A Marseille

Théâtre et peinture - Les liaisons intimes

Par Lina Mistretta · L'ŒIL

Le 28 octobre 2009 - 855 mots

Du néoclassicisme de David jusqu’à l’abstraction scénique d’Adolphe Appia, les grands mouvements artistiques ont influencé le théâtre et l’ont ouvert à la modernité. Tout comme les réformes théâtrales ont pesé sur l’évolution de la peinture.

Daumier, Degas, Füssli, Moreau, David, Delacroix, Hayez... ces peintres partagent tous le même intérêt pour la scène, ils vibrent tous au lever de rideau. L’exposition présentée au musée Cantini de Marseille analyse les relations entre le théâtre et la peinture des XVIIIe et XIXe siècles et leurs évolutions respectives.
Le point de départ de cette narration se situe au Siècle des lumières. C’est alors que les artistes évoquent le théâtre néoclassique avec la découverte de Pompéi et d’Herculanum, marquant le retour à l’antique. Girodet et David veulent rendre à la peinture d’histoire sa vertu dramatique. Avec son cycle de grands tableaux, David fixe une nouvelle manière de théâtraliser le drame peint. La peinture reste muette, mais doit être éloquente et retranscrire les sentiments par le mouvement, l’attitude, les gestes : dans Andromaque pleurant Hector, l’héroïne, le bras posé sur le corps de son époux défunt, associe le spectateur à sa douleur, et Le Serment des Horaces exalte le devoir. Ces deux archétypes de « la peinture de vertu » lui apportent la gloire. Dans La Colère d’Achille l’on découvre un David plus arcadien, moins austère, d’un néoclassicisme tardif tendant vers le romantisme.

Le règne de Shakespeare
C’est en Angleterre, où le romantisme trouve un terrain fertile, que Delacroix découvre le théâtre de Shakespeare. À cette époque, le pays voue au dramaturge un véritable culte. Ses livres s’arrachent et ses pièces se jouent partout. Le peintre trouve dans cette littérature une source intarissable de sujets. Le mythe romantique traite de l’ambivalence entre création et folie, poète et aliéné. Comme de nombreux artistes contemporains, Delacroix est séduit par Hamlet, prince danois sombre et solitaire animé de désirs contradictoires, auquel il s’identifie. Il s’empare du personnage et lui consacre plusieurs lithographies et tableaux. Lady Macbeth, sa deuxième source d’inspiration shakespearienne, est superbement théâtrale, entre ombre et lumière, le regard halluciné de culpabilité.
Fascinés par la modernité du théâtre romantique, les peintres « mettent en scène » de véritables mélodrames. Paul Delaroche peint son propre théâtre shakespearien, entre les scènes. C’est la peinture de l’attente, de la surprise. Les Enfants d’Édouard, inspirés de Richard III, montrent les enfants d’Édouard IV enfermés dans la Tour de Londres, attendant blottis l’un contre l’autre l’irruption du malheur. En opposition à un Delacroix qui libère l’imaginaire du spectateur, Delaroche captive son attention. Le dramaturge Lavigne écrivit une pièce tirée du tableau de Delaroche, créant ainsi le mouvement inverse du tableau à la scène.
Autre fervent adepte du dramaturge anglais, le peintre suisse Füssli s’attache aux sujets shakespeariens les plus sombres avec un Lear chassant Cordelia d’une noirceur qui anticipe le romantisme noir de la fin du siècle. A contrario, William Blake signe un Richard III et les fantômes étrange, ineffable, poétique.

Degas et le théâtre
Au XIXe siècle, le théâtre et l’opéra sont au centre de la vie culturelle et au cœur de la vie de Degas. Grand arpenteur de coulisses, le peintre de la danse connaît l’endroit et l’envers du décor. Son point de vue n’est pas celui d’un flâneur, mais celui d’un observateur acharné de la réalité. Il apporte, c’est nouveau, une vision naturaliste du monde du théâtre. Inspiré par les œuvres de Daumier, notamment par Au théâtre, il s’intéresse à ce qui se passe dans la salle.
En ce XIXe siècle, un constat s’impose : depuis que le théâtre existe, le point de vue se situe toujours au milieu de la scène, et depuis que les artistes représentent le théâtre, le cadre du tableau correspond au cadre de la scène. Degas se plaît à déconstruire cette illusion scénique. Avec L’Orchestre de l’Opéra il attire le spectateur à l’intérieur de la composition et le place au premier rang des fauteuils d’orchestre, juste derrière les musiciens. Par un jeu de plans superposés, il signe ainsi une composition audacieuse d’une soirée à l’Opéra.

L’influence de Wagner
Si l’on aborde l’opéra, force est de constater la résonance de l’œuvre de Richard Wagner en peinture. Le caractère visuel de ses œuvres ne fait aucun doute. La notion de « peinture wagnérienne » établit une identification naturelle au symbolisme quand on sait que celui-ci met l’accent sur une forme plus musicale pour « suggérer l’Être ». Car le symbolisme dans toutes ses composantes veut rétablir une esthétique proche de la sensibilité romantique où le tableau devient le lieu de tous les fantasmes, de toutes les théâtralités. Gustave Moreau s’en fera le chantre pour en dénoncer ensuite le danger.
En 1882, lors d’une représentation de Parsifal de Wagner, le metteur en scène Adolphe Appia réalise à quel point le théâtre doit être réformé. Tout comme Edward Gordon Craig qui s’efforce lui aussi de créer un style théâtral novateur, il prône la simplification du décor et préfère la suggestion de la lumière à la réalité de la peinture. La lumière n’est donc plus un simple élément du décor mais l’élément principal. Les mises en scènes de Craig et d’Appia inspireront la conception scénique du XXe siècle.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°618 du 1 novembre 2009, avec le titre suivant : Théâtre et peinture - Les liaisons intimes

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