Art contemporain - Patrimoine

Les journées européennes du patrimoine

Six mariages réussis entre l'art contemporain et le patrimoine

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 21 août 2013 - 1260 mots

Apparues il y a une vingtaine d’année, les œuvres et les installations d’art contemporain dans les monuments historiques, châteaux, jardins remarquables ou abbayes, semblent n’avoir jamais été aussi nombreuses qu’en 2013. Panorama de six mariages assez réussis…

Indre-et-Loire - un mariage futé château du Rivau
La vallée de la Loire comptant un nombre incalculable de châteaux, manoirs et demeures seigneuriales patrimoniales, difficile de tirer son épingle du jeu dans cette offre pléthorique. Les propriétaires du château du Rivau, à une vingtaine de kilomètres de Chinon, ont misé sur l’art contemporain pour se singulariser en proposant des œuvres pérennes dans le jardin – dont les bottes géantes de caoutchouc de Lilian Bourgeat dignes du voisin Pantagruel – et une exposition temporaire. « Si l’art de la parure m’était conté », concoctée par la maîtresse des lieux, Patricia Laigneau, offre une vision intuitive du sujet de la parure mêlant costumes et bijoux d’une bonne vingtaine d’artistes. Une exposition comme un conte de fées et de sortilèges avec des pièces de Jan Fabre, d’Orlan, de Sylvie Fleury et aussi de plus jeunes pousses comme Max Boufathal, Karine Bonneval ou Ghyslain Bertholon. C’est ce travail prospectif qui donne de l’originalité à ce dialogue simple entre art contemporain et patrimoine.

Deux-Sèvres - renouvellement de vœux : Didier Marcel au château d’Oiron
Le château d’Oiron constitue la référence en matière de mariage heureux entre art contemporain et patrimoine. Dans ce magnifique écrin, voilà plus de vingt ans que le dialogue fertile est établi à partir d’un cabinet de curiosités créé à l’initiative de Jean-Hubert Martin. Chaque année, s’ajoutent à ce parcours historico-contemporain les œuvres de la programmation temporaire.
Didier Marcel est donc venu se confronter aux lambris et aux riches décors peints des salles avec ses troncs d’arbres monochromes, ses maquettes de lieux industriels à l’abandon et sa vision du paysage paysan. La salle des trophées de Daniel Spoerri se retrouve ainsi dotée de deux monochromes rouge vif, vues aériennes d’un champ de terre nue et de souches saturées de pigments incarnats. Dans la cour, d’inédits et élégants parallélépipèdes de métal sont ornés de bois de cervidés et, sur la pelouse, un relief de labours attend le visiteur venu chercher l’exceptionnel aux confins de la région Poitou- Charentes. Oiron a toujours le don de se réinventer.

Maine-et-Loire - un mariage qui dure : Claude Lévêque à l’abbaye de Fontevraud
Invité l’an dernier à réaliser une installation pour l’abbaye de Fontevraud, Claude Lévêque avait produit une œuvre d’une grande sensibilité, répondant parfaitement au contexte. « Mort en été » rassemblait des barques ligériennes à fond plat fabriquées spécialement par des artisans voisins, des véhicules où s’installer pour contempler une aurore rougeoyante, le tout hypnotisé par un tintinnabulement songeur. La longue ligne sinusoïdale de lumière incarnate s’offre comme un chemin scintillant, mélancolique et merveilleux, belle réflexion sur le passé de cette abbaye bénédictine royale convertie en l’une des plus âpres institutions carcérales de France à partir de 1804.
Claude Lévêque a parfaitement su intégrer le passé et l’aura du lieu sans se rendre didactique, proposant le meilleur de son vocabulaire plastique en résonnance. Dès lors, on ne peut que se réjouir de la décision de l’abbaye d’avoir pérennisé cette proposition, signe d’un mariage parfaitement réussi entre patrimoine et art contemporain.

Saône-et-Loire - un mariage inattendu : Mark Handforth à l’abbaye de Cluny
Cornaquée par Le Consortium de Dijon, l’intégration de deux œuvres de l’Américain Mark Handforth au sein de l’abbaye de Cluny peut sembler détonner de prime abord. Notamment Horseshoes, entrelacs de trois fers à cheval gigantesques disposé au milieu du jardin du cloître. En fait, il s’agit d’une allusion visuelle à l’activité de haras du site qui conduisit à la destruction d’une partie des bâtiments conventuels sous Napoléon. Précédemment installée à Aix-en-Provence, l’œuvre monumentale a finalement pris ses quartiers d’été dans un décor qui lui sied parfaitement, compte tenu du contexte historique, malgré un effet collage visuellement déstabilisant.
Quant à Sun Rise, soleil de néon jaune vif, il brille éternellement dans le transept de ce haut lieu monastique. Si cette dernière pièce n’a pas été créée pour le lieu, elle y prend place impeccablement, preuve qu’il ne faut pas forcément du sur-mesure pour dialoguer richement avec le patrimoine. Celui-ci a parfois tout intérêt à donner un sens nouveau à une pièce préalable.

