sur le hors-champ et irriguent ainsi d’un sang neuf chaque tirage.

Une dimension politique

Après une première salle qui fait office d’introduction, les différents espaces mettent l’accent sur la diversité des aspects de l’œuvre de cet inlassable expérimentateur qui va voir aussi du côté de l’abstraction. On y retrouve ainsi ses créations d’images sans appareil photographique et ses essais de production d’images à l’aide de photocopieurs et de scanners.

Alors que le Royaume-Uni est en pleine tourmente sur le Brexit, Tillmans n’hésite pas, malgré les critiques qu’il essuie alors, à s’engager politiquement en faveur de l’Europe. Il a participé à la création du forum « Eurolab », puis du site « votetogether.eu » où il a diffusé des posters et tee-shirts assortis du mot d’ordre « Votons ensemble ». Cet engagement marque une étape dans la carrière d’un artiste dont le travail a toujours comporté une dimension clairement politique. Il a contribué en effet à mettre en lumière des communautés, ainsi le milieu LGBT. Il est également allé photographier les manifestations du mouvement Black Lives Matter. Ces sujets dialoguent ici avec deux immenses paysages : une nuit étoilée et un tronc d’arbre puissant [voir ill.] et noueux, comme pour nous faire voyager entre le microcosme et le macrocosme et nous rappeler notre modeste place au sein de l’univers. La nature photographiée par Tillmans a souvent une puissance haptique qui aspire et transporte vers un au-delà. Une ode à l’amour et au sexe clôture ce premier temps de l’exposition. Des corps nus alanguis sur une couverture, un gros plan de sexe, un nageur dans une eau vert émeraude… Autant d’images qui affichent une radicalité sans jamais se départir d’une certaine forme de grâce. À l’heure où Internet diffuse une imagerie consensuelle ou fausse, l’artiste « a su imposer une esthétique de la fragilité, de la vulnérabilité », souligne Dirk Snauwaert, le directeur du Wiels.

La musique techno a accompagné toute sa jeunesse. Depuis quelques années, la dimension sonore et performative de son œuvre est passée au premier plan. Le second temps de l’exposition prend acte de ce tournant et offre au visiteur une expérience immersive. Pour traduire les mutations de notre monde, l’artiste repousse les limites de l’image. À la profusion des images fixes du premier étage, succède leur mise en mouvement puis leur disparition. Dans une installation plongée dans l’obscurité, Tillmans, diffuse ses compositions musicales accompagnées de projections vidéo. Dans la salle suivante, une deuxième installation composée d’un double écran donne à contempler, en plan serré, le flux et le reflux de la mer sur une plage. Cette image d’éternité aux allures d’intermède offre une respiration avant la pièce finale, I want to make a film (2018), une installation sonore sans image. L’image n’en demeure pas moins au cœur du débat. Dans un enregistrement sonore, l’artiste nous livre ses réflexions sur les nouvelles technologies et les milliers d’images qu’elles charrient, témoignant de ce sentiment partagé que nous avons d’appartenir à un moment charnière dans l’histoire de l’humanité. Une nouvelle fois, Tillmans nous invite à nous resituer au sein d’une histoire qui nous dépasse. Mais sans laisser place au pessimisme pour autant. S’il regarde notre monde droit dans les yeux, avec une grande lucidité, il le fait avec compassion. Le titre de l’exposition « Today is the first day » résonne comme un statement de résistance et d’optimisme. Un hymne à la vie et à la liberté, envers et contre tout.

Wolfgang Tillmans, Today is the first day,
jusqu’au 24 mai, Wiels, avenue Van Volxem 354, Forest, Bruxelles.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°541 du 13 mars 2020, avec le titre suivant : Wolfgang Tillmans, éternel explorateur de l’image

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