Design

Sottsass, le gourou du design

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 15 février 2018 - 864 mots

MILAN / ITALIE

La rétrospective consacrée à Ettore Sottsass à la Triennale de Milan met en relief les idées fortes de son processus créatif et présente nombre d’œuvres peu connues.

Vue de l'exposition « Ettore Sottsass, There is a Planet », à la triennale de Milan
Vue de l'exposition « Ettore Sottsass, There is a Planet », à la triennale de Milan
Photo Gianluca Di Ioia

C’est plus qu’une exposition : une célébration qui, pour un peu, virerait au culte. Pas étonnant tant l’homme, à la fin de sa vie, avait tout du gourou : Ettore Sottsass était non seulement l’un des maîtres du design transalpin et mondial, mais aussi et surtout un intellectuel. C’est ce que démontre l’imposante rétrospective « There is a Planet » installée à la Triennale de Milan et concoctée à l’occasion du centenaire de sa naissance (1917) à Innsbruck (Autriche), et des 10 ans de sa disparition (2007) à Milan, sa ville d’adoption.

La présentation, qui est un culte rendu tant au design qu’à la vie, rassemble une multitude de pièces – dessins, maquettes, textes, photographies, meubles, objets… – souvent peu connues. Le fait que la commissaire de l’exposition ne soit autre que Barbara Radice, dernière compagne de Sottsass, y est pour beaucoup. « Pour l’exposition, j’ai dû m’assurer que sa vision apparaîtrait intacte, raconte-t-elle. Dans l’entrelac de ses écrits, j’ai pu cerner des noyaux dans lesquels les travaux s’étaient agglomérés pour former des constellations d’objets, de notes, d’idées-clés et d’observations que l’on retrouve, ensuite, dans les peintures, les dessins, les plans, les architectures, la céramique, le mobilier, les photographies et, évidemment, dans les essais. »

Non chronologique, le parcours se déploie donc selon une suite de « constellations » ou d’« îles ». Au nombre de neuf, leurs titres, non dénués d’humour et d’ironie, sont issus de textes, notes ou titres d’œuvres : « Pour certains, il peut s’agir d’espace » ; « Design magique » ; « Souvenirs de crème fouettée » ; « Design politique » ; « Les structures tremblent » ; « Design barbare » ; « Ruines » ; « L’Espace réel » ; « J’aimerais savoir pourquoi »…

Un expérimentateur de matériaux
Les débuts d’Ettore Sottsass, méconnus, étonnent. Au mitan des années 1940, celui-ci se cherche tous azimuts. Ainsi le découvre-t-on piètre peintre. « C’est alors que j’ai commencé à réfléchir, dira Sottsass. S’il y avait un sens à faire des objets, c’était d’aider les gens à vivre, que ces objets livrent une sorte d’action thérapeutique. En clair : il s’agissait de donner pour but aux objets de réveiller la perception que chacun d’entre nous pourrait avoir de son aventure personnelle. » Bien lui en a pris, car, dans d’autres domaines que la peinture, il déploiera une énergie folle et une réelle virtuosité. Surprenante ainsi est la première salle, qui réunit une série de prototypes : vases aux couleurs anodisées, supensions en aluminium à l’étonnant travail de découpe… Le designer se révèle un as dans l’expérimentation des matériaux. En témoigne cette splendide « vitrine » sombre arborant les fameuses « Céramiques des ténèbres » – dont sont montrés une trentaine d’exemplaires –, réalisées par la manufacture Bitossi pour la galerie milanaise Il Sestento. Les teintes sont à la fois profondes et subtiles.

Sottsass manipule aussi bien les savoir-faire artisanaux que ceux plus technologiques – même si le volet industriel est ici l’un des moins exploités… –, avec un objectif précis : une réflexion sur de nouveaux modes de vie. Ainsi en est-il de ses rangements « Superbox » pour la firme Poltronova, un travail très graphique avec le matériau de placage. Dans une autre section sont plantés trois des Conteneurs issus de la mythique exposition du MoMA, en 1972, « Italy : The New Domestic Landscape ». L’un contient un bac de douche, l’autre un w.-c. et le dernier une assise. Montés sur roulettes, tous trois sont promesse d’un futur en quête de mobilité.

Deux séries de photographies rythment la présentation. L’une, pas sérieuse pour un sou, « Les filles d’Antibes », consiste en des clichés de vacancières en maillot de bain, pris en 1963 sur la plage. L’autre, splendide, court sur trois longues cimaises (et plusieurs années), et collectionne les points de vue, en noir et blanc ou en couleurs, glanés lors de périples aux quatre coins de la planète, du Tassili n’Ajjer (Algérie) à la Death Valley en Californie ou à l’île de Filicudi, dans la mer Tyrrhénienne. Des paysages, beaucoup, mais aussi des gens, des habitants et des maisons ou leurs détails – seuil, entrée, escalier, fenêtre… Bref, quantité d’images qui, d’une manière ou d’une autre, seront sources d’inspiration tout au long de sa vie.

Une « curiosité vorace »
Une salle déploie avec force plus d’une vingtaine de « Cabinets », rangements de grande taille, tels des cas d’école. Il s’agit en effet de mixer différentes typologies – étagère, cabinet, tiroir… – d’une manière tout sauf classique. Avec son art assumé du contre-pied, Sottsass prend un malin plaisir à les remettre constamment en équilibre, que celui-ci soit visuel ou réel. Les meubles intitulés « Petit hommage à Mondrian » arborent même les couleurs chères au peintre batave, mais dans une version fluo détonante. Ce sont moins des meubles que de petites architectures, joyeuses qui plus est.

Si le nombre de découvertes, en regard des pièces maîtresses, suffit à ravir le visiteur, ce dernier devra néanmoins impérativement prendre le temps de lire les mots de Sottsass. « Ce qui le décrit ou plutôt ce qui le distingue, dit Barbara Radice, c’était sa curiosité. Une curiosité vive et vorace qui forgea son extraordinaire empressement à être surpris, et sa liberté de mouvement et d’expression. »

INFOrMATIONS

Ettore Sottsass, There is a planet,
jusqu’au 11 mars, Triennale de Milan, Palazo dell’Arte, 6, Viale Emilio Alemagna, Milan (Italie).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°495 du 16 février 2018, avec le titre suivant : Sottsass, le gourou du design

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