Gard - un mariage de raison : Bertrand Gadenne à Aigues-Mortes
La vidéo est souvent un support idéal pour opérer une première saillie dans l’univers de l’art contemporain sans engager trop de bouleversement dans les structures. L’investissement est aussi moindre en termes de surveillance, une contrainte qui n’a rien d’anecdotique lorsqu’un lieu n’a pas l’habitude de contenir quoi que ce soit. L’art contemporain est ainsi une manière de « meubler » des espaces parfois vides, valorisés pour leur seul patrimoine construit. Bertrand Gadenne, invité avec Jean-Christophe Norman à occuper les différents sites d’Aigues-Mortes, a pris ses quartiers dans la tour de la Poudrière et aussi aux portes Saint-Antoine, de la Marine et des Moulins. Il y projette ses vidéos animalières poétiques, tirant parfaitement parti des volumes et des architectures. Hibou, renard, poisson rouge et aussi de l’eau à la tour du Valat, Gadenne déroule son bestiaire comme une héraldique, mesure les échelles, confronte le spectateur avec une animalité merveilleuse. Une odyssée visuelle qui vient animer les pierres.

Bouches-du-Rhône - le mariage le plus heureux : Christian Lacroix à l’abbaye de Montmajour
L’escalier immaculé dont le mouvement hélicoïdal domine le chœur de l’abbatiale de Montmajour constitue certainement l’image forte de l’été. Beautiful Steps #4 (2009), l’œuvre du duo Lang et Baumann, est l’une des rencontres visuelles les plus réussies suscitées par Christian Lacroix entre le patrimoine religieux et l’art contemporain. L’Arlésien a répondu avec son intuition plastique à l’envie de Véronique Legrand, l’administratrice des lieux, de présenter des inédits du Cirva (Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques) de Marseille. De la crypte au sommet de la tour, Lacroix n’a pas boudé son plaisir et a égrainé des œuvres comme les indices d’une histoire d’enfance : Paul-Armand Gette, Giuseppe Penone, Jean-Michel Othoniel, Ettore Sottsass, James Lee Byars participent à ce casting de rêve auquel s’ajoutent les propres créations de Christian Lacroix. Le couturier se fait conteur et réécrit l’histoire de l’abbaye de Montmajour complètement magnifiée.

Infos pratiques

« Si l’art de la parure m’était conté », jusqu’au 11 novembre 2013, château du Rivau.

« Didier Marcel », jusqu’au 29 septembre 2013, château d’Oiron.

« Mark Handforth », jusqu’au 3 novembre 2013, abbaye de Cluny.

« Ulysse l’original », tours et remparts d’Aigues-Mortes, jusqu’au 31 octobre 2013.

« Mon île de Montmajour, Christian Lacroix », abbaye de Montmajour, jusqu’au 3 novembre 2013.

L’œil partenaire de Blandy-les-Tours

Après le Sud-Africain Kendell Geers l’an dernier, c’est au New-Yorkais d’origine jamaïcaine Nari Ward de prendre possession des murs médiévaux du château de Blandy-les-Tours. Ses sculptures et ses installations puisent leur essence dans le recyclage et l’hybridation. Comment la forteresse va-t-elle y répondre ? Nari Ward s’est plongé dans son histoire car on ne s’aventure jamais dans le patrimoine par hasard et en toute innocence. Et le génie des lieux et tous ses fantômes sont bien trop passionnants pour qu’on les ignore. La tour des Archives est ainsi désormais parée de dizaines de bouteilles en lévitation, comme autant de secrets gardés en elles. Ce n’est qu’un des exemples de ce que le château a inspiré à Nari Ward qui n’a fait que du neuf pour l’occasion, ne boudant pas son plaisir d’investir des murs centenaires.

Nari Ward, Origin of Good(s), château de Blandy-les-Tours, jusqu’au 27 octobre 2013.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°660 du 1 septembre 2013, avec le titre suivant : Six mariages réussis entre l'art contemporain et le patrimoine

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