Art contemporain

XXE SIÈCLE

Truphémus, l’art à l’État gazeux

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 7 juin 2017 - 409 mots

Le peintre âgé de 95 ans s’emploie à une figuration vaporeuse et figée qui doit beaucoup à Bonnard.

Yerres (Essonne). Ce n’est pas un arrêt sur image, ce sont des images à l’arrêt. Dans le premier cas, il s’agit de saisir un geste ou un mouvement, de l’extraire du flux continu et de l’isoler. Dans le second cas, celui de la peinture de Jacques Truphémus, né en 1922, le temps ne coule plus, le monde est figé, toute activité est comme suspendue.

Chez l’artiste, exposé à la Ferme Ornée, à Yerres, les scènes d’intérieur, sa demeure, son atelier (voir le très beau La Verrière dans l’atelier, 1977), mais aussi le café sont des lieux d’intimité où l’on parle à voix basse, comme il sied à la confidence, et où l’on se penche pour écouter (Intérieur d’un café, deux femmes bavardent, 2009). Ici, tout reste évanescent, insaisissable, et, d’un espace indéterminé, émergent à peine des ombres japonaises. Les silhouettes se dissolvent sur un fond vaporeux. Ces figures oniriques, dont le visiteur distingue rarement le visage, sont confinées dans un univers silencieux. Même lorsque, au début du parcours, le peintre se présente dans son atelier à travers une série d’autoportraits, ses traits sont pratiquement effacés.

Les mêmes effets se retrouvent transposés en « plein air ». Dehors ou dedans, la lumière reste tamisée, et le soleil n’éclaire guère plus que la lampe à abat-jour. L’atmosphère est grisâtre, les couleurs en demi-ton, les composants simplifiés à l’extrême.

Cette peinture refuse le trop-plein, la tension et jusqu’à la modernité de la vie réelle. Qu’il s’agisse des quais de la Saône à Lyon ou de la ville industrielle japonaise d’Osaka, ces paysages urbains, vides de toute présence humaine, semblent peints sous une lumière matinale quand la ville est encore plongée dans le sommeil (Quai de Saône, bas port, 1999 ; Osaka, Japon, 2016).

Pommes conventionnelles
Jacques Truphémus ne prétend pas instaurer un ordre esthétique nouveau ou proposer une rupture explicite. Il s’inscrit dans la lignée d’un Bonnard dont il conserve la richesse de coloris et de transparences. En revanche, ses natures mortes, lointaines héritières des pommes de Cézanne, sont très conventionnelles. L’introduction du miroir, censé animer les fruits et autres objets distribués savamment sur une table, ne fait qu’accentuer le traitement classique du genre. L’œuvre de Truphémus et sa « petite musique » n’en dégage pas moins une poésie indéniable. Peut-on parler d’une peinture en mode mineur, ou encore de paysages de chuchotements ?

Jacques Truphémus. Intimité révélée

Jusqu’au 9 juillet, La Ferme Ornée, Propriété Caillebotte, 8, rue de Concy, 91330 Yerres.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°481 du 9 juin 2017, avec le titre suivant : Truphémus, l’art à l’État gazeux

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