Art moderne

Confrontation

Une modernité, trois regards de peintre

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 27 septembre 2016 - 807 mots

Le journaliste et professeur d’université Philippe Dagen compare le traitement de la réalité par Hodler, Monet et Munch au travers des thèmes de l’eau, de la neige ou de la lumière.

PARIS -  Le directeur du Musée Marmottan Monet, Patrick de Carolis livre la clef de l’exposition : celle-ci aborde le thème de « Monet et la modernité » en le mettant en parallèle avec deux de ses contemporains qu’il n’a connus que de nom, Ferdinand Hodler et Edvard Munch. De générations proches – un peu plus de vingt ans séparent le plus âgé, Claude Monet (1840-1926), du plus jeune, Munch (1863-1944) –, ces peintres furent en effet, selon le commissaire de l’exposition, Philippe Dagen, confrontés à l’irruption de la modernité. Il s’est agi de la photographie, plus tard du cinéma et plus tard encore de la possibilité de connaître non plus seulement la surface des choses, mais leur intérieur, grâce aux techniques de radiographie, par exemple. Or, le métier de peintre consistait à rendre compte de la réalité. La réaction de ces trois artistes face au nouveau regard sur le monde qu’eux-mêmes et leurs contemporains étaient en train d’acquérir est abordée à travers le prisme de quelques thèmes « impossibles », comme le disait Monet : l’eau, la neige ou la lumière. Si le catalogue est un essai destiné aux amateurs éclairés, l’exposition peut s’appréhender comme une présentation comparative de ces thèmes dans l’œuvre des trois artistes. Anticipant sur sa conclusion, elle s’ouvre sur Le Lac de Thoune et la chaîne du Stockhorn (1905) de Hodler (1853-1918). Constitué de bandes horizontales de bleu et jaune sur un soubassement pointilliste brun et vert, ce paysage montre à quel point la réalité a évolué dans le regard des peintres à la fin du XIXe siècle. Puis viennent les autoportraits, et pour parfaire l’introduction, une salle présente les « Réalismes », des œuvres de Munch et de Hodler.

Une section « Montagnes » s’attache au paysage d’Hodler, lequel, comme Monet, peignait ses sujets en série, à la manière des scientifiques qui renouvellent les expériences pour prendre en compte toutes leurs variations. Ses différentes vues des Alpes sont confrontées au Mont Kolsaas de Monet (1895), vision « brouillée par la distance et par l’uniformité des gris pâles », écrit Philippe Dagen, qui précise que « l’hypothèse de la disparition de la représentation s’approche alors ». Ce que l’on voit ici, ce sont les résultats opposés obtenus par les peintres pour traduire au mieux la réalité : masses de couleurs mêlées où la forme disparaît chez Monet, aplats de couleurs cernées de traits suivant le relief chez Hodler. Et cependant, tous deux se rapprochent de l’abstraction.

Questions de peintre
Ce voyage aux confins de la réalité, là où elle devient presque inexprimable, se poursuit pour le visiteur dans l’espace « Soleils et lunes ». Monet choisit de représenter les effets de la lumière plutôt que sa source, tandis que Munch se confronte à celle-ci. Pour peindre Canal au coucher du soleil (1908), on se rend compte qu’il a regardé l’astre avant de fermer les yeux. Dans un souci de réalisme absolu, il l’a peint vert, tel qu’il le voyait encore derrière ses paupières. Près de son Soleil (1912), le cartel précise que, « à presque cinquante ans, [il] apparaît comme le contemporain inattendu de Robert Delaunay ou de Frantisek Kupka, celui des avant-gardes abstraites parisiennes ». Le soleil ressemble à un œil ayant en son centre une tache noire, cette brûlure qui reste sur la rétine de ceux qui ont trop regardé notre étoile en face. Le visiteur attentif s’en souviendra lorsqu’il verra, en fin d’exposition, L’Artiste et son œil malade (et une tête d’oiseau) (1930). Mais pour le moment, il est invité à examiner une « question de peintre par excellence », selon Philippe Dagen, la neige. Dans le catalogue, l’artiste contemporain Marc Desgrandchamps la qualifie de « motif pour abstraction ». Et, en effet, de Maisons dans la neige en Norvège (1895), de Monet, à Paysage de neige, Thuringe (1906), de Munch, c’est encore le chemin vers l’abstraction que l’on suit, pour aboutir à L’Eiger, le Mönch et la Jungfrau au-dessus de la mer de brouillard (1908), de Hodler. La section suivante, « Eaux » poursuit la démonstration avec, notamment, Les Vagues (1908) de Munch, tandis que la dernière section, « Couleurs », montre les parentés des trois peintres avec le fauvisme et l’expressionnisme. Elle serait moins nécessaire si l’on n’y voyait La Maison vue du jardin aux roses (1922-1924) de Monet et Deux êtres humains. Les solitaires (1933-1935) de Munch, deux œuvres où les artistes ont utilisé les changements de leur vision, dus à leurs maladies oculaires, pour peindre un monde nouveau.

Hodler Monet Munch

Commissaire d’exposition : Philippe Dagen, professeur d’histoire de l’art à l’université Panthéon-Sorbonne (paris-I) et collaborateur au journal Le Monde
Nombre d’œuvres : 60

Hodler Monet Munch. Peindre l’impossible

jusqu’au 22 janvier 2017, Musée Marmottan Monet, 2, rue Louis-Boilly, 75016 Paris, tél. 01 44 96 50 33, www.marmottan.fr, du mardi au dimanche 10h-18h, 21h le jeudi, entrée 11 €. Catalogue, coéd. Hazan/Musée Marmottan Monet, 29 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°464 du 30 septembre 2016, avec le titre suivant : Une modernité, trois regards de peintre

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