Statuettes du Mans

À Yvré-L’Évêque, un panorama de la sculpture mancelle en terre cuite

Le Journal des Arts

Le 12 septembre 2003 - 822 mots

Le Mans et sa région ont abrité à partir du milieu du XVIe siècle un réseau d’ateliers spécialisés dans la sculpture en terre cuite polychrome. Présentées à l’abbaye de l’Épau (située sur la commune d’Yvré-L’Évêque, près du Mans), une centaine d’œuvres – sculptures isolées et groupes de grandes dimensions provenant d’églises ou de musées – illustrent la vitalité et l’originalité de ce foyer artistique.

LE MANS - Joyau du patrimoine sarthois, l’abbaye cistercienne de l’Épau accueille jusqu’au 9 novembre une centaine de vierges et saints en terre cuite polychrome. Modelées au XVIe et XVIIe siècles par plusieurs dynasties d’artistes, ces élégantes statues illustrent l’éclosion et l’épanouissement de la sculpture en terre cuite au Mans et dans sa région. Introduite à la première Renaissance par des sculpteurs italiens actifs dans la vallée de la Loire, cette technique connut en effet, à la faveur de la Contre-Réforme, un succès durable dans le Maine et l’Anjou. Moins coûteuse et d’une exécution plus rapide que la sculpture en marbre, cette statuaire peinte dans des tons or, bleu et blanc étincelants était destinée aux retables des églises ou à la dévotion privée. Longtemps sous-estimée, voire ignorée, elle est aujourd’hui révélée à l’issue d’une importante recherche scientifique. Menée par les services de la DRAC (direction régionale des Affaires culturelles) des Pays de Loire, le Musée du Louvre et les musées du Mans, cette étude (dont les éditions du Patrimoine offrent une synthèse) a permis de recenser un millier de sculptures en terre cuite des XVIe et XVIIe siècles dispersées dans plusieurs centaines d’églises de la Sarthe, de la Mayenne et des départements voisins, et de mieux cerner les ateliers actifs durant cette période. En témoigne l’actuelle rétrospective de l’abbaye de l’Épau, version enrichie de l’exposition “Belles et Inconnues” présentée par le Louvre au printemps 2002.

L’âge d’or de la statuaire mancelle
Disposées sur des socles gris rosé ou brique claire de différentes hauteurs – une muséographie qui permet d’appréhender les pièces sous toutes les facettes et évite les effets d’accumulation –, les œuvres sont regroupées par tranche chronologique et affinités stylistiques. Pénétrant dans l’abbatiale par le transept sud, le visiteur découvre tout d’abord les premières sculptures mancelles parvenues jusqu’à nous. Postérieures à 1562 – année marquée par de nombreuses destructions iconoclastes –, elles peuvent être statiques et schématiques, à l’image de ce Saint Sébastien (1565) proche de la statuaire populaire, ou au contraire d’une exécution soignée, telle la gracieuse Sainte Barbe (fin du XVIe s.) au canon élancé et au visage mince du Musée de Tessé (Le Mans).
La fin du XVIe siècle voit s’épanouir les premiers grands ateliers : celui de Matthieu Dionise, actif au Mans entre 1580 et 1619, puis celui de son neveu Gervais I Delabarre, dont la notoriété dépassa largement les frontières du Maine. Premier d’une longue lignée de sculpteurs actifs jusqu’au début du XVIIIe siècle, ce dernier est l’auteur d’un remarquable décor de jubé. Exécuté vers 1606-1608 pour la cathédrale du Mans, cet ensemble témoigne des qualités monumentales du sculpteur et de sa sensibilité maniériste.
Véritable âge d’or de la statuaire mancelle, la première moitié du XVIIe siècle voit également l’émergence d’artistes comme Charles Hoyau et Pierre Biardeau. Du premier, on peut admirer la Sainte Cécile jouant de l’orgue (1633), dont la récente restauration a permis de retrouver, sous un badigeon marron, l’éclat de la polychromie d’origine. Signée et datée, cette statue “est depuis longtemps considérée comme le chef-d’œuvre du sculpteur et la plus représentative des sculptures mancelles. Ses atours luxueux, sa pose inhabituelle pour une statue de dévotion, sa grâce rêveuse ont fasciné”, écrit Geneviève Bresc-Bautier, conservateur au département des Sculptures du Musée du Louvre, dans le catalogue de l’exposition. Non moins fascinantes sont les réalisations de Pierre Biardeau, passé maître dans les figures de “Vierge à l’Enfant”. Il se différencie de ses prédécesseurs par sa sensibilité baroque, son goût pour les attitudes dynamiques et l’animation des volumes. Parmi ses plus grandes réussites figurent la Vierge de Nozay (vers 1660), proche des peintures de Vouet ou de La Hyre, et la Vierge à l’Enfant de la cathédrale de Poitiers (milieu du XVIIe s.), chef-d’œuvre d’équilibre et de vivacité. Succèdent à ces créations les statues plus raides et stéréotypées de la seconde moitié du XVIIe siècle, ainsi qu’un ensemble de sculptures encore “en quête d’auteur”, à l’instar d’une petite Mise au tombeau de la fin du XVIe siècle. Alliant la finesse des expressions au rendu souple des drapés, celle-ci pourrait être de la main de Germain Pilon.
Complétant ce panorama de la sculpture mancelle, des circuits mis en place dans vingt-huit églises de la région sont proposés aux visiteurs pendant la durée de l’exposition. Une invitation à découvrir ce riche patrimoine in situ...

TERRE ET CIEL. SCULPTURES DU MAINE EN TERRE CUITE, XVIe-XVIIe SIÈCLES

Jusqu’au 9 novembre, abbaye de l’Épau, route de Changé, 72530 Yvré-L’Évêque, tél. 02 43 24 22 29, www.epau.org. Catalogue de l’exposition, éditions du Patrimoine, 320 p., 315 ill., 44 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°176 du 12 septembre 2003, avec le titre suivant : Statuettes du Mans

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