Art moderne

Peinture

Jean-Jacques Henner, un vrai faux peintre académique

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 4 octobre 2007 - 714 mots

Le Musée de la vie romantique à Paris se penche sur la carrière de Jean-Jacques Henner, un peintre au parcours volontairement conventionnel.

PARIS - Oubliés dans l’ombre écrasante des impressionnistes, certains artistes inclassables de la fin du XIXe siècle ont parfois la chance de faire une réapparition. Tel est le cas de Jean-Jacques Henner (1829-1905), peintre officiel d’origine alsacienne très apprécié à son époque. Henner a beau avoir un musée parisien qui lui est entièrement consacré (1), et même une rue parisienne qui porte son nom, il est loin de faire partie du panthéon des artistes de son époque. Dans le cadre cossu de l’hôtel Renan-Scheffer, à Paris, le Musée de la vie romantique décline un parcours raisonné de cet artiste raisonnable.

Prix de Rome
Issu d’une famille de cultivateurs du Sundgau, au sud de l’Alsace, Jean-Jacques Henner a 16 ans lorsqu’il débarque à Paris. Jeune artiste au talent prometteur, il emprunte le parcours classique de l’école des beaux-arts, décroche le prix de Rome en 1858 et séjourne à la Villa Médicis. Or, comme l’explique Rodolphe Rapetti, directeur du Musée Jean-Jacques Henner à Paris et co-commissaire de l’exposition, Henner a beau être un artiste officiel, sa peinture n’a rien d’académique. Conscient de ses faiblesses – le trait auquel il préfère le « contour », les grandes compositions, les sujets historiques… –, Henner mise sur ses qualités. S’il n’a pas su « saisir » la lumière typiquement romaine lors de ses cinq années passées en Italie, il excelle dans l’éclairage spectral qui enrobe les corps de son Saint-Sébastien (1888), de sa Femme couchée sur un divan noir (1869) ou de son Jésus au tombeau (1879) hérité de Holbein. Cette blancheur opalescente sur fond noir vibre sur les murs du Grand atelier du musée, où la sélection des œuvres est particulièrement convaincante. Autre apanage du style Henner, la longue chevelure rousse de ses femmes, vaporeuse et abondante, qui frôle le fétichisme. Bien avant l’avènement du symbolisme, le peintre a créé une femme onirique, dont le visage est rarement détaillé et dont l’identité importe peu : La Liseuse, La Vérité, Églogue, Rêverie, La Source, La Fontaine…
Daniel Marchesseau, directeur de l’établissement, use à l’égard du peintre les adjectifs « terrien », « pudique » et « franc ». Terrien pour ses origines rurales, son sens du labeur, voire son manque de fantaisie ; pudique car attaché aux valeurs bourgeoises lesquelles, contrairement à celles de la peinture d’avant-garde, ne choquent pas mais rassurent ; et franc car il assume son incapacité à aborder certaines compositions, quitte à s’enrober dans le confort de la répétition de sujets identiques. Jean-Jacques Henner n’est pas de ceux qui cultivent le sens de l’esbroufe. S’il soutient le scandaleux Manet dans les débats sur l’avenir de la peinture, Henner savoure les marques de reconnaissance de l’État – à l’image de cette Légion d’Honneur qu’il arbore dans le portrait exécuté en 1891 par Carolus-Duran.
L’artiste décoré pouvait néanmoins repousser les limites de son talent. Le Paysage de Troppmann-Kinck (1879) est un de ses sombres paysages alsaciens réalisés lors de ses fréquents séjours en terre natale, tombée en mains allemandes en 1871. L’épaisseur de la touche et l’opacité des couleurs évoquent, avant l’heure, la technique picturale du all over. Henner avait signé la toile, mais il n’avait jamais voulu l’exposer. N’avait-il que trop conscience de son audace ?

(1) Ouvert en 1924 grâce au don de Madame Jules Henner, le Musée national Jean-Jacques Henner à Paris est fermé pour rénovation jusqu’à la fin 2008. Son directeur, le spécialiste du symbolisme Rodolphe Rapetti, a répondu favorablement à la requête de Daniel Marchesseau, directeur du Musée de la vie romantique, en lui confiant une importante partie de ses collections pour cette exposition.

FACE À L’IMPRESSIONNISME. JEAN-JACQUES HENNER

- Commissaires : Rodolphe Rapetti, conservateur général du Patrimoine, directeur du Musée national Jean-Jacques Henner, Paris ; Claire Bessède, conservateur du Patrimoine, Musée national Jean-Jacques Henner ; Daniel Marchesseau, conservateur général du Patrimoine, directeur du Musée de la vie romantique, Paris - Nombre d’œuvres : 104 (68 huiles, 35 œuvres sur papier, 1 bronze) - Nombre de salles : 4 - Établissements prêteurs : Musée national Jean-Jacques Henner, Paris ; Musée du Petit Palais, Paris ; Musée d’Orsay, Paris ; l’École nationale supérieure des beaux-arts, Paris ; Musée d’Unterlinden, Colmar ; Musée des beaux-arts de Mulhouse ; Musée de Picardie, Amiens ; Maison de Victor Hugo, Paris

FACE À L’IMPRESSIONNISME. JEAN-JACQUES HENNER (1829-1905). LE DERNIER DES ROMANTIQUES

Jusqu’au 13 janvier 2008, Musée de la Vie romantique, 16, rue Chaptal, 75009 Paris, 01 55 31 95 67, tlj 10h-18h, http://vie-romantique.paris.fr, catalogue, coédité par Paris-Musées et la Réunion des Musées Nationaux, 35 euros.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°264 du 7 septembre 2007, avec le titre suivant : Un vrai faux peintre académique

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