Van Gogh retrouve son « père », Monticelli, à Marseille

Par Lina Mistretta · L'ŒIL

Le 21 novembre 2008 - 1278 mots

À son arrivée à Paris en 1886, Vincent Van Gogh découvre Adolphe Monticelli
pour qui il a un coup de foudre pictural. Si le Hollandais n’eut pas l’occasion de rencontrer le Provençal, il ne cessa jamais de lui rendre un « vibrant » hommage.

Étrange sentiment que de voir Adolphe Monticelli (1824-1886), peintre marseillais méconnu devant lequel on ne s’attarde guère, exposé en maître auprès de son émule, Vincent Van Gogh (1853-1890), génie universellement reconnu. On apprend ainsi que le second admira, sa vie durant, le premier. L’événement laisse d’abord pantois : si la filiation d’un peintre envers un autre est parfois évidente, elle ne saute pas aux yeux pour ces deux-là qui eurent une postérité inégale. Encore faudrait-il en voir les œuvres significatives, cadre contre cadre, non seulement pour étudier, vérifier que leur affinité s’impose, mais surtout pour comprendre comment Van Gogh voyait Monticelli, pour porter enfin un autre regard sur ce dernier…

Van Gogh : « Je suis sûr que je continue son œuvre, comme si j’étais son fils ou son frère »
C‘est à Marseille et nulle part ailleurs que devait avoir lieu une telle aventure, à la Vieille Charité. Marseille n’a pas attendu d’être nommée capitale européenne de la culture 2013 pour orchestrer un automne artistique digne de ce nom. L’exposition se veut avant tout claire et démonstrative et a pour mission de répondre à une question : pourquoi Monticelli et Van Gogh ? Qu’ont donc en commun ces deux artistes qui ne se sont jamais rencontrés ? Pourquoi cette admiration sans borne de Van Gogh pour le Marseillais – qui ne le sut jamais – au point de lui faire dire : « Je suis sûr que je continue son œuvre, ici, comme si j’étais son fils ou son frère, reprenant la même cause, continuant la même œuvre, vivant la même vie, mourant la même mort. » Van Gogh sublime l’artiste à travers l’homme auquel il s’identifie : un être marginal et incompris comme lui. Monticelli a la réputation d’être « un peu toqué ». S’il vit bien de sa peinture au début, il reste en dehors des circuits commerciaux propres à promouvoir une véritable carrière internationale, sans ambition sociale, vivant simplement sa « fatalité d’artiste ». Après sa mort, on évoquera un être excentrique et alcoolique. Van Gogh veut rétablir son image et pérenniser son œuvre. Comme il avait encouragé son frère Théo à acheter plusieurs de ses toiles, il le convainc de réaliser un album qui paraît en 1890. Libérés des influences, ils suivent tous deux leur propre voie, jouent leur propre partition. Van Gogh n’est pas l’homme d’une école ou d’une chapelle, il recherche une peinture qui transpose des émotions, exactement ce qu’est Monticelli qui « ne peint pas ses tableaux à la vapeur ». Ils seront les précurseurs directs de l’expressionnisme. Delacroix – il peignit aussi le Midi – est leur maître commun. Ce magicien martelait ses rouges en les superposant pour former ces sublimes vibrations. Van Gogh et Monticelli emploient cette juxtaposition de teintes pures prélevées sans mélange sur la palette pour faire brûler le même soleil. Ils vivent la même passion pour l’atmosphère provençale dont ils transcendent la lumière éternelle. Monticelli connaît du Midi la moindre couleur, le moindre paysage, imprégné de cette nature qu’il traduit avec poésie et lyrisme. Van Gogh trouve d’Arles à Saint-Rémy la confir­mation de ce qui l’avait attiré dans la palette flamboyante de Monticelli. Il parcourra inlassablement « le pays des tons bleus et des couleurs gaies », cherchant dans ses traces les enchantements monticelliens.

