Architecture

Jean Renaudie, un homme d’honneur

Ivry-sur-Seine rend hommage à Jean Renaudie

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 11 octobre 2002 - 674 mots

Dans le cadre de sa politique de manifestations hors les murs, le Centre Pompidou présente à Ivry-sur-Seine, là où il s’est illustré pleinement, une exposition consacrée à Jean Renaudie (1925-1981), l’un des architectes français les plus singuliers et affirmés du XXe siècle.

IVRY-SUR-SEINE - Le mieux est de se rendre à l’exposition en métro. Dès l’escalier mécanique qui vous remonte à la surface, pour peu que vous leviez les yeux au ciel, le béton brut aux formes acérées et la verdure en cascade exposent déjà Renaudie. Descendre l’avenue Georges-Gosnat, puis prendre à droite la rue Raspail, et le tour est, sinon joué, du moins en partie effectué. D’autant que de l’autre côté de l’avenue et du carrefour, d’autres traces “renaudiennes” appellent. Que l’on retourne au métro en empruntant les “promenées” Marat, Jean-Baptiste-Clément ou encore Jeanne-Hachette et on aura vraiment pénétré l’univers de Jean Renaudie, architecte complexe, flamboyant, caractériel et engagé.

L’exposition est quant à elle visible dans un local précédemment occupé par un magasin Leader Price que l’implantation d’hypermarché à proximité a contraint de cesser son activité. Autant dire que la nudité et l’austérité du lieu n’engagent pas à une scénographie tapageuse. Dessins, plans, photographies, maquettes sont donc ici présentés dans un dépouillement et une rigueur qui auraient très probablement satisfait l’architecte. Cette absence de “mise en scène” n’en fait sans doute que mieux apparaître les grands principes qui ordonnèrent toute l’œuvre de Renaudie : continuité, interpénétration et imbrication des volumes, combinaison et innovation des formes, cheminements piétonniers mélangeant circulation publique et accès privés, jeux de trame, affirmation d’une certaine orthogonalité, élaboration d’une géométrie cubique et complexe, jeu de lumière, recherche constante du partage... Et qui ne saurait mieux s’exprimer à Ivry où il édifia, en plusieurs opérations, son chef-d’œuvre. D’un ensemble l’autre, si on les arpente en visiteur attentif (1), se dévoile toute la complexité et la générosité de Jean Renaudie : accès piétonniers, circulations collectives par les terrasses, mixité des fonctions... Et surtout, une autre manière d’envisager le monde, de considérer le logement social, d’en finir avec l’injustice, de faire table rase.

Depuis sa naissance en Limousin et jusqu’à sa mort en 1981, à l’âge de cinquante-six ans, Jean Renaudie a toujours été animé, éclairé de la même flamme. Lorsqu’il fonde en 1958 en compagnie de Pierre Riboulet, Gérard Thurnauer et Jean-Louis Véret, le fameux Atelier de Montrouge, c’est bien dans l’optique et la volonté d’élaborer une architecture “militante” : crèche, école maternelle, caserne de pompiers, village de vacances, études pour des quartiers difficiles en banlieue ou pour des villes nouvelles... En 1968, insatisfait, il rompt avec l’Atelier de Montrouge et fonde son propre atelier à Ivry-sur-Seine. Là, à la demande de Renée Gailhoustet, architecte en chef de la rénovation du centre-ville, il va réaliser son chef- d’œuvre, mettre en pratique ses idées, démontrer toute l’étendue de son talent.

Car s’il est de bon ton lorsqu’il s’agit de Jean Renaudie de crier à l’engagement, à la morale, au don de soi, on oublie trop souvent de parler de la beauté, de l’étonnante harmonie toute d’agressivité de son œuvre. Architecture complexe certes, personnage complexe également. Anarcho-stalinien, Renaudie était, de par son éthique et à n’en pas douter, un homme d’honneur. Doublé d’un donneur de leçons, ancré sur une doxa qu’il n’aimait rien tant que transgresser. Homme à femmes, père plusieurs fois comblé, il promenait une “gueule” à la Roger Vaillant, à la Emmanuel d’Astier de la Vigerie ou encore à la Maurice Garrel dans ses meilleurs rôles. Un visage aigu et vibrant, un regard acéré et habité, une gestuelle élégante et affirmée dont on retrouve la densité physique, doublée d’un certain brutalisme, dans toutes ses réalisations et dans tous ses projets.

L’exposition est salutaire donc, puisqu’elle remet enfin en lumière une architecture ambitieuse, radicale, engagée, exigeante. Et le fait qu’elle se déroule sur place, à Ivry, permet d’en explorer immédiatement les infinis et les limites.

JEAN RENAUDIE, jusqu’au 16 novembre, Centre Jeanne-Hachette, 93 avenue Pierre-Gosnat, 94200 Ivry-sur-Seine, tél. 01 46 70 09 49, tlj sauf lundis et jours fériés de 14h à 19h.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°156 du 11 octobre 2002, avec le titre suivant : Un homme d’honneur

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque