Sur la route

William Eggleston à la Fondation Cartier

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 25 janvier 2002 - 480 mots

Première rétrospective
en France de William Eggleston, l’exposition de
la Fondation Cartier rassemble environ 150 photographies réalisées depuis le milieu
des années 1960. Associé à
une Amérique aussi banale
que photogénique, son travail
y est montré comme un
road-movie en construction.

PARIS - Comment dissocier William Eggleston de l’Amérique ? La biographie même du photographe fait de lui un personnage de Faulkner : descendant d’une famille de planteur, il est né en 1939 à Memphis, Tennessee. Le photographe a travaillé en Europe, en Afrique, mais, malgré sa richesse, l’exposition de la Fondation Cartier fait une impasse presque totale sur ses “exotismes”. Commandée à l’occasion de la manifestation – et exposée en guise d’introduction au rez-de-chaussée –, sa série réalisée en octobre 2001 au Japon est toutefois là pour ouvrir de nouveaux horizons géographiques et percevoir hors de son contexte habituel la manière du photographe. Le travail d’Eggleston se remarque par la hauteur de ses prises de vue. L’appareil n’est plus un prolongement de l’œil, ni même du corps. Ses images sont saisies au ras du sol, dans les airs, dans l’attente d’un atterrissage final, d’un ancrage. Comme éloignées de tout repère anthropomorphique, les prises de vues révèlent les détails élégamment décadrés d’une enseigne lumineuse, ou les méandres d’une architecture de temple. Ces particularités stylistiques peuvent permettre d’approcher l’œuvre entamée par Eggleston au milieu des années 1960, mais elles ne sont – du moins aujourd’hui – en définitive rien face à l’iconographie qui s’y déploie. Les objets, les paysages et les personnages n’existent pas sans leurs cadres, mais on ne voit qu’eux. Qu’il s’agisse d’une station-service au milieu du désert, ou d’un coin de rue, les “décors” d’Eggleston sont étrangement dépourvus de tout repère chronologique. Est-ce l’“Amérique éternelle” ou juste celle que le cinéma nous a appris à voir ? Passer entre ces images s’apparente à un curieux exercice cinéphile. Au risque de bousculer les chronologies, chaque photographie devient un repérage ou une vue de tournage d’un inédit de Cassavetes, de Coppola ou de Scorsese. Le David Lynch de Twin Peaks n’est, lui, jamais très loin. Les bars, intérieurs et paysages nocturnes visités par Eggleston semblent toujours à la lisière d’un dérapage incontrôlé. Avec les “bagnoles” et les “flingues”, il ne manque en fait que les femmes, pour achever la trilogie sulfureuse de ce road-movie en construction.
Ni brun, ni blond comme chez Lynch, l’idéal féminin prend forme sous une chevelure à la rousseur préraphaélite. Symbolique, la teinte souligne également l’intérêt du photographe pour la couleur et sa maîtrise du chromatisme au bord de la saturation. Épisode décisif dans sa carrière, l’exposition de William Eggleston en 1976 au Musée d’art moderne de New York a participé aux lettres de noblesse de la photographie en couleurs. Juste retour des choses dans un classicisme troublant, le photographe n’a jamais oublié de citer, dans ses natures mortes, les pionniers du genre comme Paul Outerbridge.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°141 du 25 janvier 2002, avec le titre suivant : Sur la route

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