À l’étranger

Un art de la propagande

Musée des Arts appliqués, Vienne. Jusqu’au 5 septembre 2010

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 18 juin 2010 - 356 mots

Il y a Corée et Corée. Il en est une, ouverte à l’autre et sur le monde, diligente envers la tradition et perméable à l’actualité.

 Il en est une autre, impassible et impénétrable, pleine de silences et riche de secrets. Comme si un 38e parallèle, invisible et arbitraire, avait clivé à jamais le sort de la péninsule asiatique. Capitalisme et progrès versus socialisme et immobilisme ?

De la Corée du Nord, on ne sait rien, ou si peu. Le péché du narcissisme occidental, peut-être, la faute à l’omerta coréenne, sans doute. Car le régime de Pyongyang est assez peu enclin à la transparence et à l’extraversion, et ce depuis 1948 et l’avènement de ladite République démocratique populaire de Corée. C’est donc peu dire que l’exposition viennoise du musée des Arts appliqués, consacrée à l’art nord-coréen, constitue moins une première qu’une révélation... Mais peut-être le mot « art » est-il déjà impropre, tant il s’agit de la répétition d’une même matrice et d’un même modèle, destinés à célébrer Kim II-sung – défunt dirigeant et « Grand Leader » vénéré – et son fils régnant, Kim Jong-il. Peintures et affiches déclinent ainsi une esthétique rétro mettant en scène tantôt la béatitude collective (Le Ciel bleu sur mon pays, 2005), tantôt la mythologie totalitaire (Le président Kim II Sung est toujours avec nous, 1994). Dans cette esthétique tautologique, où triomphent le bonheur guimauve et le miracle acidulé, l’artiste ne saurait exister. D’ailleurs, qu’importe son nom, pourvu qu’il se fonde dans l’anonymat ou dans la masse. Inconnu ou pluriel, le « créateur » est donc un exécutant idéologique et sa production une vulgaire incarnation programmatique.

Parfois, transpire de l’aplomb, voire de l’audace. C’est que cette production apparemment pléonastique demande à lire entre les lignes, à deviner sous l’exultation célébrante la lassitude culturelle, à percevoir derrière ces architectures intimidantes des monuments d’ennui, à délaisser le leitmotiv du Même pour le chahut – si rare – de la Dissonance. À jouir de peu, et de la liberté.

« Des fleurs pour Kim II-Sung », musée des Arts appliqués, Stubenring, 5, Vienne (Autriche), (00) 43 712 80 00, www.mak.at, jusqu’au 5 septembre 2010.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°626 du 1 juillet 2010, avec le titre suivant : Un art de la propagande

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