Le Musée Carnavalet raconte de manière nuancée l'An II de la Révolution française.
Paris. « La Révolution a pour monument… le vide. » Dans son Histoire de la Révolution française, l’historien Jules Michelet (1798-1874) constate que cette période-clé de l’histoire de France laisse derrière elle bien peu de traces monumentales. Il ne fait, en revanche, pas cas des multiples documents d’archives, affiches, œuvres et objets du quotidien qui nous sont parvenus. C’est cet héritage révolutionnaire que le Musée Carnavalet met en lumière, en choisissant de se concentrer sur une seule et unique année : 1793-1794 ou l’An II. « Il y a eu beaucoup d’expositions sur l’année 1789 ou sur la Révolution en général, alors que cette période a souvent été effacée, contestée ou pensée comme un héritage dissonant », souligne l’historien Guillaume Mazeau, membre du comité scientifique de l’exposition. Et c’est pour mieux en penser la complexité qu’elle n’est pas désignée sous le nom de « Terreur », terme forgé par les opposants de Robespierre au lendemain de son exécution. Car si cette année signe bel et bien la transition autoritaire du nouveau régime, avec l’instauration de lourdes mesures d’exception, c’est aussi un moment de relance utopique, marqué par l’émergence d’une culture républicaine.
Cette ambivalence, le Musée Carnavalet la rend tangible en évitant l’écueil d’en dresser un portrait trop manichéen, et ce grâce à la diversité des pièces exposées : une sélection de plus de 250 œuvres, qui proviennent pour la plupart des collections du musée. Peintures, affiches, documents, papiers peints, pièces de monnaie, mobilier, habits, instruments de musique… thématique oblige, l’exposition s’adresse plus aux passionnés d’histoire qu’aux amateurs de beaux-arts.
« Dans cette exposition, Paris est au cœur de la Révolution. Elle l’active même », rappelle Valérie Guillaume, la directrice du Musée Carnavalet. Les objets présentés témoignent des multiples bouleversements qui affectent le quotidien des Parisiens et Parisiennes, qui doivent s’accoutumer à de nouvelles manières de s’habiller, de compter, de vivre en société… Avec un accent mis sur le rôle joué par les arts dans la consolidation d’une unité républicaine. Allégories politiques, projets architecturaux et grandes fêtes se multiplient, tout comme les effigies en l’honneur des martyrs de la Liberté à l’instar de l’incontournable Marat assassiné de David (sa version versaillaise est exposée).
La sombre réalité de la « Terreur », bien plus notoire, n’est pas occultée pour autant. Une lame de guillotine – l’une des seules conservées du XVIIIe siècle – se détache sur un fond rouge évocateur, non loin d’une porte de prison, d’un dessin du procès de Marie-Antoinette ou encore de l’acte d’accusation contre Olympe de Gouges. Mais l’exposition va plus loin en tentant de démêler le vrai du faux, avec le concours de scientifiques. La violence de l’An II a, de fait, alimenté toute une flopée de croyances et rumeurs extravagantes, renforcées par les fausses informations que propageaient les autorités dans un but dissuasif. Ainsi, un livre soi-disant recouvert de peau humaine s’est révélé être en cuir de mouton, tandis qu’un morceau de mâchoire a pu être authentifié comme étant bien celui du député Marat.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°644 du 29 novembre 2024, avec le titre suivant : Un nouveau regard sur 1793-1794