Au-delà de l’inspiration, Van Gogh sut percevoir la modernité du peintre marseillais
Sur le plan purement pictural, Van Gogh admire l’originalité chromatique des toiles de Monticelli. En 1884, dans sa période hollandaise, il peint Les Mangeurs de pommes de terre d’une palette aux couleurs terreuses. En 1886, il côtoie les impressionnistes qui l’éblouissent dans un premier temps et auprès desquels sa palette s’éclaire. Il n’éprouve cependant pas de sympathie pour le mouvement et s’en éloigne, en quête d’une peinture nouvelle. Il partage davantage les idées esthétiques d’un Delacroix, d’un Diaz et d’un certain Monticelli qu’il a découvert dans une galerie parisienne.
Les œuvres du Marseillais qui « brosse les fleurs avec des rouges, des jaunes purs et des bleus éclatants qui jaillissent de fonds sombres » lui offrent de nouvelles sources d’inspiration. Sous son influence et celle de l’éclat méridional, sa peinture s’ouvre franchement aux couleurs vives, arbitraires. Son pinceau balaie la toile d’un ciel de cobalt pur et d’un soleil de soufre. De la palette monticellienne, il aime son jaune soufré. Quand il peint du jaune, il peint du Monticelli…
Cependant Van Gogh s’affranchit bientôt des contrastes clair-obscur de Monticelli par une palette intégralement claire et lumineuse. C’est une mer jaune qui envahit la toile dans son splendide Champ de blé (1889). Les correspondances s’établissent davantage sur le plan strictement technique, par l’épaisseur de la matière. Mêmes empâtements, même aspect brut, même rugosité qui accroche la lumière. Mais une touche striée, cursive et ordonnée pour Van Gogh, plus large, plus instable, rebelle au pinceau pour Monticelli.
Mais au-delà de l’inspiration strictement picturale, Van Gogh a su percevoir chez Monticelli la modernité de ses recherches : celle qui ouvre la voie de l’expressionnisme, transcription des émotions par la couleur et la forme. Elle se manifeste dans la plupart des portraits de Monticelli et de manière puissante dans Portrait de Félix (1876) aux mains déformées d’une audace toute « soutinienne ». Celle qui annonce l’abstraction par ces lumineuses simplifications sur la toile en masses colorées. Cette touche qui explose sur la robe de Madame Pascal en est la magnifique démonstration.
Ils peindront les mêmes sujets : portraits, paysages, natures mortes, marines, bouquets de fleurs. Si l’originalité de l’art de Monticelli s’exprime davantage dans la peinture de paysage, c’est sur le thème des bouquets que les correspondances entre les deux peintres seront les plus fortes. De son vivant, Van Gogh n’aura eu de cesse de réhabiliter Monticelli. Longtemps après, par la magie d’une exposition, son souhait est enfin exaucé.

Adolphe Monticelli réhabilité par Vincent Van Gogh

L‘exposition n’est pas pléthorique : 35 tableaux de Monticelli et 18 tableaux de Van Gogh – deux noires pour une blanche ? – et manque un tantinet d’équilibre. Il est vrai que le prêt d’œuvres majeures de Van Gogh est un exercice difficile. L’obtention de l’exceptionnel Autoportrait par le musée d’Orsay (voir p. 79), celui de Vergers en fleurs (1888) par le Metropolitan Museum de New York, et Portrait de vieillard barbu (1885) par le Van Gogh Museum d’Amsterdam (voir p. 77), relève de l’exploit.

Qui pourra désormais ignorer ce peintre ? Mais, si elle n’est pas magistrale, la démonstration proposée par la Vieille Charité n’en est pas moins réussie. La confron­tation de certaines œuvres met bien en évidence la filiation revendiquée par Van Gogh. La parenté est parfois surprenante, ainsi Vase avec glaïeuls rouges et œillets blancs (1886) de Van Gogh et Fleurs de Monticelli donnent à voir la même touche vive faisant vibrer les couleurs. Il y a aussi Nature morte au citron oursin et vase avec Nature morte aux harengs (1886) : le même fond sombre éclaboussé de lumière pailletée. En tout état de cause, les quelques œuvres de Monticelli présentes ici suffisent à nous faire découvrir un artiste puissant, libre, audacieux et comprendre l’admiration de Van Gogh. S’il suffisait d’un seul tableau pour le démontrer, celui de Madame Pascal – du Pollock avant l’heure – emporte largement la mise.
On peut enfin porter sur Monticelli un regard neuf, débarrassé des préjugés le concernant. On ne pourra plus désormais ignorer son œuvre. Plus qu’une redécouverte, il s’agit là d’une véritable réhabilitation.

Autour de l'exposition

Informations pratiques. 
« Van Gogh-Monticelli » jusqu’au 11 janvier 2009. Centre de la Vieille Charité, Marseille. Ouvert tous les jours, sauf le lundi, de 10 h à 19 h. Tarifs : 8 et 6 €. www.vieille-charite-marseille.org
Van Gogh à la loupe, partout dans le monde. Cet hiver, une série d’expositions en France et à l’étranger dissèque l’œuvre du peintre. Tandis que la Vieille Charité rapproche l’artiste de son aîné Monticelli, l’Albertina de Vienne confronte peintures et dessins du maître afin d’en étudier l’osmose (L’œil n°606). Le musée Van Gogh d’Amsterdam présente, de son côté, un ensemble de ses natures mortes. Le MoMA de New York plonge quant à lui le visiteur dans l’univers nocturne du peintre à travers une vingtaine de toiles de nuits. D’autres infos sur www.artclair.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°608 du 1 décembre 2008, avec le titre suivant : Van Gogh retrouve son « père », Monticelli, à Marseille

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