centre d’art

Vertus et vices en lice

L'ŒIL

Le 1 juin 2000 - 532 mots

En avril 1999, un convoi sous escorte policière débarquait à la manufacture royale De Wit à Malines, après un long périple initié au Palais de la Granja en Espagne. À bord, dans un caisson climatisé, des trésors de laine, de soie, d’or et d’argent : la tenture des Honores, les célèbres tapisseries de Charles Quint. Constitué de neuf tableaux allégoriques, cet ensemble offre la plus grande surface jamais tissée, 420 m2, ce qui laisse songeur quand on sait qu’un licier confirmé ne progresse qu’à raison « d’une main » par jour. Acquis par l’Empereur en 1526, Los Honores proviennent de l’atelier du Bruxellois Pieter Van Aelst. Ces « fresques mobiles venues du nord » suivaient Charles Quint dans tous ses déplacements. Reconstituées à chacune de ses étapes dans ses terres ou pendant ses campagnes militaires, elles animaient les murs de ses châteaux tout en offrant leurs robustes étoffes en rempart aux hivers trop rudes. Lors de son sacre à Aix-la-Chapelle ou de son mariage avec Isabelle de Portugal, à Séville, elles ornèrent les rues et participèrent à la liesse populaire. Maintes fois transportées, manipulées, exposées à l’air libre, ces tentures ont ensuite été reléguées pendant des siècles dans les caves du Palais Royal de Madrid. Exposées depuis les années 50 au Palais de la Granja, elles étaient déchirées au niveau des pliures, ses fils d’or avaient terni, ses fragiles soies craqué. Profondément encrassées, elles ne formaient qu’un ensemble grisâtre, sans rapport avec leur lustre d’antan. Si leur retour en Belgique coïncide avec les festivités du 500e anniversaire de la naissance de Charles Quint, il est aussi le prélude à leur restauration. « Maintes tractations diplomatiques ont été nécessaires » souligne An Volckaert, chargée de recherche à la manufacture De Wit. « L’Espagne a ses propres ateliers d’État. Il était délicat de confier à l’étranger cette prestigieuse série, la plus renommée du Patrimonio Nacional ». Mais les techniques de pointe élaborées par la manufacture malinoise ont coupé court aux hésitations, notamment son procédé révolutionnaire de nettoyage, breveté en 1993. Les toiles sont disposées sur une grille d’acier, sous laquelle un vide est créé ; l’aérosol nettoyant pulvérisé au-dessus d’elles est ainsi aspiré. Ce procédé a laissé une forte impression sur les conservateurs espagnols, qui en l’espace d’une heure ont vu chacune des tapisseries retrouver leurs subtils modelés et leurs ors éclatants. Ont suivi les opérations de conservation (consolidation des chaînes et de la trame, nouvelle doublure) et de réintégration des lacunes. « Sans vouloir refaire le dessin ancien, on a cherché à créer un effet de matière qui, à distance, simule la composition d’origine », explique An Volckaert. Des fils ont été spécialement teints à cet effet, pas moins de 92 nuances différentes seulement pour le jaune. Avant d’être installés définitivement au Palais royal de Madrid, Los Honores sont exposés au Centre culturel de Malines. Les cortèges des vertus qu’un souverain doit acquérir (Foi, Prudence, Justice...), des travers à proscrire (Vice, Infamie) se développent de part et d’autre de la fin ultime : l’Honneur illustre et noble. La quintessence, en somme, de l’éducation que Charles enfant et adolescent reçut à Malines de 1502 à 1517.

MALINES, Centre culturel Antoon Spinoy, jusqu’au 8 octobre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°517 du 1 juin 2000, avec le titre suivant : Vertus et vices en lice

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque