Une fine lame

Naples honore Micco Spadaro

Le Journal des Arts

Le 5 avril 2002 - 831 mots

L’exposition consacrée au peintre Micco Spadaro, actif à Naples au milieu du XVIIe siècle, ne pouvait trouver meilleur lieu que la chartreuse et le musée de San Martino. C’est là en effet qu’il a laissé les meilleurs témoignages de son art. Quelque soixante-dix peintures et vingt dessins jalonnent le parcours qui présente également des œuvres de peintres de son entourage (Codazzi, Cavallino, de Lione...).

NAPLES (de notre correspondante) - Provenant de collections publiques et privées, italiennes et étrangères, les œuvres de Spadaro (vers 1609-1675) illustrent l’intense activité d’un maître qui, avec originalité et fraîcheur, apparaît comme le témoin le plus attentif des scènes de vie quotidienne de Naples au XVIIe siècle, à travers des retranscriptions d’une grande élégance formelle, des silhouettes aux longues lignes souples, des couleurs exceptionnelles et des jeux attentifs d’ombres et de lumière. De Domenico Gargiulo, dit Micco Spadaro (surnom dérivant du métier de son père, fabricant d’épées), peut être retracé le début de sa carrière, notamment grâce aux informations fournies par le biographe Bernardo De Dominici. Il fréquente d’abord l’atelier d’Aniello Falcone, avec Carlo Coppola, Andrea de Lione et Salvator Rosa. C’est avec eux que Spadaro commence à peindre des paysages et des vues selon les exemples de Filippo Napoletano, lequel, après avoir quitté Naples en 1614 pour Rome et Florence, y revient entre 1627 et 1628. Les estampes de Jacques Callot et Stefano della Bella sont tout aussi importantes pour le peintre, comme en témoigne l’un des premiers tableaux exposés, la Foire.
 
À côté du paysage, le peintre aborde, alors qu’il est encore dans l’atelier d’Aniello Falcone, le thème des batailles et des scènes de combat illustré dans l’exposition avec la Mort d’Absalon. Au cours de ces années, dans ses paysages et architectures, le maître se place encore dans la continuité du naturalisme de Ribera et de Cavallino, avant de subir au milieu des années 1630 l’influence de Castiglione. Dans ce contexte naît la collaboration avec le peintre d’architecture originaire de Bergame Viviano Codazzi, actif à Naples de 1634 à 1647, après une première et courte expérience romaine. La Fête à la villa de Poggioreale comme les Triomphes de Vespasien et de Constantin marquent l’intégration parfaite des deux genres. Dans des architectures de fantaisie, Spadaro insère de petites silhouettes représentées par de légères et vibrantes touches de pinceau et des coloris brillants qui exaltent les valeurs volumétriques et luministes de l’ensemble architectural, tout en respectant leur disposition et l’étendue des perspectives. Les silhouettes de Spadaro, au début minuscules, augmentent progressivement de taille et jouent un rôle toujours plus considérable à l’intérieur de la scène peinte où, avec un beau style narratif, elles sont représentées derrière des arcs, se penchant aux fenêtres, s’accrochant à des colonnes ou peuplant les escaliers de monuments anciens. Les enseignements que Gargiulo a tirés de son travail avec Codazzi ont été précieux. Ils lui ont servi pour les célèbres tableaux d’histoire exécutés plus tard (l’Éruption du Vésuve, la Place Mercatello durant la peste à Naples en 1656 ou Action de grâce après la peste) dans lesquels ses fines qualités d’illustrateur et de chroniqueur retranscrivent également avec précision la perspective des édifices de la ville. Par ailleurs, le peintre a longtemps travaillé pour les chartreux, de 1637 à 1657, comme en témoignent les nombreuses œuvres de la chartreuse de San Martino, dont la visite revêt une importance significative et complète l’exposition. Dès l’entrée de l’église, deux fresques représentent le Saccage d’une chartreuse et la Persécution des chartreux en Angleterre. Suivent les peintures monochromes et la lunette avec La Récolte de la manne dans la petite chapelle du Tesoro Vecchio, ainsi que les décorations retraçant les Histoires des chartreux et de l’Ancien Testament dans le chœur des frères convers et les Histoires d’ermites dans le quartier du Père prieur où le paysage devient un élément essentiel de la représentation. Dans l’un des chantiers les plus actifs de l’époque, aux côtés de maîtres prestigieux comme Massimo Stanzione, Jusepe de Ribera et d’autres, Spadaro affirme sa vision moderne d’un paysage marin ou champêtre d’une autonomie absolue, créant par le biais de couleurs pâles et transparentes des atmosphères tranquilles et solaires. L’époque de la collaboration avec les chartreux est également illustrée dans l’exposition par une série de peintures réalisées pour le marché local. Celles-ci représentent des scènes bibliques alternant avec des histoires mythologiques, des martyres de saints et des chroniques de l’époque, d’où émergent comme des réalisations indépendantes, les deux seuls tableaux d’autel jusqu’à présent connus avec deux grandes figures : La Vierge à l’enfant et les saints Jean et Paul de l’église Santa Maria Donnaromita et La Cène de l’église de Santa Maria della Sapienza. Après 1657, l’influence de l’astre naissant de la peinture napolitaine, Luca Giordano, se manifeste dans de nombreuses œuvres de petit format réalisées pour une clientèle de collectionneurs privés.

- Entre sacrÉ et profane. La Naples de Micco Spadaro, jusqu’au 30 juin, Musée de San Martino, Vomero, Castel Sant’Elmo, Naples, tél. 39 08 15 78 17 69, tlj sauf lundi 8h30-19h30.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°146 du 5 avril 2002, avec le titre suivant : Une fine lame

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